La marche néonazi sur Bruxelles a été arrêtée

RésistanceS Observatoire belge de l'extrême droite  Dimanche 15 septembre 2019 – Modification : Lundi 16 septembre 2019, 21 h 01


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ARRESTATIONS – Malgré l'interdiction de leur « Marche sur Bruxelles », une cinquantaine de néonazis flamands, dont des proches du Vlaams Belang, y sont venus. En grand nombre et aidée d'un drone, la police a interpellé la majorité des contrevenants. Pour leur faire face, près de 200 antifascistes s'étaient également mobilisés. Connaissant ce qui allait arrivé, pourquoi les organisateurs de cette nouvelle « marche brune » dans la capitale l'ont néanmoins maintenu ?

Plus de 1.000 personnes s'étaient inscrites, sur Facebook, pour participer ce dimanche à une « Marche sur Bruxelles ». Le but de celle-ci était officiellement de protester contre l'écartement des négociations pour la formation d'un gouvernement en Région flamande du Vlaams Belang (VB), le parti d'extrême droite victorieux au méga-scrutin du 26 mai dernier. Par crainte de troubles à l'ordre public, le bourgmestre de Bruxelles-ville, Philippe Close (PS), a interdit vendredi cette « marche brune ». Pour ses initiateurs, elle devait être un remake de la « Marche contre Marrakech », organisée en décembre de l'année passée, par le VB, pour dénoncer le pacte international de l'ONU sur les migrations qui a ensuite été signé à New-York (voir ici le reportage du journal RésistanceS).

Comme l'a révélé, ce jeudi, le journal RésistanceS, la nouvelle marche était un projet de trois groupuscules néonazis : les Autonome nationalisten Vlaanderen (ANV), la « division flamande » de la Right Wing Resistance (RWR) et la bande du « soleil noir » de Tomas Boutens, l'ex-leader du groupe pré-terroriste Bloed Bodem Eer en Trouw (BBET, voir après cet article un lien vers le dossier de RésistanceS sur celui-ci). Selon le journal néerlandophone Het Laatste Nieuws (HLN) de vendredi, cette marche avait également reçu le soutien de bikers des Blue Angels, un club de motos lié à l'extrême droite. Ce qui semblait grandement préoccuper les services de sécurité, toujours d'après HLN. Une inquiétude faisant suite à la découverte récente d'explosifs et d'armes à feu dans ce milieu de motards. Comme le rappelaient le web-journal flamand Apache et le journal RésistanceS, Tomas Boutens, l'initiateur de la « Marche sur Bruxelles », dirigeait jusqu'il y a peu un autre club de bikers, le Mjölnir MC, dont le local à Lierde, en Flandre orientale, fut repris en mai dernierpar les Blue Angels.

Malgré son interdiction, les initiateurs de la marche de ce dimanche l'ont maintenu, dans le cadre d'un rapport de force qu'ils souhaitent établir contre les autorités politiques. Et pour démontrer leur détermination dans le cadre d'une « guerre de concurrence » entre les groupes d'extrême droite (nous y reviendrons plus loin sur ce sujet). Ils n'ont été au final qu'une cinquantaine de crânes rasés et de bikers chevelus, dont les caractéristiques communes étaient des tatouages ne laissant aucun doute sur leur appartenance idéologique, a débarqué dans la capitale. Espérant peut-être une certaine tolérance policière en leur faveur, comme cela fut le cas pour une mobilisation du Mouvement Nation (extrême droite francophone du courant « national-solidariste »), en avril 2014, également dans le centre-ville et aussi initiée pour soutenir le Vlaams Belang
.


Meeting antifasciste 
Pour protester contre cette « marche brune », Stand-Up, la coalition d'organisations de jeunesses syndicales et politiques contre l'extrême droite, tenait un meeting antifasciste dans les locaux de la CGSP, la centrale syndicale de la fonction publique de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), rue du Congrès, à côté de la colonne du Soldat inconnu. Non loin du rassemblement initial des néonazis.

Un des objectifs de ces derniers aurait pu être le parc Maximilien où se trouvent des migrants. Comme cela avait été le cas en décembre de l'année passée lors de la « Marche contre Marrakech ». La Plate-forme citoyenne qui prend en charge, depuis plus de 
deux ans, les réfugiés installés dans ce parc du nord de Bruxelles, avait organisé leur évacuation pour les mettre à l'abri dans des lieux protégés pour parer à toute attaque commando. Une opération très bien organisée, en coordination avec Stand-Up. 

Durant toute l'après-midi de dimanche, un dispositif efficace a été déployé. Des antifascistes, dont des Jeunes organisés combatifs (JOC, anciennement Jeunesse ouvrière chrétienne) et des redskins liégeois, faisaient des maraudes pour signaler toutes pénétrations suspectes dans les quartiers pouvant potentiellement être ciblés par les néonazis flamands. Ce quadrillage efficace et le meeting de Stand-Up au siège du syndicat CGSP a réunis près de 200 antifascistes, majoritairement jeunes. Un succès de mobilisation vu le laps de temps extrêmement court pour les organiser, de plus durant un week-end de grand soleil.

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Drome et commissaire Vandersmissen

Informées du départ, à partir de plusieurs gares flamandes, de militants des groupuscules d'extrême droite organisateurs de la marche, les forces de l'ordre étaient présentes en nombre au centre-ville pour empêcher toute tentative de défiler dans la rue, comme cela s'était produit lors de la « Marche contre Marrakech », en décembre 2018. 
Àla descente d'un train à la gare du Nord, sixpremiers néonazis sont arrêtés, non loin du parc Maximilien. Le reste du groupe le sera un peu plus tard, à quelques mettre de la gare Bruxelles-Central, devant les galeries Agora, de la reine et du roi. Les interpellations ont lieu devant une foule de touristes interloqués par l'agitation provoquée par cette bande de néonazis qui s'était mélangée à eux.

Trente sept personnes suspectes de vouloir manifester sont alors arrêtées, fouillées de la tête aux pieds, contrôlées et rapidement exfiltrées hors de la zone touristique. La police n'y a pas été par quatre chemins. Le déploiement a été important : plusieurs fourgons, une autopompe, des policiers en uniforme en grand nombre avec leur équipement anti-émeutes, une vingtaine d'autres en civil, supervisés par des agents incognitos mélangés aux touristes pour observer les alentours, une camionnette banalisée pour guider les opérations, un drome survolant le terrain pour informer de la situation au sol... Tout cela sur les ordres du célèbre commissaire aux allures de cow-boy, Pierre Vandersmissen.

Certains activistes d'extrême droite sont néanmoins passés entre les mailles du filet et ont continué à circuler dans les environs. Ils ont croisé des groupes d'antifascistes, du côté de la place De Brouckère et de la Grand Place. Divisés, isolés et minoritaires, ils ont très vite compris que plus rien n'était possible à faire. Fin de la tentative de la marche sur Bruxelles. Ils ont repris leur train pour le nord du pays.


Andy Hendrickx, activiste des Autonome
nationalisten Vlaanderen (ANV).
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« Prix à payer » et « sacrifice volontaire »

Parmi les personnes arrêtées se trouvent des militants connus des ANV, de la RWR-Vlaanderen, des anciens de BBET, des bikers du Mjölnir MC ou d'autres clubs de motos, mais également des personnes liées au Vlaams Belang ou à son service d'ordre, le groupe Voorpost. C'est le cas d'Andy Hendrickx (un fana d'Adolf Hitler et frère de Wesley Hendrickx, le chef des ANV), de Koen Jennes (qui n'hésite pas de s'afficher sur Facebook avec des gants rembourrés de barre de fer, près à la baston), de Peter Samson (un hooligan néonazi supporter du club de Bruges), de Ken Bernaerts (un jeune militant anversois nostalgique des combattants nazis de jadis), d'Hägar Ennogwa (le pseudonyme d'un motard d'extrême droite), du dite Nico Pierre (militant de Voorpost qui s'affiche sur Internet en compagnie de Filip Dewinter, le leader des radicaux du VB) et des jeunes militantes Debbie Alexia Vanden Eynde ou Vanessa Noels (liées au Voorpost et au Vlaams Belang).

Chez les interpellés, il y a bien entendu, le principal organisateur de la « Marche sur Bruxelles », avortée, Tomas Boutens. Lundi matin, après salibération, il écrira un compte-rendu des « événements » publié sur Facebook. Un véritable tissu de propagande : « Hier, la "Mars Op Brussel" a été un succès. Ceci bien que la manifestation statique prévue [sur la place d'Espagne, devant la gare Bruxelles-Central] ne puisse pas partir. Cependant, en raison des circonstances très difficiles, le taux important de participation était inattendu. Malgré une campagne de diffamation persistante contre nous et une interdiction de se rassembler, un grand nombre de manifestants flamands se sont tout de même rendus à Bruxelles pour donner un signal fort. »

Concernant les nombreuses arrestations, Boutens écrit  que ce « 
prix à payer » est un réel « sacrifice » accepté de manière « volontaire » par les militants de la cause nationaliste flamande. Le chef du « Soleil noir » se réjoui de la présence massive de la police pour les « accueillir » sur place. « Presque autant de policiers que lors de la Marche contre Marrakech étaient nécessaires pour nous empêcher de venir », note-t-il avec vantardise. Boutens félicitera encore ses troupes : « pas un seul cas de vandalisme, pas une seule résistance lors des arrestations. En bref : ce dimanche se sont des manifestants flamands disciplinés qui se sont rendus dans leur capitale pour revendiquer leurs droits. Hier, nous avons placé une désobéissance civile résolue et calme contre la répression aveugle. Nous remercions tous ceux qui n'ont pas cédé au doute et aux souffrances, mais ont défié la répression mise en œuvre contre eux.[...].Une fois encore, nous remercions tous les fils et filles de Flandre qui nous ont accueillis aujourd’hui avec une solidarité fraternelle et chaleureuse ce qui nous donne un espoir pour l’avenir ».

C'est un autre son de cloche qui sera exprimé par la porte-parole de la zone de police Bruxelles-Capitale-Ixelles, Ilse Van de Keere. Pour elle, « 
ils n'étaient pas là avec de bonnes intentions. Plusieurs de ses personnes [arrêtées]sont connues pour des faits de violences, des provocations à la discrimination ». Pour sa part, le président du Vlaams Belang, Tom Van Grieken, sur les antennes de la chaine flamande privée VTM, a estimé que l’interdiction d’une manifestation n’était pas une solution, mais a insisté pour souligner que son parti n’avait rien à voir avec cette initiative. Une évidence, le Vlaams Belang officiellement se dissocie de cette tentative de marche sur Bruxelles prévue initialement pour le soutenir. Dans la réalité, le VB et les néonazis en question font partie de la même famille politique, partagent une liste identique de cibles et ont le même rêve : l'édification d'un État national flamand basé sur une « communauté homogène », soit un peuple pur, comme l'écrit Filip Dewinter, le leader du courant historique et radical du Vlaams Belang, dans ses livres.

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Une marche pour se faire arrêter ?
Mais pourquoi donc les initiateurs de cette « Marche sur Bruxelles » l'ont-ils maintenu après son interdiction ordonnée par le bourgmestre Philippe Close ? Habitués des manifestations, ils ne pouvaient pas ignorer que la police n'allait pas les autoriser à marcher dans les rues de Bruxelles. Et que ceux qui le tenteront seront arrêtés, manu militari, et devront payer une amende administrative conséquente. Ce qui aurait dû dissuader ces militants d'extrême droite de venir.

La raison n'est dès lors pas dans le souhait de se faire arrêter par pur plaisir de se retrouver en cellule, mais sans doute dans l'objectif de populariser cette action. Par sa médiatisation dans la presse et sur les réseaux sociaux, selon leur grille de lecture, cette démonstration sera considérée comme courageuse et signifiera la nécessité de passer à des actions plus dures. Un signal envoyé en direction des jeunes membres du Vlaams Belang et de toutes les personnes souhaitant le passage à un degré supérieur des simples défilés nationalistes, trop « bons enfants » pour les purs et durs. En effet, chez les néonazis flamands qui ont toujours soutenu le VB, une frustration grandit de plus en plus. Forts du succès électoral du parti d'extrême droite, ils estiment que le temps est venu de passer à des actions plus radicales. Ce qu'empêchent systématiquement les gros bras du groupe d'action nationaliste Voorpost, qui sert durant les défilés de rue du Vlaams Belang de service d'ordre. Le président BCBG de ce parti est soucieux d'une respectabilité totale et d'une image nickel du VB. C'est la tolérance zéro pour tout débordement.



La « Marche contre Marrakech » du
Vlaams Belang reste la référence de
la nouvelle stratégie des néonazis
flamands, comme le montre cette
illustration diffusée sur leurs réseaux
sociaux – Archives RIDAF.
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Stratégie de la tension

C'est la raison pour laquelle, la bande de Tomas Boutens, les ANV et la division flamande de la RWR dynamisent, depuis plusieurs mois, une véritable stratégie de la tension. Dans le but d'agrandir, en recrutant chez les radicaux du VB et dans sa mouvance, la zone de combat pour la « guerre raciale » qu'ils prédisent, depuis toujours dans leurs publications. La même stratégie avait été notamment été mise en place au sein du Front national de la jeunesse (FNJ) de Nice par une bande de skinnazis.

Ceux qui sont venus à Bruxelles ce dimanche constituent les troupes de choc de l'extrême droite classique. Ils proviennent de groupes liés à un réseau européen néonazi qui préconise la lutter armée contre les ennemis de la « race blanche ». Ils servent de contacts locaux à des organisations paramilitaires étrangères : Blood & Honour (B&H, « Sans et Honneur », une des devises de l'Allemagne nazie), Combat 18 (C18, chiffre reprenant la première et la huitième lettres de l'alphabet, soit les initiales AH, celles d'Adolf Hitler), Racial Volunteer Force (RVF, « Force des volontaires raciaux »), etc. Avec en plus des connexions directes avec des bikers, également néonazis, liés à des gangs criminels. Cette deuxième « marche brune » à Bruxelles sera dès lors suivie, dans les semaines prochaines, de nouvelles provocations du même genre.



SIMON HARY

RésistanceS |Observatoire belge de l’extrême droite 




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