RésistanceS | Observatoire belge de l'extrême droite | Bruxelles | Dimanche 10mai 2020 | 13 : 15 | Première publication : mai 2019 dans n°1 du Journal de résistances, version papier.
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Le moine bouddhiste birman AshinWirathu. Photo extraite du film « Le Vénérable W » du réalisateur suisse Barbet Schroeder, sorti en 2017 © DR. |
ÉPISODE 2/5 – Non-violents, les bouddhistes ? Pas toujours. Certainement pas en Birmanie. Dans ce pays d'Asie du sud-est, des moines au crâne rasé persécutent et ordonnent des véritables pogroms contre la minorité musulmane des Rohingyas. Les chrétiens, moins de 6 % de la population, ne sont guère mieux lotis. Un tabou chez les adeptes occidentaux de ladite « spiritualité bouddhiste ».
En Occident, c'est devenu un lieu commun, une vérité qu'on ne discute pas. Les bouddhistes seraient des gens pacifiques. Coolen toutes circonstances. Définitivement zen. Les adeptes de la « voie du juste milieu » apporteraient la preuve vivante qu'une « spiritualité » religieuse sans extrémiste, sans « fou de Dieu », sans croisade, est possible.
Peu tolérant, le bouddhisme asiatique
Une religion de paix, le bouddhisme ? C'est souvent le cas, mais pas toujours. Le bouddhisme asiatique, qui compte 500 millions de pratiquants, est tout sauf un havre de tolérance. Cinq pays où le bouddhisme est solidement implanté sont principalement dans le viseur : Birmanie, Sri-Lanka, Bhoutan, Laos et Thaïlande. Dans ces pays, les minorités, essentiellement musulmanes et, dans une moindre mesure, chrétiennes, sont discriminées, voire persécutées.
La situation la plus dramatique est celle de la minorité musulmane de Birmanie, dont le nom officiel est République du Myanmar. Dans cet État qui fut dirigé de 1962 à 2011 par une implacable dictature militaire, près de 90 % de la population est bouddhiste, 6 % chrétienne et 4 % musulmane. La petite minorité musulmane – les Rohingyas (2) – est surtout concentrée dans l'État d'Arakan, en Birmanie. Comme dans le reste du pays, elle y est gravement discriminée.
Les roms et les juifs d'Extrême-Orient
Les Rohingyas sont parfois comparés à des roms et des juifs d'Extrême-Orient. Leur sort respectif offre bien des similitudes. Ils forment un peuple sans État et sont rejetés de partout. En 1982, une loi a été votée, en Birmanie, pour les exclure du droit à la nationalité. Rejetés au ban de la société, près d'un million et demi de Rohingyas sont donc apatrides. Ils n'ont pas les mêmes droits que la majorité bouddhiste : droit à l'enseignement, accès aux hôpitaux et au marché du travail... Leur situation est tellement grave que l'Organisation des Nations unies les considère comme la minorité la plus persécutée au monde.
A l'époque des militaires au pouvoir, mais aussi après la chute de la dictatures, des massacres de Rohingyas ont lieu, poussant ces derniers sur la route de l'exil massif, à l'image des roms et des juifs sous d'autres contrées, à d'autres époques. En en peu plus d'un quart de siècle, au moins quatre cents milles musulmans ont quitté la Birmanie pour le Bangladesh et les pays voisins.
Appels à la haine
Réputés pacifiques et fraternels, les bouddhistes devraient en principe tendre la main aux minorités opprimées. En Birmanie, c'est loin d'être le cas. Le précepte de non-violence, manifestement, s'applique à géométrie variable. Certains moines bouddhistes déclaraient, dans les années 1970 que « tuer des communistes n'est pas un péché ». A l'époque de la dictature militaires, de nombreuses églises chrétiennes ont été brûlées. Fort encadrés par le pouvoir, les moines bouddhistes n'ont pas levé le petit doigt. Ils plaident de plus en plus en faveur d'un État national, homogène religieusement.
C'est à l'encontre de la minorité musulmane en Birmanie que la violence verbale de certains moines bouddhistes se déchaîne avec le plus de force. Ce sont des véritables appels à la haine que lancent les vénérables religieux, justifiant leurs diatribes par la nécessité de résister à l'islam conquérant. La destruction des Bouddhas de Bamiyan, en mars 2001, par des Talibans afghans, les renforce dans leur obsession anti-islam, qui tourne à la phobie.
À partir de 2012, les nationalistes bouddhistes créent des mouvements et autres groupes anti-musulmans agressifs. Cette fois, l'image pacifique des « bons » moines en prend un coup sur la scène internationale. En juillet 2013, le magazine américain« Time »place le bonze AshinWirathu – un fou furieux, véritable marchand de haine – en « Une », sous le titre-choc : « Le visage de la terreur bouddhiste ». Wirathu a créé un mouvement Ma Ba Tha, association pour la protection de la race et de la religion, aujourd'hui heureusement interdit (lire à son sujet notre encadré).
Le Dalai Lama impuissant
Ces dernières années, les tensions entre Rohingyas et nationalistes bouddhistes ont persisté. Les violences ont culminé au cours de l'été 2017. En quelques jours, plus de 100.000 musulmans ont été contraints de fuir la Birmanie. Le climat anti-islam s'accentue. Les Birmans bouddhistes pratiquent l'amalgame : pour eux, tous les musulmans sont des terroristes.
En septembre 2017, le Dalai Lama a publiquement enfin pris la défense des Rohingyas. Il a condamné les violences commises par les groupements de moines extrémistes. Mais le Dalai Lama est le chef spirituel des bouddhistes tibétains. Il n'a pas d'autorité réelle sur les bouddhistes birmans. Il se contente donc de répéter en boucle, de façon incantatoire: « Bouddha aurait aidé ces pauvres musulmans ».
Indignation sélective
Le bouddhisme radical n'est pas plus sympathique que le catholicisme colonialiste occidental (les descendants des peuples indigènes des colonies le savent bien) ou que l'islamisme radical. Certes, on en parle moins, notamment parce que le bouddhisme n'exporte pas ses « fous de Dieu ». Il n'existe pas d'intégristes bouddhistes s'attaquant à des cliniques pratiquants des IVG ou de djihadistes bouddhistes faisant éclater des bombes aux quatre coins de la planète. Et pourtant, les discours de haine de certains moines au crâne rasé génèrent des horreurs dans plusieurs pays d'Asie. Elles sont trop rarement dénoncées.
L'indignation sélective est décidément un poison mortel qui épargne peu de bien-pensants, à gauche comme à droite, chez des responsables politiques comme chez des intellectuels people et des artistes « bouddhiphiles ».
CLAUDE DEMELENNE
RésistanceS | Observatoire belge de l'extrême droite
Prochain épisode :
- Qui sont les Rohingyas ? (3/5)
QUI EST L'AUTEUR DE CET ARTICLE ?
Claude Demelenne est licencié en Information et Arts de diffusion de l'Université de Liège. Il est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages, principalement sur la vie politique belge et l'évolution de la gauche : « Le socialisme du possible » aux éditions Labor, « Le cas Happart. La tentation nationaliste » avec Bénédicte Vaes, chez Luc Pire, « Pour un socialisme rebelle » aux éditions Vista, « Dictionnaire du PS de A à Z » chez Labor, « Pour ou contre la Belgique française » aux éditions parisiennes Le Cherche midi... Il a également été le rédacteur en chef du Journal du Mardi. Il intervient régulièrement dans le débat politique, notamment via des cartes blanches publiées dans les colonnes de différents médias : Le Vif, Le Soir, La Libre Belgique, le Standaard... Membre du comité de soutien du journal RésistanceS.be dès sa création en 1997, il rejoindra en 2018 son comité de rédaction. © Photo Sonia Verstappen.
Quelques articles précédents de Claude Demelenne sur le site du journal RésistanceS
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Cet article a été une première fois publié dans le n°1 du Journal de résistances, en mai 2019.
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