August Borms, Staf De Clercq : de quoi et de qui parle-t-on ? Par Pascal Delwit (ULB)

Dictionnaire de l'extrême droite flamande

RésistanceS Observatoire belge de l'extrême droite | Bruxelles | Jeudi 14 janvier 2021 | 18 : 01


MÉMOIRE FLAMANDE – La « digestion » de l'Occupation nazie allemande de notre pays ne passe toujours pas. Comme Pétain en France, en Flandre, des ex-collaborationnistes sont toujours honorés. Avec une excuse : leur rôle dans l'« émancipation du peuple flamand » (sic). Son parlement vient ainsi de mettre deux illustres « collabos » en avant. Est-ce acceptable ? Voici pour RésistanceS, la réponse du professeur de sciences politiques de l'ULB Pascal Delwit – [M.AZ].


C’est Marc Reynebeau qui a levé le lièvre dans le quotidien flamand « De Standaard » ce mercredi 13 janvier 2021, relayé par un débat sur les réseaux sociaux. Dans une brochure encartée dans le magazine « Newsweek » à l’occasion du cinquantième anniversaire du Parlement flamand, quatorze personnalités sont mises à l’honneur pour avoir contribué à « façonner l’émancipation linguistique et du peuple » en Flandre. Parmi celles-ci, August Borms et Staf De Clercq (sur notre illustration ci-dessus).

Cette présence a choqué le journaliste flamand Reynebeau comme elle devrait choquer – plus que choquer en fait – tout démocrate. Borms et De Clercq appartiennent tous deux au mouvement flamand non-démocratique. 


PARTI DU FRONT

Le premier collabora avec les autorités allemandes durant la première guerre mondiale, fut condamné à mort à l’issue du conflit avant que sa peine ne soit transformée. Durant l’entre-deux-guerres, il avait frappé les imaginations, en 1928, lors d’une élection partielle à Anvers où il l‘avait nettement emporté, pour le compte du Frontpartij, avec plus de 83 058 voix de préférence, largement devant son challenger Libéral, Paul Baelde. Borms ne siégea pas car il était inéligible. Il n’aurait d’ailleurs normalement pas pu soumettre sa candidature. Mais cette élection créa un choc en Belgique. Lors de la deuxième guerre mondiale, il collabora à nouveau avec le régime nazi cette fois et se fit d’ailleurs verser des indemnités pour sa collaboration pendant la première guerre mondiale. Au terme du conflit, il fut une nouvelle fois condamné à mort. Borms fut exécuté en avril 1946.

Staf De Clercq était aussi un militant du Frontpartij, porté sous les fonts baptismaux au lendemain de la première guerre mondiale. Le Frontpartij fut la première formation à revendiquer le fédéralisme en Belgique. Transversale politiquement, le Frontpartij accueillit des personnalités d’horizons et de sensibilités politiques diverses. C’est Staf De Clercq qui dans une large mesure transforma l’essence du parti. 


COLLABORATION AVEC LES NAZIS

Après un scrutin décevant en 1932, Staf De Clercq modifia le parti en Vlaams Nationaal Verbond (VNV). Initialement, le VNV ne peut sans doute pas être qualifié de parti d’extrême droite mais il atteste néanmoins d’une radicalisation droitière dans une partie du mouvement flamand au début des années trente, exacerbation qui ne touche d’ailleurs pas que la question linguistique. En 1936, le VNV opère une percée importante en Flandre qu’il confirme aux scrutin communal de 1938 et législatif de 1939 alors que le parti emprunte de plus en plus les traits d’un parti d’extrême droite et une rhétorique antisémite.

En 1940, De Clercq emmène le VNV dans la collaboration avec les autorités du régime nazi et nombre de personnalités de ce parti deviendront d’ailleurs bourgmestre d’une commune en Flandre.


OPPROBRE SUR LE MOUVEMENT FLAMAND

Ce sont donc des collaborateurs du nazisme qui sont « célébrés » pour leur concours à « l’émancipation linguistique et du peuple » en Flandre. On peine à saisir.

À saisir comment ces parcours qui sont mentionnés dans l’encart permettent d’intégrer ces personnalités dans cette galerie ; des personnalités qui ont concouru aux pires exactions du nazisme, notamment à l’endroit de la communauté juive ; des personnalités qui, au lieu de contribuer à crédibiliser la légitimité de revendications flamandes, les ont délégitimées et ont jeté l’opprobre sur tout le mouvement flamand.


PASCAL DELWIT
invité par le 
Journal de RésistanceS
Observatoire belge de l'extrême droite






QUI EST PASCAL DELWIT ?

Son texte que vous venez de lire ci-dessus a été publié une première fois, ce mercredi 13 janvier 2021, sur Facebook. Il est reproduit sur notre site avec son aimable autorisation. Le chapeau et les sous-titres sont de la rédaction de RésistanceS.

Né en 1961 à Bruxelles, d'une maman employée et d'un papa ouvrier, Pascal Delwit est professeur de sciences politiques à l'Université libre de Bruxelles (ULB). De 1995 à 1997, il est le vice-président de son conseil d’administration. Ensuite, Pascal Delwit devient président du département de Science politique de l'université. De 2000 à 2006, il va diriger le Centre d'étude de la vie politique (Cevipol), avant de devenir le doyen de la Faculté des Sciences sociales et politiques - Solvay Brussels School of Economics and Management.

Pascal Delwit est l'auteur ou le directeur de livres, tous parus auxÉditions de l’Université de Bruxelles, consacrés aux partis politiques à l'échelle belge et au niveau européen. Citons notamment : « Introduction à la science politique » (2018), « Les gauches radicales en Europe. XIXe-XXIesiècles » (2016), « PTB. Nouvelle gauche, vieille recette » (2014), « La vie politique en Belgique de 1830 à nos jours » (2012), « Du parti libéral au MR. 170 ans de libéralisme en Belgique » (2017), « Les partis politiques en France » (2014), « Le Front national. Mutations de l’extrême droite française » (2012)...

Depuis sa création, RésistanceS a eu l'occasion à plusieurs reprises de participer à des conférences-débats et des émissions télévisées avec Pascal Delwit [M.AZ].



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