Les intégristes catholiques de Civitas veulent-ils s’implanter en Wallonie ?

RésistanceS Observatoire belge de l’extrême droite  | Mardi 6 avril 2021  | 19 : 20


ENQUETE SUR UN NID DE CATHOS PURS ET DURS - Bras politique de la Fraternité Saint-Pie X lefebvriste, Civitas est devenu en 2016 un parti politique, tendance nationale-catholique d’extrême droite. Depuis quatre mois, il tente de se réimplanter dans notre pays. Avec des affiches contre la « dictature sanitaire », récemment collées sur les murs du campus de l’Université Catholique de Louvain et de plusieurs communes wallonnes.  

 

Depuis le mois de février de cette année, dans plusieurs communes de la province de Namur, à Bouge et Champion par exemple, des affiches contre ladite « dictature  sanitaire » sont apparues. Affirmant qu’il y a une « tyrannie démocratique », ces visuels de propagande scandent encore : « Refusons le contrôle de Big Pharma ». En Illustration, une brochette de « conspirateurs » : Bill Gate, secondé par l’ex-premier ministre français Édouard Philippe, l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn, le président Emmanuel Macron, les actuels ministre de la santé Olivier Véran et premier ministre Jean Castex. Depuis quelques jours, les mêmes affiches ont été collées sur des murs du campus de l’Université Catholique de Louvain, dans la province du Brabant wallon.

 

Apposées en Wallonie, ces affiches, réalisées sous le modèle d’affiches de cinéma, ont indéniablement une origine française. Elles sont effectivement signées par Civitas, une structure politique basée en France.

 

INTÉGRISTES NATIONAUX-CATHOLIQUES LEFEBVRISTES

De son nom complet Institut Civitas, il s’agit de la branche politique de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), le mouvement religieux catholique fondé en 1970 par monseigneur Marcel Lefebvre (1905 -1991). Excommuniée de l’Église par le Vatican en 1988 pour pratiques révolues, la FSSPX poursuit seule sa croisade contre les « fausses religions » (juive, musulmane et protestante) au sein d’infrastructures développées dans le monde entier, à partir de sa « capitale » installée à Écône, dans le Valais suisse. Sa vision religieuse est primitive, conservatrice et traditionaliste. Ses messes sont exclusivement dites en latin, selon le rite religieux des origines. Proposant une « Cité catholique », la FSSPX revendique la création d’États théologiques autoritaires où les lois des Hommes seront proscrites au profit des écrits bibliques.

 

Politiquement, ce courant catholique n’a jamais caché son attachement pour les dictateurs catholiques européens : le Portugais Salazar (1889-1970), l’Espagnol Franco (1892-1975) et le Français Pétain (1856-1951). Idéologiquement, la FSSPX se nourrit encore de nos jours des écrits de Charles Maurras (1868-1952), le théoricien monarchiste français du « nationalisme intégral » et de l’« antisémitisme d’État ». Des prêtres en soutane stricte ont célébré des messes en l’honneur de personnalités de l’extrême droite européenne, comme le fasciste espagnol José Antonio Primo de Rivera (1903-1936), le premier numéro deux du FN français François Duprat (1940-1978), le chef du rexisme Léon Degrelle (1906-1994), l'ex-milicien français Paul Touvier (1915-1996), l'écrivain fasciste et négationniste Maurice Bardèche (1907-1998) ou encore le propagandiste antisémite Henry Coston (1910-2001).


LES FRÈRES MUSULMANS DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE

Dans les années 1980, la FSSPX soutient en France le Front national de Jean-Marie Le Pen et en Belgique, le FN du docteur Daniel Féret. Plusieurs élus frontistes belges proviennent de la FSSPX, dont l’un de ses députés fédéraux. Après un compagnonnage de route avec la droite radicale « institutionnalisée », les lefebvristes vont tenter une expérience électorale autonome en France, via son Institut Civitas, qui se transforme en 2016 pour l’occasion en parti politique. Cependant, après l’annonce d’une présence aux élections européennes de 2019, Civitas - faute de compétences suffisantes pour y parvenir - annonce qu’il renonce. Aux élections municipales françaises de 2020, des membres du nouveau parti national-catholique déposent des listes d’« intérêt municipal » ou se présentent sur des listes idéologiquement proches. C’est à nouveau l’échec.

 

C’est officiellement en 1999 que l’Institut Civitas a été fondé par la fraternité lefebvriste. Il agit en marge de la sphère strictement religieuse. Ses premiers affiliés sont les jeunes de la FSSPX dont l’éducation religieuse a déjà été accomplie au sein des organes internes du mouvement catholique intégriste : chez ses scouts, dans ses groupes de la Croisade Eucharistique, dans ses écoles maternelles, primaires et secondaires. La FSSPX propose une contre-société sectaire qui se développe à l’ombre de l’éducation nationale. Civitas sert d’étrier pour agir dans la sphère politique. Sur le mode opératoire proposé par Jean Ousset (1914-1994), l’idéologue de référence de la Fraternité Saint-Pie X. Ousset préconise notamment l’infiltration des organismes étatiques (administration, justice, police, armée…) par des cadres catholiques bien formés. Les lefebvristes sont au catholicisme ce que sont les Frères musulmans à l’islam.


Alain Escada en janvier 2016, lors d’une conférence intitulée « Regard catholique : le rexisme et son chef Léon Degelle » - Archives RIDAF.


UN BELGE À LA TÊTE DE CIVITAS

Le président de l’Institut Civitas est le Belge Alain Escada. Ancien secrétaire personnel du lieutenant-général Émile Janssens, l’ex-chef de la Force publique au Congo belge, Escada provient des rangs de la droite belge conservatrice, nationaliste, monarchiste et catholique. Dans les années 1990, il monte au Front national de Daniel Féret, suit sa scission de 1995, cofonde le Front nouveau de Belgique (FNB), puis revient au FN avant de se rapprocher des nationaux-solidariste du Mouvement Nation. Disciple des messes en latin de la FSSPX, Alain Escada est actif chez ses laïcs. Notamment à travers Belgique & Chrétienté qu’il préside. Avec cette petite association, le jeune intégriste de l’époque participe à la direction de la mouvance d’extrême droite belge francophone.

 

En 2007, après une action judiciaire intentée contre deux journalistes de RésistanceS, David Lefebure et Nadia Geerts, ainsi que contre son asbl éditrice, l’association Belgique & Chrétienté perd devant le tribunal correctionnel. La « mouvance identitaire » qu’elle tente d’animer est également en échec. À partir de ce moment, Alain Escada est de plus en plus présent outre-Quiévrain. En 2009, il est désigné secrétaire général de Civitas. Trois ans plus tard, il en devient son président. L’activité d’Escada en France avec Civitas coïncide avec un souhait de la FSSPX de se faire plus discrète au niveau politique, en tous les cas durant ses négociations secrètes avec le Vatican, pour y être réintégrée.  

 

Dans son action politique, Alain Escada s’acoquine avec un prêtre lefebvriste particulièrement actif, l’abbé Xavier Beauvais, l’ancien curé de la paroisse intégriste de Saint-Nicolas du Chardonnet à Paris. Admirateur indéfectible de Léon Degrelle, comme Escada, ce Beauvais est un pur et dur. En 2016, il a été condamné en appel pour injure raciale. Mais est resté le responsable de Civitas en charge de la « formation pour la doctrine sociale de l’Église ».

  

Le nouveau logo de la branche belge
du parti national-catholique Civitas. 
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CIVITAS BELGIQUE ?

La « belgitude » du président Alain Escada ne va pas lui permettre d’ancrer Civitas en Belgique, malgré plusieurs tentatives. En octobre 2015, une page Facebook est ouverte au nom de « Civitas Belgique ». Cinq ans plus tard, seules 302 personnes y sont abonnées. Malgré une présence dans les marches à Bruxelles contre l’IVG, il n’y a pas de réelles activités du parti lefebvriste dans notre pays. Suite à ses tours de girouette, au sein de l’extrême droite locale, force est d’observer qu’Alain Escada y est plutôt grillé. Il y a juste quelques catholiques fervents de groupuscules ou de micro-partis qui se revendiquent de Civitas.

 

En juin 2016, lors d’un rassemblement au pied de l’Église bruxelloise de la FSSPX, dans le quartier européen, pour la défense de l’enseignement catholique, organisé par l’association Pro Familia, avec le soutien de Civitas, la petite dizaine des membres de « Racines » est présente. Fondé d’abord en interne, ce groupe est devenu une dissidence du Mouvement Nation. Ironie religieuse : parmi les affiliés de Racines sur place, il y a un militant bien connu du milieu païen antichrétien.

 

Autre proche du mouvement intégriste, Lucien Coppens, alors chef de Jeune Nation, la section juvénile du mouvement éponyme. Depuis, ce jeune garçon a rejoint les dissidents du Mouvement Nation et milite avec le collectif En Colère. Ce dernier est dédié essentiellement à la lutte contre les mesures sanitaires pour contrer la pandémie de la Covid-19. Les sympathisants belges de Civitas restent peu nombreux. Ce qui ne semble pas décourager Escada.

 

En janvier dernier, le nom de domaine « civitas-belgique.be » est acheté. Le mois suivant, des affiches contre la « dictature sanitaire » de ce « mouvement politique national-catholique », comme le proclame son site belge, sont collées dans plusieurs communes wallonnes du Namurois. En mars, les mêmes affiches apparaîtront sur les murs du campus de l’Université Catholique de Louvain, dans le Brabant wallon. L’ambition du parti politique catholique français d’extrême droite en Belgique est évident.

 

Sa plateforme Internet belge mentionne : « Civitas est un mouvement politique œuvrant à promouvoir et défendre la souveraineté, l’identité nationale et chrétienne de la Belgique en s’inspirant de la doctrine sociale de l’Église, du droit naturel et des valeurs patriotiques, morales et civilisationnelles indispensables à la renaissance nationale. ». But final : « la restauration d’une Belgique chrétienne ».

 


Le militant wallon de Civitas Lucien Coppens (à gauche) lors d’une activité en 2017 de la section namuroise de Nation – Archives RIDAF Namur.

 


REMPLACER LE FRONT NATIONAL BELGE ?

Au même moment que l’apparition des visuels de propagande signés Civitas, des affiches de Génération Identitaire, en cours de dissolution en France par le gouvernement macroniste, ont également été collées en Wallonie, dans le Namurois et la région liégeoise, par sa nouvelle branche belge. Depuis plusieurs semaines, ce mouvement - fer de lance en Europe de l’extrême droite identitaire - se redynamise effectivement en Belgique, après plusieurs tentatives avortées de s’y implanter (en 2004, puis en 2015). Après des réunions notamment à Lille, l’un des contacts locaux a été Olivier Balfroid, le président (retiré momentanément pour des raisons de santé) du Parti national européen (PNE) et ancien secrétaire général du Mouvement Nation. Réactifs dans la même période et dans le même espace territorial, un lien de collaboration est possible entre la nouvelle branche wallonne de Génération identitaire et le mouvement-parti Civitas. Le journal RésistanceS reviendra dans les jours qui viennent, dans une autre enquête, sur cette mouvance identitaire belge.

 

Une évidence, à la droite de la droite, un gain d’intérêt se manifeste à nouveau pour la Wallonie. Avec des exemples français une fois de plus à la clé. Dans le sud de la Belgique, l’enjeu est de récupérer l’électorat orphelin du Front national belge depuis sa disparition définitive en 2017. Peine perdue à Bruxelles, où cet électorat vote depuis déjà de nombreux scrutins pour le Vlaams Belang, dont la section locale est quasi exclusivement francophone à l’exception de ses chefs officiels. En Wallonie, les survivants de l’implosion frontiste (AGIR, Mouvement Nation, Les Belges d’abord, le Parti des pensionnés, le Front wallon…), les dissidences de Nation (Valeurs nationales et En Colère) et ceux issus de l’autodissolution du Parti populaire (Alliance pour la Wallonie, Alternative démocratique sociale libérale, Droite conservatrice, En Mouvement, Identitaire & Démocrate, Mouscron populaire, Nouvelles valeurs wallonnes, Valeurs citoyennes et libérales…) n’ont toujours pas été capables de s’unir pour former un nouveau front unitaire. Unique solution pour survivre politiquement. Seuls, à droite, le petit parti Droite Populaire, formée par des anciens du Parti Populaire et qui s’affirment comme n’étant pas d’extrême droite, et à gauche, le Parti du Travail de Belgique (PTB), attirent encore les voix protestataires. L’avenir de la « droite nationale » semble dès lors être bouclé. Malgré la popularité médiatique de Génération identitaire, et les prières pour une « renaissance nationale-catholique » du mouvement-parti Civitas.

 

MANUEL ABRAMOWICZ

RésistanceS Observatoire belge de l’extrême droite




L’abbé Xavier Beauvais avec Olivier Balfroid, alors secrétaire général de Nation, en 2018, devant le stand d’une association pétainiste, dans le sud de Paris, lors de la fête annuelle de Civitas, dénommée « la Fête du Pays réel », dont la référence au rexisme de Léon Degrelle et au nationalisme intégral de Charles Maurras est évident – Archives RIDAF.


Quatre membres-fondateurs du groupe Racines, une dissidence de Nation, en juin 2016 à Bruxelles, lors d’un rassemblement co-organisé par Civitas – Archives RIDAF.


  

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