Pourquoi le Parti populaire ne décolle pas (DOSSIER 1/3)

RésistanceS Observatoire belge de l'extrême droite | Lundi 15 janvier 2018 | 23:31




ANALYSE – Huit ans après sa création, le Parti Populaire (PP) de l'avocat d'affaires Mischaël Modrikamen fait toujours du rase-motte. Malgré un essor de la droite pure et dure ailleurs en Europe, le PP ne décolle même plus. Ses dirigeants mettent en cause le « boycott » des médias. C'est un peu court. De nombreux facteurs expliquent sa stagnation.


Ce mercredi, aura lieu le conseil des cadres du Parti populaire. L'ambiance devra être morose. L'année 2017 n'a pas été une bonne année pour la formation de Michaël Modrikamen. Malgré une réelle présence sur le net - notamment via son journal en ligne Le Peuple.be - le PP vivote. Il peine à convaincre l'opinion. Les sondages confirment les scores insuffisants des élections de mai 2014, bien en dessous du seuil des 5%, le sésame permettant d'avoir au moins un élu.

A première vue, le rase-motte dans les sondages du PP peut surprendre. Un peu partout en Europe, la droite dure prospère sur les scandales politico-financiers, l'exclusion sociale et le terrorisme islamique. Un peu partout... sauf en Belgique francophone, où le Parti populaire semble voué à une relative marginalité, loin des ambitions de son président-fondateur, Mischaël Modrikamen.

En fait, le sur-place du PP n'est pas vraiment étonnant. Ce parti s'est plus d'une fois tiré une balle dans le pied. Il a multiplié les mauvais choix. Depuis son apparition dans le paysage politique, à l'automne 2009, il a connu un état de crise existentielle pratiquement permanent. Analyse en quinze points des raisons d'un échec.


Raison 1 - Rudy Aernoudt, le péché originel
Premiers pas, premiers couacs. Le 26 novembre 2009, Mischaël Modrikamen fonde le Parti populaire (PP), avec Rudy Aernoudt, économiste et intellectuel flamand de renom, qui devient coprésident. Très vite, il apparaît que les deux dirigeants ne sont d'accord sur presque rien. Rudy Aernoudt se dit « choqué » par les propos anti-roms de Laurent Louis, unique député du PP élu lors du scrutin de juin 2010. Modrikamen, pour sa part, soutient Louis. Par ailleurs, Aernoudt dénonce le « projet séparatiste » de Modrikamen, qu'il accuse de vouloir transformer le PP en version francophone de la N-VA. Les portes claquent.

A la fin de l'été 2010, moins d'un an après le lancement du PP, Rudy Aerrnoudt est exclu du parti pour « déloyauté ».


Raison 2 - « Votez Ecolo ! »
Avant son exclusion, Rudy Aernoudt avait été l'auteur d'un véritable gag, donnant de son parti une image folklorique. En avril 2010, à l'époque toujours coprésident du PP, il avait appellé l'électeur à « voter pour Ecolo, Groen ou le PP », parce que ces trois partis défendent la création d'une circonscription fédérale.

Un président de parti faisant campagne pour des formations concurrentes, c'est du jamais vu !


Raison 3 - Aldo-Michel Mungo, le départ du stratège
Dans la foulée de ce curieux appel à voter Ecolo, le PP perd l'un de ses pions essentiels, Aldo-Michel Mungo, en fait le principal stratège politique du parti. Mungo, coordinateur du PP pour Bruxelles, démissionne... avant d'en être officiellement exclu. Il compare le PP à « un bateau ivre, immature et irresponsable ».

Par la suite, Mungo lancera « La Droite », parti concurrent du PP. Aujourd'hui actif sur ses terres sous le nom de « La Droite citoyenne ».



Raison 4 - Laurent Louis, un premier élu repoussoir
Aux élections fédérales de juin 2010, le PP compte un seul élu, Laurent Louis. D'emblée, celui-ci se comporte en cheval fou. Il multiplie les déclarations à l'emporte-pièce, sur les roms, tous assimilés à des voleurs, la peine de mort, la création d'un permis à points pour la nationalité belge. Laurent Louis n'accepte aucune discipline de parti, il est incontrôlable. Il sera exclu du PP en janvier 2011, moins d'un an après son adhésion. Modrikamen s'excusera auprès des électeurs d' « avoir mis sur les listes une personne qui n'a pas la carrure et est indigne d'être élu ». Pour le PP, les dommages collatéraux de la « saga Louis » sont considérables.

Privé de son seul élu – Louis siège désormais comme indépendant – le PP perd sa dotation publique. Et sa réputation de parti radicalement à droite mais sérieux en prend un fameux coup.


Raison 5 - L'hémorragie des cadres
En février 2013, après Aernoudt, Mungo et Louis, le PP perd à nouveau un pion important. L'avocat Philippe Chansay-Wilmotte, vice-président du parti, démissionne. Il entraîne avec lui plusieurs militants. Parmi eux, Jean-Pierre Larose, l'un des trois élus du PP lors du scrutin communal d'octobre 2012 (Larose siège au conseil communal de Trooz). Fin 2015, le PP perd son unique élu au parlement wallon, Pierre-André Puget, qui démissionne d'un parti dont il critique la place trop importante qu'il accorde au discours anti-immigration.

Trois petits tours et puis s'en vont, tel est souvent le parcours des cadres et des élus du Parti populaire.

Raison 6 - Des « coups politiques » sans lendemain
Le PP a souvent tenté d'attirer à lui des personnalités atypiques, non issue du sérail politique. Rarement avec bonheur. Ce fut le cas avec Rudy Aernoudt, qui sera un éphémère coprésident d'un parti dont il sera exclu. C'est le cas également du météorologue Luc Trullemans, présentateur vedette du bulletin météo de RTL-TVi. En novembre 2013, il adhère au PP et, un an plus tard, se présente comme tête de liste au scrutin européen. Malgré un bon score personnel (près de 80.000 voix), il ne sera pas élu. En juin 2016, il quitte le PP en déclarant « ne pas être fait pour la politique ». Autre coup  médiatique sans lendemain du PP : il a convaincu l'ancien joueur de foot et diable rouge, Michel Renquin, d'être tête de liste pour le PP, aux élections de mai 2014 dans la province de Luxembourg. Renquin ne sera pas élu et ne poussera pas plus loin son engagement au PP.

Raison 7 - Des erreurs de casting en série.
C'est presque devenu une marque de fabrique du PP : ce parti ne met jamais la bonne personne à la bonne place. Les erreurs de casting se sont succédées. Elles étaient évitables. Pas besoin d'être un grand stratège pour deviner que Rudy Aernoudt, sorte de professeur Nimbus égaré en politique, ne ferait pas de vieux os au PP et retournerait rapidement à ses chères études. Il en va de même de Luc Trullemans bon scientifique mais dépourvu de toute culture politique. Quant à Laurent Louis, il était peu raisonnable de placer cet ancien militant MR sans aucune expérience, à une position éligible en Brabant wallon.

Ces erreurs de casting se sont payées cash. Elles ont brouillé le positionnement du PP.





Raison 8 - Aucun élu MR ne rejoint le PP
Partisan d'une « droite décomplexée », Mischaël Modrikamen rêve depuis toujours d'attirer au PP l'un ou l'autre élu MR appartenant à l'aile droite de ce parti. Espoir déçu. Jamais le plus petit poisson libéral n'a été pris dans les filets du PP.

C'est un revers pour son ambitieux président qui, lorsqu'il s'est lancé en politique, imaginait pouvoir rapidement jouer dans la cour des grands, notamment en phagocytant une partie du MR.



Raison 9 - La tentation Marine Le Pen
Le flirt de Mischaël Modrikamen avec la patronne du Front national français exclut pour l'avenir tout transfert d'élus ou de cadres déçus du MR vers le PP. La radicalisation de Modrikamen – qui a appelé à voter Le Pen au second tour des présidentielles – condamne le PP à l'isolement.

Sans lui faire miroiter un potentiel apport en voix aux prochains scrutin de 2018 et 2019, car Marine Le Pen traîne désormais l'image d'une loser, après sa campagne ratée du printemps dernier.



Raison 10 - La droitisation du MR nuit au Parti populaire
La route aurait sans doute été un peu moins ardue pour le PP si le MR avait continué à gouverner avec le PS à l'échelon fédéral. L'actuelle alliance avec la N-VA, par contre, ne lui permet guère de briller. Et pour cause, le MR applique en matière de sécurité et d'immigration – deux priorités du PP -, un programme plutôt musclé, dicté par la formation nationaliste flamande de Bart De Wever.

Difficile pour le PP de reprocher une quelconque mollesse au MR, désormais scotché à Théo Francken et Jan Jambon... probablement les deux hommes politiques les plus admirés par la base du PP.


Raison 11 - La guerre des chapelles
Le PP subit la concurrence de la Droite citoyenne, parti fondé par Aldo-Michel Mungo, un ancien dirigeant du parti de Modrikamen. En 2016, un cartel avait été envisagé par les deux partis, mais les négociations ont échoué. Pareil cartel aurait permis au PP et à la Droite – sous le sigle « La Droite Populaire », bien plus porteur auprès de l'électorat protestataire – d'envisager franchir la barre des 5% aux prochaines élections. Au contraire, la guerre des chapelles a repris. Elle a même monté en intensité, La Droite condamnant la radicalisation du PP, comparé au « parti Rex, créé par Léon Degrelle dans les années 30 ».

Lors des prochains scrutins de 2018 et 2019, la Droite citoyenne concurrencera la formation de Modrikamen



Raison 12 - L'ogre PTB
Une grande partie de l'électorat populaire déçu du PS visé par le PP s'est tourné vers le Parti du Travail de Belgique (PTB). En Belgique francophone, c'est ce parti de gauche radicale qui incarne désormais le vote anti-système, pas le PP. Sur le marché du vote alternatif, le PTB est devenu un ogre, d'autant plus glouton que contrairement au PP, il ne doit pas faire face à une guerre des chapelles.

A la gauche de la gauche, l'unité est faite autour du PTB, seuls subsistant, à l'écart de la mouvance ptbiste, quelques groupuscules trotskistes pesant tout au plus quelques centaines de voix aux élections.



Raison 13 - Le profil Calimero
Le PP adopte une attitude victimaire globalement contre-productive. C'est un leitmotiv dans le discours de Mischaël Modrikamen : il se plaint d'être « l'homme à abattre » et d'être « boycotté par les médias ».

L'homme à abattre ? On en doute. A vrai dire, le patron du Parti populaire ne gêne pas grand monde. Il ne représente plus un concurrent – en fait, il ne l'a jamais été - pour le MR, parti qui aurait eu a priori le plus à craindre d'une spectaculaire percée du PP.

Boycotté par les médias ? Il est exact que le PP est de moins en moins présent sur les plateaux télé, mais qu'a-t-il encore à mettre en vitrine ? Après la valse des démissions-exclusions et bisbrouilles internes, le PP ne compte plus dans ses rangs qu'un parlementaire à la Chambre et deux conseillers communaux. A titre de comparaison, le PTB aligne huit parlementaires et quinze conseillers communaux.



Raison 14 - Un sigle peu porteur ?
Là n'est certainement pas l'essentiel, mais après moins de dix ans d'âge, le sigle « Parti Populaire » paraît déjà usé. « La Droite Populaire » – un temps envisagé comme nouveau nom – serait sans doute plus porteur.

Les dirigeants du PP devraient se pencher très vite sur la question, mais à dix mois des élections communales, il est déjà bien tard pour choisir une nouvelle appellation.


Raison 15 - Le cas ModrikamenOrateur brillant parait-il dans son métier d'avocat, Mischaël Modrikamen n'a pas le charisme de l'homme politique « proche du peuple ». Il n'a ni la gouaille, ni l'humour de Raoul Hedebouw, son rival PTB à l'autre bout de l'échiquier politique. Il n'a pas davantage la truculence d'un Louis Michel, ou le sourire charmeur d'un Elio Di Rupo. Maladroit dans ses rapports avec les journalistes, le président du PP, semble perpétuellement évoluer dans le registre « moi contre le reste du monde » qu'affectionnait également Yvan Mayeur, bourgmestre déchu de Bruxelles.

L'alchimie Modrikamen n'a jamais vraiment pris sur la scène politique francophone. C'est peut-être cela aussi, la cause de l'échec populaire du Parti populaire.


Claude DEMELENNE
RésistanceS  Observatoire belge de l'extrême droite 




Qui est l'auteur de cet article ?


Claude Demelenne est licencié en Information et Arts de diffusion de l'Université de Liège. Il est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages, principalement sur la vie politique belge et l'évolution de la gauche : « Le socialisme du possible » aux éditions Labor, « Le cas Happart. La tentation nationaliste » avec Bénédicte Vaes, chez Luc Pire, « Pour un socialisme rebelle » aux éditions Vista, « Dictionnaire du PS de A à Z » chez Labor, « Pour ou contre la Belgique française » aux éditions parisiennes Le Cherche midi...
Il a également été le rédacteur en chef du Journal du Mardi. Il intervient régulièrement dans le débat politique, notamment via des cartes blanches publiées dans les colonnes de différents médias : Le Vif, Le Soir, La Libre Belgique, le Standaard... Membre du comité de soutien du journal RésistanceS.be dès sa création, il vient désormais de rejoindre officiellement son comité de rédaction.



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