RésistanceS | Observatoire belge de l'extrême droite | Dimanche 19 janvier 2020
Zakia Khattabi, en 2013, lors de la marche des migrants vers la ville du premier
ministre de l'époque, le socialiste Elio Di Rupo © Photo Manuel Abramowicz
AU COEUR DE L'ACTUALITÉ – La haine a gagné. Zakia Khattabi ne sera pas juge à la Cour constitutionnelle. Recalée par une majorité de sénateurs flamands, cornaqués par le Vlaams Belang. Un scénario effarant – PAR CLAUDE DEMELENNE
Pas besoin d'être un inconditionnel de l'ex-présidente d'Ecolo pour être choqué par sa mise à l'index. Il faut être clair : le dossier monté de toutes pièces contre Zakia Khattabi est vide. Absolument vide. Aucun fait sérieux ne peut lui être reproché, qui justifiait de recaler sa candidature. Rien que des fake news, telle cette rumeur – fausse – affirmant qu'à bord d'un avion, la leader écologiste francophone aurait tenté physiquement d'empêcher l'expulsion d'un étranger en séjour illégal, décidée par la justice.
Interdit professionnel
Autre accusation fantaisiste colportée par les anti-Khattabi : la députée verte serait « trop clivante ». Mais en démocratie, n'est ce pas le rôle d'un élu du peuple d'être « clivant » ? Quand on exige des élus qu'ils cessent de l'être, on ne vit plus en démocratie, mais en dictature.
C'est un véritable interdit professionnel qui frappe Zakia Khattabi. Un interdit professionnel édicté par une majorité des sénateurs nationalistes flamands du Vlaams Belang (VB) et de la Nieuwe Vlaamse-Alliantie (NV-A) dans leur entièreté, mais aussi, selon toute vraisemblance, même si le vote était secret, quelques chrétiens-démocrates flamands du CD&V et des libéraux de l'Open-VLD. Tous les sénateurs francophones, il faut le relever, ont accordé leur voix à Zakia Khattabi.
Front des marchands de haine
L'affaire n'est pas anodine. La campagne « stop Khattabi », lancée par la NV-A, a été relayée et amplifiée par le parti d'extrême droite Vlaams Belang. Les deux partis ont donné le ton, jusqu'à déstabiliser quelques élus flamands d'autres partis, qui ont privé la députée écolo des voix nécessaires à son élection à la majorité des deux tiers. En Flandre, le front des marchands de haine pèse toujours davantage sur les choix politiques.
Le mauvais feuilleton Khattabi démontre qu'il est de plus en plus difficile, voire impossible, de faire respecter les « compromis à la belge ». La composition et le mode de fonctionnement de la Cour constitutionnelle fédérale résultaient d'un de ces compromis à la belge, remis en cause par une majorité de sénateurs flamands.
Pouvoir de nuisance
Ce dossier souligne une fois de plus le pouvoir de nuisance des ultra-nationalistes flamingants. Ils ratissent large et, c'est peut-être le plus inquiétant, ils ne suscitent pour l'heure pas de réaction forte dans la société flamande. Celle-ci semble, à tout le moins en partie, vampirisée par ses radicaux.
La « chasse à Khattabi » a duré plusieurs semaines et ne semble pas avoir choqué grand monde dans la droite du Nord du pays. C'est inquiétant pour l'avenir. La motivation de ceux qui ont traqué la leader écologiste jusqu'à la faire chuter ne fait pourtant guère de doute. Ils ne supportaient pas qu'une élue d'origine immigrée, de gauche, et grande gueule par ailleurs, toujours prête à ruer dans les brancards, entre dans l'univers feutré de la Cour constitutionnelle. Il fallait donc la diaboliser, la marginaliser et, au final, la crucifier.
Délit de sale gueule
Le Vlaams Belang incarne l'un des partis d'extrême droite les plus dangereux d'Europe. Sans réaction vigoureuse des démocrates flamands, il y aura d'autres Zakia Khattabi, d'autres délits de sale gueule. On n'ose imaginer ce qui se passera en 2024, si le Vlaams Belang et ses alliés montent au pouvoir en Flandre. La chasse aux élus et aux citoyens « non conformes » risque d'être permanente.
L'affaire Khattabi doit servir de signal d'alarme. Elle apparaît comme l'un des faits politiques les plus interpellants de ces derniers mois. Elle préfigure ce que pourrait devenir une Belgique confédérale à la sauce NV-A / Belang : un pays en voie de disparition, soumis aux oukases des ultra nationalistes du Nord.
Sel donne du grain à moudre aux nationalistes
Au moment de conclure cet article, je prends connaissance d'une réaction du chroniqueur et romancier francophone, Marcel Sel, à la controverse Khattabi. Selon lui, l'ex-coprésidente des verts est « une populiste de gauche » qui « a été écartée pour radicalisme ».
Justifier son écartement par un pseudo « radicalisme », c'est une faute politique. C'est donner du grain à moudre aux nationalistes qui se sont acharnés contre une élue qui n'est ni « une islamiste le couteau entre les dents » ni « une extrémiste de gauche » qu'il faudrait maintenir à l'écart de ce rouage essentiel pour la démocratie que constitue la Cour constitutionnelle, chargée de veiller par le législateur au respect de la Constitution belge.
CLAUDE DEMELENNE
RésistanceS | Observatoire belge de l'extrême droite