RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite | Mercredi 9 août 2023 |
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| La tribune en mars 2018 de la « Fête du Pays réel », organisée dans le sud de Paris chaque année par l’Institut Civitas, la plus importante organisation de l’extrême droite national-catholique - Photo Réseau social |
LE RETOUR DES FOUS DE DIEU… | Un autre danger pour nos libertés : l’extrême droite catholique intégriste. Depuis sa création en 1997, le journal RésistanceS a publié de nombreux articles et des dossiers d’investigation sur celle-ci. À l’occasion de la demande du ministre français de l’Intérieur, ce 7 août 2023, de dissoudre - pour antisémitisme - l’Institut Civitas, un mouvement national-catholique dirigé par un « état-major » (sic) inspiré par des militaires putschistes et dont l’objectif final est « l’instauration du Royaume de Jésus-Christ » sur terre, RésistanceS remet en ligne - revu, augmenté et adapté - un de ses articles, déjà paru en 2005, sur cette nébuleuse politico-religieuse, dangereuse, extrémiste et conspirationniste | … CONTRE LA DÉMOCRATIE
« Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas », avait prédit André Malraux. Divers événements ayant déjà accompagné ce début de siècle ne démentiront pas les propos visionnaires de l’écrivain et politicien français. Le constat est désormais évident. Aujourd’hui, le retour en force du religieux - de son identité et de ses nouvelles croisades sociétaires menées par l’extrême droite notamment - est une évidence.
Avant sa finalisation, la Constitution européenne s’est retrouvée au centre d’une polémique au sujet des interprétations concernant les « origines chrétiennes de l’Europe » en construction. Les partisans du « non » à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne évoquent systématiquement comme argument majeur le caractère majoritairement musulman de la population turque. La pression des religieux, par divers lobbies interposés, intervient dans énormément de débats de société, sur l’euthanasie, l’adoption, l’interruption volontaire de grossesse, le mariage homosexuel…. Du même coup, ces débats se radicalisent.
Bien entendu, religieux ne signifie pas automatiquement intégriste. Cependant, les plus offensifs en matière de religion se comptent désormais chez les plus « réacs » des adeptes.
L’intégrisme se conjugue au pluriel
De nos jours, si l’on parle d’intégrisme, le néophyte pense immédiatement aux intégristes musulmans. Il a raison et tort à la fois. La montée en puissance, y compris en Europe, des fondamentalistes de l’Islam le plus radical - et totalement à l’opposé des principes de base de la Déclaration universelle des droits de l’Homme - est une évidence qu’aucun angélisme ne pourra camoufler longtemps. Toutefois, l’intégrisme n’est pas un produit de fabrication d’exclusivité islamique. Il peut également être juif, bouddhiste, hindouiste, catholique, protestant, orthodoxe ou même… laïque !
En règle générale, tous les fondamentalismes religieux, comme les sectes d’ailleurs, prônent les mêmes préceptes : retour à l’origine première des textes dogmatiques, repli communautaire, coupure nette ou limitation extrême des relations avec l’extérieur, construction d’une vision mythifiée pour expliquer la création du monde, mise à l’index des théories scientifiques sur l’origine de l’homme, proclamation de l’opposition radicale à la séparation des pouvoirs politique et religieux, diffusion de théories du complot… Des procédés fort proches de ceux de l’extrême droite.
Fous de Dieu à l’extrême droite
Rejetant la modernisation de l’Église catholique - enclenchée de 1962 à 1964 lors du Concile de Vatican II - les intégristes chrétiens sont nombreux dans les rangs du nationalisme d’ultradroite. Ces fous de Dieu ont même souvent été les pivots centraux de partis électoraux d’extrême droite. À la direction du Front national français dans les années 1980, comme dans celle du Vlaams Belang ou celle du FN belge, ont siégé des intégristes patentés. Des élus frontistes, comme VBistes, défendent eux aussi, dans les parlements, les valeurs de l’ordre moral visant à sauver l’« Occident chrétien d’un anéantissement » programmé par le « lobby cosmopolite », c’est-à-dire les Juifs, leurs pires ennemis.
L’une des tendances politiques les plus actives au cœur du militantisme du FN français est celle des cathos intégristes. En Belgique, à la fin des années 1980, des dirigeants de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), rassemblant les fidèles de feu Monseigneur Lefebvre, excommunié par Rome en 1988, ont lancé une véritable OPA sur le FN de Daniel Féret. L’un de ses premiers conseillers politiques et l’un de ses premiers députés fédéraux provenaient de ce mouvement intégriste, déjà propriétaire du groupe de pression Pro Vita, spécialiste dans les principales campagnes visant à combattre la dépénalisation de l’avortement.
Dès sa création en 1970 en Suisse, cette fraternité politico-religieuse se revendique des enseignements des « États catholiques » de jadis : celui du Portugais Antonio Salazar, de l’Espagnol le général Franco et du Français le maréchal Pétain. À partir de 1973, le général chilien Augusto Pinochet se rajoute à la liste des modèles à suivre de cette « droite nationale » intégriste. Le Belge Léon Degrelle, chef-fondateur de Rex, le parti catholique d’extrême droite des années 1930, est tout logiquement une des autres références des nationaux-catholiques toujours actifs actuellement.
Les antisémites français Charles Maurras et Henry Coston (pour un portrait détaillé de ce dernier, lire notre article dans RésistanceS du 23 août 2015 via le lien ci-dessous) sont adulés par l’extrême droite catholique. Chez elle, les livres de Coston arrivent au sommet du hit-parade de la « littérature » conspirationniste antisémite et furent diffusés dans les années 1990-2000 en Belgique par un dénommé Alain Escada. Alors membre de la direction du Front nouveau de Belgique (FNB), puis « compagnon de route » du FN belge, il s’agit de l’actuel président de Civitas.
Les « cellules contre-révolutionnaires » de Civitas
Depuis 1999, c’est l’Institut Civitas qui se charge de diffuser politiquement en France, en Belgique et en Suisse, le corpus idéologique politico-religieux des traditionalistes et autres intégristes catholiques. Issu directement de la FSSPX lefebvriste, « Civitas veut servir le Pays Réel [référence directe aux écrits de Charles Maurras et de Léon Degrelle] en restaurant une France catholique, en s’affranchissant de l’Union Européenne, de l’OTAN, de la haute finance internationale et des banksters. ». Cet institut précise encore : « Á la suite de la Cité Catholique [une officine traditionaliste fondée après la Deuxième Guerre mondiale pour prendre le pouvoir en France par l’infiltration de ses administrations et de son armée, ancêtre de la FSSPX et de Civitas] et d’autres mouvements, Civitas a développé et renforcé activement un réseau de cellules contre-révolutionnaires ».
Dirigé par un « état-major » (sic) sous la présidence d’Alain Escada, des militaires de haut-rang aujourd’hui à la pension font partie de cet institut lefebvriste dont l’objectif est la fin du système parlementaire actuel. Et son remplacement par le « Royaume de Jésus-Christ ».
En matière de « contre-révolution », l’une des références de Civitas est un ancien colonel de l’armée française, Pierre Château-Jobert. Décédé en 2005 à l’âge de 92 ans, lors de la Guerre d’Algérie, il avait rejoint l’Organisation armée secrète (OAS). Fondée clandestinement pour mener des actions terroristes contre le Front de libération nationale algérien (FLN), leurs partisans français et les gaullistes, l’OAS était constituée de militaires nationaux-catholiques, dont certains formés par la Cité catholique. Après la guerre, plusieurs d’entre eux poursuivront le combat contre le « communisme international » dans des réseaux confidentiels, dont Aginter Press, installée à Lisbonne sous la protection des services secrets de la dictature national-catholique salazariste.
Pour s’opposer à la subversion marxiste, ce Pierre Château-Jobert s’est consacré à l’écriture d’ouvrages mode d’emploi, pour la plupart éditée par la maison d’édition national-catholique Diffusion de la Pensée Française (DPF, sise à Chiré-en-Montreui) : Doctrine d'action contrerévolutionnaire en 1972, La confrontation révolution contrerévolution en 1975 ou encore La Voix du pays réel en 1981. Son nom est réapparu dans les années 1990 dans le comité de parrainage de la « bibliothèque privée Jeanne d'Arc », localisée à Paris, qui propose des livres antimaçonniques, antisémites, négationnistes ou « faisant l'apologie de Vichy » (in Jean-Yves Camus et René Monzat, Les Droites nationales et radicales en France : répertoire critique, Presses universitaires de Lyon, 1992, p. 154.).
Rien d’étonnant dès lors que cet ancien militaire français de l’OAS inspire, toujours de nos jours, ledit « état-major » de Civitas et son « réseau de cellules contre-révolutionnaires ».
Guerres de religion
Avant de présider Civitas, Alain Escada avait déjà été le président d’une autre association politico-religieuse, l’asbl Belgique & Chrétienté (B&C). Branche belge de Chrétienté-Solidarité, un mouvement parapolitique présidé alors par un des dirigeants de l’époque du FN français, B&C a été en réalité fondée en 1989 par un certain Ghislain Dubois. Après avoir mené en 2007 le Comité belge de soutien à Jean-Marie Le Pen, cet avocat liégeois - notamment des intérêts en Belgique des Le Pen - est coopté, l’année suivante, au bureau politique du Front national belge. Après avoir tenté sans succès de prendre le pouvoir au Parti populaire (PP), avec d’autres dissidents de celui-ci, Ghislain Dubois lance en 2017 le projet de la création d’un nouveau parti d’extrême droite, avec le soutien de Marine Le Pen et du Vlaams Belang, sous l’appellation de « Chez Nous ». Ce dernier ne sera fondé pour finir qu’en 2021, après les disparitions définitives du PP et du FN belge. L’emblème de la nouvelle formation politique du fondateur de Belgique & Chrétienté reprend le dessin d’un village, avec au milieu une église catholique et sa croix bien visible.
Outre la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, l’Institut Civitas et Belgique & Chrétienté, d’autres structures intégristes catholiques ont directement également été liées à l’extrême droite. C’est le cas de l’Opus Dei, des Légionnaires du Christ, de la Milice de Jésus-Christ, des Chevaliers de Saint-Michel et de Saint-Georges et de divers autres ordres de chevalerie semi-clandestins toujours voués à « la défense de l’Occident chrétien ». Certains de ces « croisés » des temps modernes ont des liens directs avec des cercles de partis au pouvoir, dans des cénacles politiques nationaux, comme au niveau du Parlement européen, dans la magistrature, la police et l’armée.
Les fous de Dieu nationaux-catholiques rêvent toujours d’une nouvelle inquisition et préparent, selon leur fantasme, les prochaines « guerres de religion »…
MANUEL ABRAMOWICZ
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© Dessin Stiky / RésistanceS 97 |
À l’occasion de la dissolution de l’Institut Civitas demandée par le ministre français de l’Intérieur, le 7 août 2023, avec un nouveau titre, une nouvelle illustration de tête, revu, augmenté et adapté à 2023, il a été republié sur le blog du Journal de RésistanceS le 9 août 2023.
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