Le Mouvement Nation touché par un schisme avant son congrès de ce samedi

RésistanceS Observatoire belge de l'extrême droite | Samedi 28 septembre 2019
Le président du Mouvement Nation, désormais contesté, Hervé Van Laethem et son service de sécurité constitué de naziskins, lors d'une de ses manifestations en 2012 - Photo Archives RIDAF


DISSIDENCE - Ce mois est celui des vingt ans du Mouvement Nation. Mais pourrait être aussi celui de son implosion. Depuis la mi-septembre, ce petit parti-mouvement d'extrême droite francophone est la proie d'une dissidence qui le divise en deux clans. Ce samedi, le premier tiendra - comme programmé - son congrès en vue d'élire ses nouvelles instances dirigeantes, pendant que ses contestataires interneorganiseront une assemblée générale pour fonder un nouveau mouvement politique - RETOUR À L'ÈRE GROUPUSCULAIRE ?


C'est exactement en septembre 1999, lors des « États Généraux du Nationalisme » qui regroupent, dans la capitale belge, des survivants de la terrible défaite électorale de l'extrême droite francophone aux élections qui viennent d'avoir lieu quelques mois auparavant, qu'un nouveau mouvement unitaire est fondé. Ses initiateurs proviennent essentiellement du Front nouveau de Belgique (FNB)
, une dissidence apparue en 1995 du Front national belge (FN belge). Ils sont conduits par un certain Hervé Van Laethem, ex-membre de la direction du FNB et chef de sa branche jeune. Mais surtout une référence incontournable de l'extrême droite pure et dure. Cet ex-militaire de carrière est en effet connu pour avoir participé, dès son plus jeune âge, au début des années 1980, à la nébuleuse néonazie : de l'Europese partij-Parti européen (EPE) au groupe L'Assaut, en passant par le Mouvement Européen ou encore le VMO-Bruxelles.


TURN-OVER JUSQU'À SA PREMIÈRE DISSIDENCE
La nouvelle structure qu'il met sur pied en septembre 1999 prend le nom de « Mouvement pour la Nation » et adopte pour emblème la croix celtique, le sigle de ralliement des radicaux de la droite nationaliste européenne. Il est fondé sous la forme légale d'une asbl et sera très vite rebaptisé en « Mouvement Nation ».

Nation ne fait cependant pas l'unanimité. Le Mouvement REF
, un groupuscule néorexiste wallon, pourtant participant actif aux États-généraux du nationalisme, refuse de se dissoudre pour adhérer au nouveau parti-mouvement. Le FNB reste lui en place, comme le FN belge. Ce dernier, profitant du passage de Jean-Marie Le Pen un an plutôt au second tour de la présidentielle française, va même aux élections de 2003 renaitre de ses cendres. Le Mouvement Nation a déjà raté son premier pari, celui d'unir les nationalistes de Bruxelles et de Wallonie. Pour survivre dans ce microcosme où la concurrence et les coups tordus sont quotidiens, il use d'une communication politique devant le faire passer pour le numéro un des forces politiques de son camp. Mais incapable de se présenter seul aux élections, le Mouvement Nation y va en faisant figurer ses candidats sur les listes du FNB, puis plus tard tentera un cartel avec une dissidence du FN belge. Par la suite, après l'atomisation totale des frontistes, il déposera des listes électorales sous son propre nom. Dans l'espoir de récupérer les électeurs orphelins du FN. Sans aucun succès.

Vingt ans après sa création, le bilan du Mouvement Nation est morose. Il a été incapable de construire une organisation politique efficace. Ses batailles pour faire élire des représentants dans les assemblées électives se sont systématiquement terminées en Waterloo électoraux. Le nombre de ses militants actifs est identique à celui de ses débuts. Incapable de garder sur le long terme dans ses rangs ses nouveaux adhérents, le 
turn-overest l'un de ses maux endémiques. Malgré une époque socio-économique favorable aux populistes, comme cela se voit partout ailleurs en Europe et en Flandre, le Mouvement Nation est resté à l'état groupusculaire. Seul bilan positif, il n'avait jamais été frappé par une dissidence interne, contrairement aux autres micro-partis d'extrême droite francophone. Jusqu'à la mi-septembre de cette année.

LA DISSIDENCE DE NATION
Le samedi 14 septembre dernier, après une réunion du comité exécutif consacrée à la préparation du congrès qui doit avoir lieu ce samedi, plusieurs cadres du Mouvement Nation ont claqué la porte, avec fracas, armes et bagages. Il faut dire que ce « comex » s'est déroulé sur le mode d'un ring de catch. Après une attaque verbale du secrétaire général, Olivier Balfroid, contre le président actuel de Nation, Hervé Van Laethem, le second s'est virilement confronté, avec coups de poing et tactiques de sports de combat qu'il affectionne particulièrement, avec le président du « Bureau régional de Bruxelles-19 », Eddy De Smedt, membre de Nation depuis 2011. Chez eux, les rapports, y compris internes, sont très physiques.


Olivier Balfroid en 2015 à Paris avec
Alexandre Gabriac, alors  dirigeant des
Jeunesses nationalistes, aujourd'hui
cadre de Civitas, un  mouvement
national-catholique fasciste.
Photo Archives RIDAF-France

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Quelques heures après le clash, Olivier Balfroid a annoncé la création d'un nouveau mouvement politique sous le nom provisoire de « La Dissidence (de Nation) ». Dans sa scission, Balfroid, utilisant également sur Facebook les alias d'« Olivier Frapchot » (on se demande bien pourquoi...) ou jadis de « Twist Chris », est soutenu par d'autres responsables du mouvement, comme le déjà cité Eddy De Smedt, mais également Astrid Demeunier, adhérente depuis 2012 et responsable de sa section d'Evere, ou Jean-Pierre Borbouse, un activiste bien connu d'extrême droite, depuis le début des années 1980, qui passa par plusieurs de ses chapelles, du Parti communautaire national-européen (PCN) au FN belge où il fut pour son compte député wallon et conseiller communal à Charleroi. Des anciens de la direction de Nation sont également réapparus pour apporter leur soutien aux dissidents. C'est le cas de Pascal Cornet, condamné pour une ratonnade contre un SDF polonais en juin 2015 (voir
l'enquête du journal RésistanceS à ce sujet et sa série sur le procès de ses six agresseurs).


CONTRE LES « DÉRIVES SECTAIRES »
À propos de la fracture provoquée au sein de Nation, Olivier Balfroid a annoncé sur les réseaux sociaux que « le Mouvement NATION a implosé suite aux départs d'un bon nombre de cadres et militants. En effet, pour ces derniers, il n'était plus possible de continuer avec une présidence dont les pratiques s’apparentent aux dérives sectaires. Dès lors, les nombreux départs ont suscité des tensions extrêmes au sein du mouvement NATION et sa présidence n'est plus que l'ombre d'elle-même. Les contestataires nommés provisoirement sous le nom de ''La Dissidence'' se réunissent en assemblée générale ce samedi 28 septembre à Gilly, 293 Chaussée de Montigny [au siège officiel du Mouvement Nation, locaux dont le propriétaire est Jean-Pierre Borbourse]. « Lors de cette assemblée générale, nous expliquerons en détails les raisons qui nous ont poussé au départ. Mais surtout, nous dévoilerons en partie notre nouveau projet qui se veut innovant, démocratique, moderne, dynamique et fédérateur. Ainsi déjà, un bon nombre de figures du camp patriotique seront présentes pour nous entendre et amorcer le dialogue en vue d'une collaboration. ».

Les dissidents ont notamment invité à participer à leur AG les contacts du Mouvement Nation listés pour les « 
États Généraux du Patriotisme » qu'il avait programmé, après la défaite électorale généralisée des listes d'extrême droite (Nation, AGIR et Les Belges d'abord) et de la droite populiste (Parti populaire, La Droite et les Listes Destexhe) au méga-scrutin du 26 mai dernier. Planifiés dans le même but que ceux du États Généraux Nationalisme de 1999, les nouveaux états généraux en question devaient rassembler tous les militants souhaitant l'unification des dits « patriotes belges » francophones, des plus radicaux au plus nationaux-libéraux. Incapable de mettre cette initiative pour se reconstruire en place, Nation dut l'abandonner.

AVEC AGIR
Les dissidents de Nation relancent désormais les personnes qui avaient été mobilisées pour les États généraux du patriotisme avortés. Dans l'objectif de fonder avec eux un nouveau mouvement politique large. Il espère qu'ils seront présents en nombre ce samedi à leur assemblée générale, à Gilly, dans les environs de la ville de Charleroi, dans l'entrepôt mis à disposition par Jean-Pierre Borbouse, qui jusqu'au début du mois servait encore de local officiel à Nation. Avec eux, le but de cette AG est de fonder un nouveau mouvement nationaliste et identitaire. Si cela est le cas, Nation ne pourra alors plus mettre en avant son slogan générique : « la seule alternative, l'unique opposition ».

Ce samedi, les dissidents de Nation devront donc être rejoints par plusieurs anciens et exclus de ce mouvement « national-solidariste ». Parmi eux est annoncé Salvatore Nicotra, le président-fondateur d'AGIR, 
le pseudopode direct et légal du FN belge, apparu en mars 2017. AGIR est le seul des partis d'extrême droite francophone à avoir toujours un élu, en la personne de Nicotra lui-même, au conseil communal de Fleurus, une commune de la région carolorégienne.

Mis en cause directement par Hervé Van Laethem et ses partisans, Nicotra a répondu sur les réseaux sociaux pour mettre les points sur les « i » : « 
Je suis loin de me réjouir de cette situation dont je ne suis pas responsable. Je prendrai contact avec HVL [Hervé Van Laethem]afin qu'il m'informe de la situation s'il le désire. Il n'a pas plus que moi de compte à rendre ! Quoi qu'il en soit, une fois de plus cette situation démontre que nous avons en Belgique l'extrême droite la plus bête du monde ! ».



Eddy De Smedt et Pascal Cornet (au centre) à la sortie d'une audience des « six de Nation » poursuivis
pour le tabassage d'un SDF polonais en juin 2015 © Photo RésistanceS – Bart Lemmens.



CONTRE-OFFENSIVE
La riposte du Mouvement Nation « canal historique » a été rapide. Dès les premiers jours de la fracture qui le frappe, son président a resserré autour de lui sa garde rapprochée - ou ce qu'il en reste - pour démontrer qu'il conserve une majorité au sein de la base militante. Ce qui semble être loin d'être le cas, selon les informations recueillies par le journal RésistanceS. 

Pour faire face aux dissidents, le Mouvement Nation s'est lancé dans une opération de propagande tous azimuts. Sur son site, il a publié, entre le 15 et le 25 septembre, plus de sept textes justificatifs. Van Lathem a aussi multiplié les postes sur son mur Facebook pour s'attaquer à ses pourfendeurs. Dans une vidéo, longue de plus de 17 minutes, il répond point par point aux divers « 
mensonges » sur les malversations financières, dont il est accusé par les dissidents, les coups qu'il a porté contre Eddy De Smedt ou encore les propositions de réorientation politique proposées par les membres de Nation aujourd'hui auteurs du schisme.

Le président-fondateur du mouvement identitaire a encore reçu l'appui de ses derniers partisans toujours présents. C'est le cas du secrétaire politique, Jean-Pierre Demol, un vieux nervis d'extrême droite. Membre du club des motards « Les Sudistes », au début des années 1980, ce Demol fut l'un des dirigeants du Mouvement social nationaliste (MSN), un groupuscule néorexiste du sud de Bruxelles qui participa en 1985 à la création du Front national belge, notamment avec le très néonazi EPE, dont Van Laethem était le chef des jeunes. Le mouvement Nation a également demandé à des anciens « camarades » de lui apporter un appui sans faille pour démontrer aux militants qu'il gardait le
leadership. Des mots de soutien ont été publiés sur le site Nation. Ils sont signés par François-Xavier Robert, ancien dirigeant du Front nouveau de Belgique (FNB), Yves Devos, ex-membre du bureau politique du FNB, Éric Vulsteke, un avocat retraité qui avait déjà milité dans les années 1960 dans les rangs d'Occident-Belgique, puis au Front de la jeunesse et au Parti des forces nouvelles (lors d'une opération commando contre un meeting de SOS Racisme-Belgique au Résidence Palace, dans le quartier européen de Bruxelles, cet avocat fut arrêté), Charles Marly (un pseudo, nom connu de notre rédaction), le rédacteur en chef de feu la revue belge du nationalisme blanc Devenir, d'Eddy Hermie, un ancien militant gauchiste devenu néonazi, puis membre du Vlaamse militanten orde (VMO), comme Van Laethem, et toujours président de la Nieuw-solidaristisch alternatief (N-SA), un micro-groupe dont il serait plus que le seul membre, et Pieter Kerstens, ancien cadre du PFN, de l'Association bruxelloise contre le déclin (ABCD), une des deux structures francophones pro-Vlaams Belang et chroniqueur spécialisé dans la dénonciation du « sionisme international » et de la « haute-finance vagabonde et anonyme », des termes codés de la novlangue d'extrême droite pour désigner les juifs. Avec Hervé Van Laethem et ses camarades, le naturel revient toujours au galop. Leur hymne pourrait être une parodie de la célèbre chanson du chanteur espagnol Julio Iglesias « Je n'ai pas changé ».

Lors de la fête d'anniversaire en septembre 2013 du Mouvement Nation,
Hervé Van Laethem arrive protégé de ses gardes du corps - Photo Archives RIDAF.


Outre ces quelques soutiens belges, dans l'épreuve qui le touche de plein fouet, Nation a reçu des messages de solidarité de dirigeants de partis et organisations étrangères, comme Juan Antonio Llopart et Antonio Martinez Cayuela, l'ancien responsable national et l'ex-secrétaire général du Mouvement social républicain d’Espagne, Vincent Vauclin, le président de la Dissidence française (un groupuscule dont les militants défilent en uniforme noir), Richard Roudier, le président de la Ligue du Midi (dissidence du Bloc identitaire français), Udo Voigt, ancien officier de l'armée allemande qui deviendra le seul député du Parti national-démocratique (NPD) et l'un de ses présidents, et Roberto Fiore, président de l'Alliance pour la paix et la liberté (APE), un parti pan-européen financé par le Parlement européen (dont Hervé Van Laethem avait la responsabilité de sa comptabilité), et secrétaire général de Forza Nuova, un des partis néofascistes actifs en Italie.

« NOS ENNEMIS NOUS TUENT »
Après le congrès du Mouvement Nation et l'assemblée générale de ses dissidents qui se dérouleront dans quelques heures maintenant, le journal RésistanceS reviendra prochainement sur cette énième implosion de l'extrême droite belge francophone.

Pour l'heure, laissons le mot de la fin à un supporter indéfectible d'Hervé Van Laethem, qui le 18 septembre dernier, écrivait sur son mur Facebook : «Si seulement toute cette énergie servait à lutter contre nos vrais ennemis, il y en a déjà tant, ceux qui nous spolient et ceux qui nous tuent.». L'extrême droite reste un milieu propice à la parano et aux thèses conspirationnistes qui vont avec.


ALEXANDRE VICK
RésistanceS Observatoire belge de l'extrême droite



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