Chega, le retour de l’extrême droite 45 ans après la fin de la dictature salazariste ?

RésistanceS Observatoire belge de l’extrême droite Bruxelles | Mercredi 27 janvier 2021 | 09 : 30

Jeunes militantes à l’époque du salazarisme.





L’EXCEPTION PORTUGAISE EST-ELLE FINIE ? – Partout en Europe, depuis les années 1980-1990, l’extrême droite - radicale, identitaire, national-populiste… -  est passée de l’état de groupuscules à des « forces nouvelles » menaçantes pour l’équilibre politique des démocraties. Sauf dans la péninsule ibérique. Depuis, la donne a changé. En Espagne, il y a déjà eu récemment les succès de Vox. Depuis l’élection présidentielle de ce dimanche au Portugal, l’extrême droite est également devenue une réalité locale. Sous les couleurs du parti « Chega ! » - RADIOSCOPIE 


« Des tempêtes nous en ferons un espoir. Pour le Portugal, pour les Portugais ». Le slogan est direct, simpliste. C’est l’un de ceux du parti « Chega ! » (« Ça suffit ! » en français). Nouveau venu au Portugal, il a été fondé en avril 2019. Dénonçant l’ensemble de la classe politique, ses fondateurs proviennent pourtant de celle-ci. Ce sont pour la plupart des dissidents du Partido social democrata (PSD), la vielle formation de centre-droit d’où provient José Manuel Durão Barroso, le président de la Commission européenne de 2004 à 2014. Parmi les dissidents, il y a un certain André Claro Amaral Ventura (38 ans). Il fut longtemps membre du PSD, de 2001 à 2018. Il deviendra le chef-fondateur de Chega. Ces scissionnistes « sociaux-démocrates » très à droite ont ensuite fusionné avec le minuscule Partido cidadania e democracia cristã (Parti de la citoyenneté et de la démocratie chrétienne), apparu il y a onze ans pour défendre, sans succès, une ligne idéologique démocrate-chrétienne, catholique et « pro-vie » (son premier nom était Portugal pro Vida, en français « Portugal pro-vie »). 


LE PEN, SALVINI… POUR EXEMPLES

Depuis, Chega, sous des allures plus modernes et adaptées à notre époque, se revendique officiellement comme étant « national, conservateur, libéral et personnaliste ». Ce dernier est un courant politico-religieux, apparu en France dans les années 1930, qui a proposé une voie alternative au capitalisme libéral et au marxisme. À la lecture de son manifeste de fondation, de son programme électoral et de ses liens politiques, Chega est de toute évidence, certes avec un style très bon chic, bon genre, un parti d’extrême droite des plus classiques. Les cibles de ses discours : les Noirs, les Roms, les homosexuels... Notamment.

Son modèle politique étranger : le Rassemblement national de Marine Le Pen. Ventura s’est d’ailleurs déjà présenté en sa compagnie à Lisbonne, lorsque que la fille du président-fondateur du Front national français est venue le soutenir pour sa campagne électorale, au début de ce mois. Sans oublier, comme autre exemple à suivre, l’ancien ministre de l’Intérieur Matteo Salvini, chef de file de l’extrême droite italienne. Sans aucun élu au Parlement européen (voir supra), Chega a néanmoins rallié le parti européen « Identité et Démocratie » (ID) qui regroupe le Rassemblement national français, la Liga italienne ou encore le Vlaams Belang.


DICTATURE SALAZARISTE

Malgré le dynamisme de son leader, les premiers résultats électoraux de Chega sont d’abord limités. Mais vont très vite annoncer le retour à l’Assemblée de la République (le parlement portugais) de l’extrême droite, quarante-cinq ans après la fin de la dictature salazariste (sous la forme d’un fascisme national-catholique). Une sombre et longue période qui avait immunisé semble-t-il le pays du virus populiste national-identitaire xénophobe, présent et actif dans le reste de l’Europe depuis les années 1980-1990.

Dans la circonscription de Lisbonne, aux élections législatives d’octobre 2019, avec seulement 1,29%, Ventura est élu député. Aux régionales qui ont lieu la même année dans les Açores, son parti obtient un peu plus de 5 % et deux sièges sur cinquante-sept. Lors des élections régionales, toujours en 2019, à Madère, son score est ridicule : 0,43 %. En mai 2019, au scrutin pour le Parlement européen, Ventura, la tête-de-liste de Chega récolte juste un peu plus de un pourcent, contrairement à ses ennemis politiques de gauche du Partido comunista português Bloco de esquerda, dont les leaders sont élus eurodéputés. Ce qui ne va nullement décourager les « chegaïstes ». Les résultats de Ventura, un peu plus de 11 %, au premier tour de l’élection présidentielle de ce dimanche est maintenant pour eux un signe d’encouragement inespéré.


LA FIN DE L’EXCEPTION PORTUGAISE ?

Ce score inédit a été salué ailleurs en Europe par des dirigeants d’extrême droite. Comme par hasard. « Spectaculaire progression que les caciques des partis traditionnels ont du mal à encaisser. Comme Vox en Espagne, Chega est sorti du quasi néant d’une droite nationaliste longtemps marquée du signe de la bête, ‘’le Salazarisme’’ », déclare par exemple Jean-Claude Rolinat, un des membres du bureau politique du Parti de la France, une micro-formation rassemblant des anciens du FN.

Pour la présidente du Rassemblement national : « Chega troisième force politique du Portugal après quelques mois d'existence ! [Marine Le Pen ne semble pas bien connaitre son homologue portugais né en avril 2019, pour rappel]. Félicitations à André Ventura pour la remarquable campagne présidentielle qu'il a menée. Nous avons beaucoup de belles choses à construire ensemble avec nos alliés européens ! »

Ces 11 % pour le candidat Ventura des 40 % des électeurs portugais peuvent-ils cependant être comparés aux votants frontistes ? L’histoire de l’extrême droite lusitanienneest lézardée et relève de marginaux politiques depuis la Révolution des Œillets de 1974. « C’est un des rares pays des Vingt-Sept qui n’a pas vu surgir sur sa droite de parti ou mouvement capable de bouleverser le jeu politique traditionnel », note la journaliste Gwenaëlle Lenoir, auteure du chapitre sur le Portugal du livre « Les Nationalistes à l’assaut de l’Europe » (éditions L’Harmattan, 2020). Dans ses pages, elle rappelle le parcours de la droite nationaliste post-salazariste, représentée jusqu’alors par des groupuscules insignifiants, comme le Partido nacional renovador ou l’Aliança nacional. Pour Gwenaëlle Lenoir face à la situation au Portugal, « tout était réuni, sur le papier, pour qu’émerge et réussisse un parti populiste de droite là où l’extrême droite traditionnelle échouait. Et pourtant, rien ne se produit. Les partis populistes naissent, puis s’étiolent les uns après les autres. »

Mais « aujourd’hui, les observateurs de la scène politique portugaise regardent avec une curiosité́ placide deux nouvelles formations. La première, Aliança, menée par un ancien et fugace premier ministre de droite, Santana Lopes, espère attirer les déçus du PSD. Mais il peut difficilement tenir un discours antisystème crédible, étant donné sa longévité́ dans le champ politique traditionnel portugais. La deuxième, Chega, a été elle aussi créée par un dissident du PSD, André Ventura. » 

Le succès électoral de ce dernier au premier tour de la présidentielle de dimanche dernier sera-t-il lui aussi éphémère ou annonce-t-il la fin de l’exception portugaise ?


 

SIMON HARYS
RésistanceSObservatoire belge de l'extrême droite

 

 


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