Le dernier « Grand rassemblement » de l’extrême droite francophone

RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite  | Dimanche 3 décembre 2023 | 15 h 02 | Modif. (photo deux) : 15.12.23

Le week-end dernier, dans une salle communale de Fleurus, le parti AGIR tenait un grand meeting. Avec des anciens du FN, de Nation, du PNE, du collectif En Colère… et une délégation de Chez Nous  © RIDAF – La Louvière

 

DANS SIX MOIS | L’extrême droite pourrait totalement disparaitre en Wallonie. Sauf si, aux élections de juin prochain, elle obtient des élus. C’est pour cette raison que le « parti patriote » Chez Nous et le parti AGIR (ex-FN belge) vont s’allier officiellement, ce dimanche à Fleurus.

Les autres restes de ladite « droite nationale », totalement folklorisés, sont voués à la marginalisation, voire à l’anéantissement total. En cas d’échec, les lepénistes de Chez Nous perdront alors le parrainage du Vlaams Belang et du Rassemblement national de Marine Le Pen. Seul, AGIR restera en place | INFOS EXCLUSIVES DE RÉSISTANCES.

 

Depuis plusieurs semaines, cela s’agite dans le microcosme politique rassemblant les derniers survivants des déroutes électorales successives du Front national (FN belge, 1985-2017) et de feu le Parti populaire (PP, 2009-2019).


L’enjeu : leur survie respective. La deadline : le 9 juin 2024. L’occasion : les élections régionales et fédérales. Leurs forces actuelles : maigrichonnes. Leur chance : l’anéantissement des autres identitaires blancs et nationalistes belges. Leur principal rival (pour le vote protestataire) : la gauche authentique conduite par le PTB. Leur possibilité de survie après juin 2024 : très limitée.


Après trente-deux ans d’existence, le FN belge a dû mettre la clé sous le paillasson en 2017. Suite à la longue saga judiciaire menée contre lui par Marine Le Pen, la patronne du Front national / Rassemblement national français. Cette action devant les tribunaux faisait suite aux pressions de son partenaire européen flamand belge, le Vlaams Belang (VB). En effet, le VB fait tout, depuis 1999, pour être l’unique représentant de l’extrême droite à Bruxelles. Pour y parvenir, il fallut bouter hors de la capitale, les lepénistes francophones.

 

Fiefs wallons

Malgré une bonne implantation à Bruxelles, il y a encore dix ans, ces derniers se sont donc totalement repliés en terres wallonnes. Le « canal historique » du FN belge est devenu en 2017 le parti politique AGIR. Des frontistes ont rejoint le Mouvement Nation, fondé en 1999 par des exclus et des dissidents du Front nouveau de Belgique (FNB), un FN-bis qui exista de 1996 à 2002. Ensuite, avec d’autres, ils tentèrent de prendre la direction de Nation. Mis en échec, ils partirent ensemble créer le Parti national européen (PNE), très vite rallié par d’autres ex-Nation (actifs au collectif Mouscron en Colère, au groupe Racines, au Collectif identitaire liégeois, devenu ensuite l’association Valeurs nationales) et d’anciens du Parti populaire (actifs dans la Droite conservatrice, au Rassemblement wanzois ou encore dans le microscopique parti Identitaire & Démocrate). En novembre 2021, le PNE fusionne dans Chez Nous. Mis sur pied par le courant national-libéral lepéniste de feu le PP, ce « parti patriote wallon » (sic) est entièrement sous la coupe de son parrainage par le VB flamand et le RN français.


Pendant ce temps, et en parallèle, le reste de ladite « droite nationale » belge francophone poursuit son chemin, non pas sur un sentier lumineux, mais dans une jungle des plus sombres. Les Liégeois ex-frontistes et d’AGIR (premier du nom, de 1989 à 1996) - qui ont fondé un Parti des pensionnés en 2007 - lancent, surtout sur Internet, le Rassemblement populaire wallon (RPW). Ce RPW est « renforcé » par l’arrivée dans ses rangs de Lionel Baland. Chef de la fantomatique section wallonne des Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident (Pegida), un mouvement fondé par des purs et durs du combat national allemand, ce « journaliste nationaliste » belge de la presse d’extrême droite française et allemande est un véritable révisionniste de l’histoire du nationalisme belge (le fascisme en version moules-frites).


Le mouvement Nation, devenu une « ambulance nationaliste », se vide lui littéralement de l’intérieur, depuis le schisme de 2019 qui le divisa en deux. Ses derniers cadres l’ont quitté les uns après les autres. Dernier en date, Romuald VG., le plus fidèle des fidèles resté auprès du vieux chef. Ce Carolorégien était déjà dans son ombre pour en assurer sa protection bien avant l’apparition de Nation. À l’époque de L’Assaut, un groupe de cogneurs néonazis actif de 1988 à 1993, puis au sein du FNB. Depuis sa cure d’amaigrissement, le mouvement est squelettique et s’est replié dans sa tanière, comme une petite secte politique qui survie autour de son « gourou ». Qui fut fortement blessé, par une droite très extrême, cet été, à la suite d’une bagarre de bistrot, par un de ses « disciples ».

 

Plus que deux conseillers communaux

D’autres tentent encore de subsister sur la scène nationaliste. C’est le cas du Rassemblement démocratique du peuple wallon (RDPW), dans les environs de Mouscron-Ath-Tournai. Cette dissidence du RPW est constituée d’anciens du PP qui passèrent, durant un laps de temps très court, à AGIR (second du nom). Il y a encore le micro-parti namurois l’Éveil. Conduit par un des ex-gros bras violents de Nation, il reçoit l’appui du groupuscule « baraki » La Meute de Myriam Gravis, une des autres ex-dirigeantes de Nation. Lors du mouvement antivax de 2020 à 2022, l’Éveil a aussi été soutenu par le collectif En Colère avant qu’une zizanie interne a mis fin à leur alliance.

Le parti politique AGIR, fondé par l’ex-association propriétaire du Front national belge, est lui resté actif sur le terrain, avec la centaine de ses affiliés. Mais uniquement dans son bastion, à Fleurus, une petit commune de 22 324 habitants, limitrophe de Charleroi. Son président-fondateur, Salvatore Nicotra, d’origine italo-bruxelloise, y siège encore comme conseiller communal. Avec lui et le Mouscronnois Pascal Loosvelt, le chef local du PP jusqu’en 2019, AGIR est fort de deux élus locaux. Ce qui fait de lui la seule formation représentative dans une assemblée élective.

À l’instar des précédentes élections, AGIR ambitionne, pour celles de 2024, de faire élire l’un ou l’autres députés sous ses couleurs. Mais pour y parvenir, sa seule solution est l’union avec son principal concurrent à « la droite de la droite » : Chez Nous.

 

Pour faire Front, AGIR rejoint Chez Nous

Après plusieurs rencontres ces dernières semaines, ce dimanche à Fleurus, AGIR va lancer le début sa campagne électorale, en compagnie du président de Chez Nous. Ce dernier, Jérôme Munier, est l’ancien président des Jeunes du Parti populaire. Il s’était déjà caractérisé pour son adhésion au lepénisme. Le pacte entre les ex-frontistes et les anciens pépéïstes, s’il se maintient dans les semaines à venir, devrait permettre la constitution de listes mixtes, ici et là, en Wallonie pour les prochaines régionales et fédérales.

Ayant reçu l’autorisation par Marine Le Pen en personne d’utiliser le nom et l’emblème précédents du Rassemblement national, l’électeur aura en juin prochain, alors la possibilité de voter pour « Chez Nous – FN » dans les provinces de Liège et de Namur et « AGIR - Chez Nous – FN » dans la province du Hainaut.

Pour parvenir à cette « entente historique », Salvatore Nicotra, qui avait déjà été conseiller communal FN de 1994 à 2000 dans la commune bruxelloise de Saint-Gilles, a adhéré au parti politique Chez Nous. Ce qui lui a permis d’être intégré à son bureau politique.

Le cartel Chez Nous – AGIR (Front national) pourra compter certainement sur une couverture médiatique. En effet, depuis peu, l’hebdomadaire satirique de la droite nationale-libérale Pan compte dans ses rangs le dénommé Alain Destexhe. Parlementaire professionnel du Parti réformateur libéral (PRL), puis du Mouvement réformateur (MR), regroupant alors le PRL, le Mouvement des citoyens pour le changement (MCC, catholique libéral) et le Front démocratique francophone (FDF, libéral social), du milieu des années 1990 à 2019, ce Destexhe est passé ensuite – et enfin – à l’extrême droite. D’abord en conduisant les « Listes Destexhe » aux élections de mai 2019, et après leurs échecs humiliants, l’association des Amis belges d’Éric Zemmour pour soutenir, à partir de la Belgique, sa campagne pour la présidentielle française de 2022.

Au journal Pan, Destexhe collabore avec un de ses vieux complices en politique. Il s’agit de Drieu Godefridi, bien connu des lecteurs du journal RésistanceS (son article enquête publié, en février 2021, sur cet individu interlope reste le plus populaire – le plus lu - toujours de nos jours). Ce philo-idéologue du libéralisme conservateur à la sauce belge avait, déjà au début des années 1990, permis au docteur Daniel Féret, le président-fondateur du Front national belge, d’exprimer sans limites sa vision idéologique étroite, son antisémitisme et son négationnisme du génocide des Juifs d’Europe commis entre 1941 et 1945, par l’Allemagne nazie et ses nombreux complices étatiques européens, ainsi que les écrits d’« écrivains maudits », Louis-Ferdinand Céline, Robert Brasillach ou encore Drieu La Rochelle.

 

Une droite populiste contre l’extrême droite

Pour Chez Nous, soutenu donc par Alain Destexhe, cette alliance électorale avec AGIR est la seule solution pour sa survie après 2024. Surtout que ces derniers temps, ledit « parti patriote » a subi des départs de ses rangs, suite à des tensions internes. Ces dernières ont aussi été alimentées par les rivalités avec le carolo Jean-Pierre Borbouse, un des députés régionaux wallons du FN dans les années 1990, et l’avocat liégeois Ghislain Dubois, à l’époque président du Comité belge de soutien à Jean-Marie Le Pen et membre du bureau politique du FN.

Pour parvenir à faire élire des candidats dans six mois, la tâche sera des plus ardues. Chez Nous et AGIR devront bien profondément enterrer la hache de guerre qui ravage de l’intérieur, depuis 2007, l’extrême droite belge francophone. Il faudra trouver des compromis. Ranger au placard, les rancœurs de jadis. Restreinte les égos surdimensionnés des uns et des autres.

Il faudra aussi et surtout anéantir – ce qui a déjà débuté en coulisses - tous ceux qui pourront rester, certes de manière marginale et folklorique, des concurrents d’ultra droite dans l’une ou l’autre circonscription électorale : RPW qui projettent de se présente sous le label de « Parti populaire » à Liège, RDPW dans le Hainaut occidental, mouvement Nation à Namur, Les Belges d’abord (ex-Wallonie d’abord, anciennement FNationale, qui fut fondée par des anciens cadres du FN namurois et bruxellois), le parti l’Éveil à Namur…

Le cartel électorale regroupant AGIR, Chez Nous, sous l’égide du label « Front national » devra encore faire face aux listes de la Droite populaire (DP). Refusant d’être catégorisée à l’extrême droite, cette petite formation - fondée en septembre 2019 par des ex-PP - se revendique du libéralisme-conservateur. Possédant un bon réseautage, pour l’instant encore en sommeil, la DP pourrait aligner des dizaines de candidats aux élections prochaines autour d’un programme antisystème. Ainsi des voix que souhaitent capter Chez Nous et AGIR pourraient se porter vers ce parti de droite nationale et populiste.

Quant à Laurent Louis, ancien loufoque et provocateur parlementaire belge, il ne devrait pour finir par être présent en juin prochain. Premier, en 2010, des deux députés fédéraux au total du Parti populaire, il était parti fonder ensuite, pour les élections de 2014, Debout les Belges. Parti pour la « réconciliation et l’unité nationale », ce dernier avait reçu l’appui d’un réseau iranienne chiite discret et celui des antisémites français Alain Soral et Dieudonné. En fuite en France, toujours embourbé dans des affaires judiciaires et atteint de conspirationnisme aiguë, le Louis national avait en effet annoncé, en juin dernier, son retour en politique, avec une nouvelle formation : le parti « Les Démocrates en colère ». Rien de moins. Idem pour le parti national-catholique Civitas qui ne devrait pas se trouver sur les bulletins de vote dans six mois.


Dimanche 26 novembre dernier, à Fleurus, Salvatore Nicotra, le big-boss d’AGIR, avec ses hommes et à l’extrême droite,  Jérôme Munier, le président du « parti patriote » Chez Nous © RIDAF – La Louvière


Le PTB un barrage contre l’extrême droite ?

Les semaines qui suivront seront décisives pour l’avenir électoral des lepénistes, des identitaires et autres zemmourriens de Wallonie. Ayant un quasi un boulevard entier, comme nous venons de le voir, sur son « extrême-extrême droite », Chez Nous – AGIR (FN) craint surtout la concurrence électorale qui se trouve sur sa gauche.

Effectivement, depuis 2010, le terrain wallon des votes protestataires est sous la domination du Parti du Travail de Belgique (PTB). Provenant par voie directe du mouvement révolutionnaire marxiste-léniniste et maoïste des années 1970, le PTB s’est transformé, voici maintenant quinze ans, pour devenir le représentant de la « gauche authentique ». Résultat, les électeurs populaires déçus du PS, et d’ECOLO dans une moindre mesure, votent PTB. Ce qui fait désormais de lui en Wallonie un parti de masse.

À partir de ce dimanche, jour du lancement de la campagne électorale, à Fleurus, des listes Chez Nous et d’AGIR, sous l’emblème du Front national, le compte-à-rebours débute pour la survie de l’extrême droite belge francophone. Les six prochains mois seront des plus décisifs pour elle. En cas d’échec, Chez Nous ne pourra plus bénéficier de l’apport matériel et humain du Vlaams Belang. Le parti des « patriotes wallons » devra ensuite proclamer, à son tour, sa liquidation. Seul, AGIR poursuivra alors le combat.

 

MANUEL ABRAMOWICZ
avec SIMON HARYS et ALEXANDRE VICK

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