« Une fascisation de l'espace public ? », le premier débat des Forums en résistance

RésistanceS Observatoire belge de l'extrême droite  Mercredi 4 décembre 2019

L'affiche des Forums en résistance au théâtre de Poche, le samedi 30 novembre 2019.


DU NET AU TERRAIN – Samedi dernier, premier Forum en résistance au Théâtre de Poche de Bruxelles. Ce nouveau rendez-vous est proposé par l'asbl RésistanceS. Marie Carter et Jean-Pierre De Staercke, journalistes indépendants depuis plus de trente ans (aux quotidiens Le Peuple,Libertés,La DH,L'Avenir....) et membres de la rédaction de RésistanceS (et avant d'Article.31 et CelsiuS), vous proposent ici quelques extraits du premier débat de ce premier forum.

Sous un soleil rayonnant et un ciel bleu d'automne, au coeur du Bois de la Cambre, plus de septante personnes, dont de nombreux étudiants de l'Université de Louvain et quelques anciens de la Haute École Libre de Bruxelles-Ilya Prigogine, s'engouffrent au Théâtre de Poche, haut lieu bruxellois de la scène culturelle. Ils viennent y assister au premier Forum en résistance proposé et entièrement organisé, jusqu'au samedi 9 mai prochain, par l'asbl RésistanceS et son périodique papier, LE JOURNAL de résistances, avec le soutient d'OXFAM, l'asbl DécliK, l'association Quartier sans racisme, le journal POUR, le site POUR.press, le cabinet juridique Watt, Presse Volders, la RCF, la brasserie saint-gilloise l'Union et le Théâtre de Poche.

Ce samedi 30 novembre, deux débats sont au programme. Le premier va se développer autour de la question de savoir s'il y a actuellement une « fascisation de l'espace public ». Le second va interpeller plusieurs responsables politiques (trois femmes et un homme !) pour s'avoir si le « monde politique est affecté ou infecté par l'extrême droite ? ». Ce dernier débat fait l'objet d'un autre article qui sera tout prochainement publié sur notre site.

Le premier panel des Forums en résistance © Theo Poelaert / RésistanceS

APPLICATION DU PROGRAMME DU VLAAMS BELANG
Les intervenants réunis par RésistanceS pour le premier débat sont Johan Leman, anthropologue, directeur-fondateur du Centre pour l’égalités des chances et la lutte contre le racisme, président de l'asbl néerlandophone molenbeekoise Le Foyer et professeur honoraire de l'Université de Leuven (KUL), Jean-Claude Garot, rédacteur en chef de POURet de Pour.press, Marie Gobert, militante du groupe Action citoyenne contre les mesures gouvernementales et du mouvement social des Gilets jaunes, Serge Govaert, spécialiste du nationalisme flamand, membre et chercheur au Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP), et Alexis Deswaef, avocat et président d’honneur de la Ligue des droits humains.

Après une introduction, Manuel Abramowicz, rédacteur en chef du JOURNAL de résistances, donne directement la parole à Alexis Deswaef. L'avocat, spécialiste notamment en droit des étrangers, rappelle que le Vlaams Blok a changé de nom, en 2004, pour devenir le Vlaams Belang, après que ses asbl de structuration aient été condamnées pour racisme suite à une plainte déposée par le Centre pour l'égalité de Johan Leman. Au début des années 1990, ce parti d'extrême droite flamand avait écrit un programme en 70 points pour « mettre fin à l'immigration ». Pour la Ligue des droits humains, Alexis Deswaef a réalisé, en 2015, une étude détaillée sur ce plan du VB.

Conclusion : un tiers de ses points seront mis en œuvre par les gouvernements successifs, jusqu'à celui de Charles Michel (MR) conduit avec la N-VA. Avec cette précision de taille : « si un tiers est inapplicable, le dernier tiers n’est plus tabou pour les partis dits démocratiques ». Le président honoraire de la Ligues a rappelé qu’après la diffusion de son étude, De Standaardl’avait « écorché vertement ». À tel point qu'il envoya un droit de réponse au journal social-chrétien flamand. Plusieurs années plus tard, le même quotidien arrivera pourtant au même constat établi par Alexis Deswaef, en faisant même de ce sujet sa Une.

L'avocat Alexis Deswaef (LDH) et le chercheur
Serge Govaert (CRISP) 
© Theo Poelaert / RésistanceS
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UNE DIFFERENCE EN FLANDRE ?
Le spécialiste du mouvement nationaliste flamand Serge Govaert (CRISP) est intervenu pour souligner que l’extrême droite est peu présente à Bruxelles et pratiquement plus du tout en Wallonie. Il a rappelé que l’histoire de la Flandre est liée à un mouvement national-flamand dans son ensemble. Un mouvement social qui revendiquait l’égalité des droits par rapport aux francophones (Wallons, Bruxellois et Flamands) qui dominaient alors le monde politique, institutionnel et économique, également dans le Nord du pays. Le mouvement flamand penche, petit à petit, et de plus en plus, à droite. Par contre, le mouvement wallon est fortement ancré à gauche. Selon Serge Govaert, la gauche n'est jamais vraiment arrivée à s'implanter en Flandre, devant faire face à une catholicisme fortement développé sur l'ensemble du territoire.

Ancien directeur de 1993 à 2003 du Centre fédéral pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme (devenu Unia), Johan Leman enchaîne dans le même sens. En comparant la Flandre au nord de l’Italie où le catholicisme est également fort implanté. Pour ce professeur qui a enseigné l'anthropologie à l'Université catholique de Leuven, il existe en Flandre un certain réflexe populaire qui repose sur l’angoisse. Sur cette base-là, « le Vlaams Belang triomphe dans les communes où il n’y a pratiquement pas – voire pas du tout – d’immigrés ». La même angoisse n’est pas présente à Bruxelles, « parce que chacun a au moins un voisin ou une connaissance étrangère ».

Johan Leman, professeur à
la KULeuven
© Manuel Abramowicz / RésistanceS.
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ÉTAT FORT, EXTRÊME DROITE
ET RÉPRESSION DES GILETS JAUNES

Le journaliste Jean-Claude Garot a, pour sa part, d'abord rappelé le contexte des années 1970. À l'époque, il fallait faire face à un « État fort », dont certaines composantes avaient des liens directes avec des organisations d'extrême droite. Une situation dénoncée par des enquêtes d'investigation de POUR, un hebdomadaire de la gauche radicale, que dirigeait Garot. Ce journal sera la cible d'un attentat au début des années 1980. Le journal POURallait ensuite disparaître, pour réapparaître en 2015. L'intervenant de ce débat de RésistanceS a soulevé ensuite « le tourbillon de l’argent fou », en insistant sur le fait que, « de tout temps, le capital - et le grand capital - se sont rangés du côté du plus fort ou de ce qui allait être le plus fort ». Selon lui, c’était vrai hier, comme c’est encore le cas de nos jours.

La fascisation de l'espace public se traduit pour Marie Gobert, militante du mouvement social des Gilets jaunes, par une répression sauvage et démesurée de celui-ci par les forces de police. Avec « des arrestations administratives systématiques avec colsons aux poignets dans le dos, sans parler des jets de lacrymogènes et des matraquages en règle ». L'avocat Alexis Deswaef partage cette indignation en soulignant qu’il s’agit « d’une dérive sécuritaire contraire aux libertés constitutionnelles ». Il relève « le nombre de mains arrachées et de personnes ayant perdu un oeil, suite à des tirs de LBD ». Le « lanceur de balles de défense » est le nom d'une arme sublétale répressive utiliser par la police française. Le LBD utilise des projectiles qui doivent en pratique se déforment en s'écrasant sur la cible. Théoriquement, lorsqu'ils touchant leur cible, ses projectiles doivent limiter le risque de pénétration dans un corps vivant. L'objectif d'un LBD est de dissuader ou d'arrêter un manifestant. Leur utilisation massive par les forces de l'ordre pour réprimer les gilets jaunes a donner lieu à de terribles blessures irréversibles. 

Marie Gobert, militante Gilet Jaune, et Jean-Claude Garot, rédacteur en chef du journal POUR.


CONTROLÉ À DIX ANS !
Le dernier intervenant au panel de ce débat, Hassan, un Saint-gillois de l’asbl Déclik, employé dans une épicerie sociale la journée et étudiant en cours du soir, va pointer le doigt sur la confrontation au racisme quotidien que doivent faire face les jeunes de quartiers populaires. Il relate d'abord sa recherche désespérée pour une colocation. Le racisme, étape suprême de l'extrême droitisation de la société, se développe partout. « Déjà, à ce stade, il y avait de la discrimination de la part des éventuels colocataires », affirme-t-il. Hassan précise : « Mais ce n’est rien en comparaison des propriétaires, auprès desquels je cherchais un appartement ».

Témoignage d'Hassan, un jeune d'un quartier
populaire © Theo Poelaert / RésistanceS.
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À propos des contrôles policiers en rue, il dit : « La premier fois que j'ai été contrôlé et fouillé par un policier, j'avais... 10 ans ! ». Une expérience qui laisse tout naturellement des traces. Le racisme à la police reste une réalité et induit un comportement de méfiance à son égard de la part des jeunes des quartiers populaires.

LA SÉCURITÉ COMME CHEVAL DE TROIE 
Retour sur l'influence de l'extrême droite dans l'espace politique. Serge Govaert rappelle que, jadis, le CVP, ancêtre du CD&V, avait la majorité absolue en Flandre, soit 50 % et plus, et que ce n’est pas pour rien qu’il s’est effondré dans les urnes. « Le curé du village disait pour qui il valait voter. Maintenant, il est moins présent et, en tout cas, il ne le dit plus », a martelé le chercheur du CRISP. Mais de souligner que « la N-VA n’est pas d’extrême droite ». Ce qui suscita du remous dans la salle. Pour Govaert, la meilleure preuve, selon lui, ce fut le choix de la désignation de Zuhal Demir comme secrétaire d’État du gouvernement fédéral de Charles Michel, avec le portefeuille de la lutte contre la pauvreté et pour l’égalité des chances. Filip Dewinter, un des fers de lance du Vlaams Belang, a reconnu que jamais son parti « n’accepterait qu’un élu ne puisse être d’origine musulmane ».

Alexis Deswaef a qualifié la politique du gouvernement Michel de « politique austéritaire », appliquant en partie une politique d’extrême droite. Il a rappelé que l’ex-ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, s’était rebaptisé « ministre de la Sécurité » (voir à ce sujet notre article Sécurité et immigration, les deux mots idéologiques de la N-VA). Quelques années auparavant, le numéro deux de la N-VA avait été l'un des cofondateurs de la section de Braschaat du Vlaams Blok. Mais, pour appliquer son programme, Jambon décida, au milieu des années 2000, de rejoindre de manière opportuniste l'Alliance nouvelle flamande. Sur le thème de la sécurité, la N-VA s'est engouffrée dans un cheval de Troie pour se retrouver au coeur du Royaume de Belgique et appliquer à la lettre son corpus doctrinal (voir notre dossier sur ce thème).

Aux Forums en résistance, la parole est aussi dans la salle.


ASSISES CITOYENNES
Après ce tours de table des plus utiles, avec les intervenants du premier débat des Forums en résistance, pour planter le décor de la situation politique actuelle, la parole a été donnée à la salle. Permettant d'entendre les nombreux avis et questions du public. Ils furent vifs, intéressants, réflexifs, sans tabous et polémiques. Dans la plus pure tradition des assises démocratiques citoyennes, hélas de plus en plus limitées dans notre espace public, ce qui favorise justement l'extrême droite. Pour combler cet état de fait, l'asbl RésistanceS propose en février prochain la suite de ses Forums en résistance.


MARIE CARTER & JEAN-PIERRE DE STAERCKE


(avec ANNE CREMER)
RésistanceS Observatoire belge de l'extrême droite 




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