Un ancien néonazi à la tête d’une section de l’Institut de la Mémoire Nationale polonaise

RésistanceS Observatoire belge de l’extrême droite  | Lundi 8 mars 2021  | 19 : 45

L’un des historiens de l’Instytut Pamięci Narodowej  (IPN), avec ses compagnons néonazis, durant ses « années de jeunesse » © Photo Réseau social 


DES NOUVELLES DE POLOGNE – Ce pays membre de l’Union européenne depuis 2004 est en proie avec son histoire. Depuis plusieurs années, le parti conservateur catholique au pouvoir à Varsovie tente d’imposer un nouveau récit national. L’institut en charge de cette mission est devenu une véritable police politique usant de révisionnisme historique. Le mois dernier, il a été révélé que l’un de ses responsables locaux provient des rangs néonazis  – RÉVISION DE L’HISTOIRE.

 

L’histoirede la Pologne est extrêmement complexe et l’historiographie de ce pays est à son image. L’enjeu le plus problématique de l’étude ou de l’instrumentalisation du passé est de prendre position par rapport à l’attitude de la population vis-à-vis des Juifs et des deux grands totalitarismes du Vingtième siècle que l’État polonais a subis avec une violence rare.

Par ailleurs, après avoir en 1919 recouvré son indépendance après 123 ans de partages entre la Prusse, la Russie et l’Autriche, la Pologne a été écrasée en septembre 1939 par l’Allemagne nazie et l’URSS communiste en quelques semaines. Ces évènements ayant entraîné l’exil du gouvernement à Londres, la retraite de soldats polonais en Grande-Bretagne et la présence d’une résistance nationale armée clandestine unique par son importance et son organisation, ont permis à un patriotisme qui ne laisse pas de nous étonner, de se développer à travers, notamment, le culte des héros. Un récit de guerre totalement absent aujourd’hui de l’historiographie belge.

 

QU’EST-CE QUE L’IPN ?

C’est dans ce contexte que, à l’instar d’autres pays post-communistes, s’est créé en 1998 l’Instytut Pamięci Narodowej  (IPN, Institut de Mémoire Nationale). La fonction de l’IPN est d'enquêter sur les crimes nazis et communistes, de conserver la documentation à leur sujet, de fournir cette documentation au public, d’éduquer le public à ces thématiques et, cas unique dans l’ancien Bloc de l’Est, de poursuivre en justice ceux qui ont commis ces crimes. Le principal effort de l'Institut porte sur les crimes commis après la Deuxième Guerre mondiale par les autorités communistes de la Pologne. Sa création, déjà à l’époque, était fort contestée car ses objectifs allaient à l’encontre des Accords de la Table Ronde. Signés en avril 1989, ces accords mettaient fin au monopartisme en Pologne, alors dirigée d’une seule main par le Polska Zjednoczona Partia Robotnicza(PZPR, Parti ouvrier unifié polonais). Ces accords stipulaient que les crimes commis par le pouvoir communiste seraient oubliés et ne pourraient faire l’objet d’aucune poursuite judiciaire, dans le but assumé de « tourner la page ».

 

DEUX LOIS CONTROVERSÉES

Or, en 2007, alors que les frères Kaczyński, Lech à la Présidence et Jarosławcomme chef du gouvernement, se partagent le pouvoir en Pologne, est présentée par leur parti, Prawo i Sprawiedliwości (PiS, Droit et Justice), une formation national-populiste conservatrice violemment anti-communiste, voire d’extrême droite, la loi dite de « Lustration » préparée par l’IPN qui existe alors depuis huit ans. Cette loi contraint tous les hauts fonctionnaires, les professeurs, les avocats, les directeurs d’école et les journalistes nés avant août 1972 de remplir un formulaire et de répondre à la question : « Avez-vous collaboré secrètement et consciemment avec les anciens services de sécurité communistes ? ». Le formulaire est ensuite remis à l'Institut de la Mémoire Nationale qui se charge de vérifier le passé de ces personnes. L’enjeu est  clairement annoncé : « En cas de collaboration prouvée, les journalistes qui travaillent dans un service public seront automatiquement licenciés. Ceux qui refuseront de répondre, ou dont il sera prouvé qu’ils ont menti, risquent une interdiction d’exercer leur profession pendant dix ans. »

La loi sur le passé politique communiste aura évidemment des effets catastrophiques, notamment par l’apparition d’une atmosphère de suspicion généralisée, mais aussi par son instrumentalisation afin d’éliminer les ennemis politiques. Ironie du sort, les dirigeants de Solidarność, le syndicat indépendant des travailleurs à l’origine de la chute du régime communiste, Bronisław Geremek et Lech Wałęsa en ont fait les frais.

Savourons également le paradoxe suivant : le pouvoir polonais, violemment anticommuniste, qui considère que rien de fiable n’a été fait durant la période de la Pologne Populaire, s’appuie dans cette véritable chasse aux sorcières sur des fichiers montés par la police communiste, souvent truqués afin de faire pression sur les personnalités trop « remuantes ». C’est ainsi que de véritables opposants au régime communiste ont vu aujourd’hui leur réputation et leur vie détruites par des fichiers montés par leurs ennemis de l’époque.

Par ailleurs, en février 2019, un nouveau texte de loi adopté par le pouvoir toujours aux mains du PiS prévoit de punir de trois ans d'emprisonnement toute personne, y compris étrangère, qui accuserait la Nation polonaise ou l’État polonais de participation aux crimes de l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Si certaines dispositions de la loi sont retirées à la suite du tollé international, l’Institut de Mémoire Nationale reste autorisé à engager des poursuites civiles, ce qu’il ne manquera pas de faire, nous l’avons vu récemment.


LA « NOUVELLE HISTOIRE » DE POLOGNE

La découverte des crimes antisémites commis par des Polonais est le résultat d’un nouveau courant historique basé sur ce qu’on appelle la « micro-histoire ». En effet, si on regarde globalement, la Pologne est le pays d’Europe qui a sauvé le plus de Juifs et qui compte le plus de Justes parmi les Nations. Nous retrouvons ici le culte des héros cher à l’historiographie traditionnelle polonaise. Mais ces chiffres sont à relativiser puisque la Pologne était le pays qui comptait le plus de Juifs avec trois millions d’âmes qui représentaient 10% de la population. En réalité, le taux de survie des Juifs polonais au Judéocide est un des plus faibles d’Europe avec 10% seulement. Et cela s’explique si on se tourne vers la micro-histoire : en effet, si on regarde l’histoire des villages et des campagnes, on se rend compte que des Polonais, sans collaborer avec les nazis, non seulement ont dénoncé de nombreux Juifs, mais ont œuvré avec un certain enthousiasme à leur massacre de masse. On estime à environ 300 000 le nombre de Juifs tués directement ou indirectement par des Polonais.

Cette loi de 2019 interdit officiellement de le dire et de l’écrire. L’IPN, aux mains du PiS et extraordinairement bien doté, qui rassemble près de 200 historiens à son service, réécrit l’histoire de Pologne en en occultant totalement les aspects les plus sombres. Inutile de dire que parler de l’antisémitisme polonais est devenu tabou et les historiens, même étrangers, qui s’y risquent mettent en jeu leur carrière.

 

UNE NOMINATION CONTESTÉE

Dernier soubresaut de ce très contestable IPN, la nomination début février 2021 par son président, Jarosław Szarek, à la tête de la section locale de Wrocław d’un jeune historien du nom de Tomasz Greniuch. Cette section de l’IPN est comme toutes les autres, rappelons-le, chargée notamment d’enquêter sur les crimes nazis. Or, il se fait que ce Greniuch est un ancien néonazi.

Mais avant d’aborder plus avant la question de cette nomination, intéressons-nous à au président de l’IPN, Jarosław Szarek. Historien de peu de talent, très proche du pouvoir, il a provoqué bien souvent l’indignation par ses déclarations. Jarosław Szarek a, par exemple, glorifié la participation des enfants au Soulèvement de Varsovie en 1944, déclaré que la victoire polonaise sous Varsovie contre les troupes soviétiques en 1920 avait sauvé non seulement la République, mais aussi la civilisation latine du massacre. Il affirme encore et toujours, ce que démentent à la fois les études historiques et… l’IPN, que ce sont les Allemands qui ont commis le pogrom contre les habitants juifs de la petite commune de Jedwabne en juillet 1941 et non la population locale. Ses nombreuses déclarations dénuées d’une quelconque vérité historique apparaissent régulièrement sur la page Facebook de l’IPN. Il accuse systématiquement tous les historiens du génocide des Juifs d’activités anti-polonaises et a publiquement défendu des antisémites notoires. En tant qu’historien, il n’a à son actif aucun livre sérieux, seulement des ouvrages historiques destinés aux enfants, pétris de catholico-patriotisme, montrant une Pologne toujours héroïque, toujours souffrante, toujours catholique, toujours noble, sans minorités ethniques (pourtant nombreuses avant-guerre) et sans paysans. Depuis son accession à la présidence, l’IPN n’a pas cessé d’être accusé de falsification de l’histoire et de mener une politique historique en faveur du PiS.

Et donc, cet homme a nommé à la tête de la section de Wrocławun certain historien nommé Tomasz Greniuch, ancien skinhead et ancien membre très actif du Obóz Narodowo-Radykalny (ONR, Camp National-Radical), un groupe néonazi qui tire son nom d’un autre groupement qui, avant-Guerre, passaient les Juifs à tabac. Qu’un homme avec un tel passé soit membre de l’IPN pose déjà question. Mais qu’on le nomme à la tête d’une section locale si importante est absolument sidérant.

Il faut savoir que Wrocław, une des plus grandes villes du pays, située dans la voïvodie de Basse-Silésie, est l’ancienne Breslau, intégrée à la Prusse , puis au Troisième Reich qui a vu se dérouler en ses murs, notamment, en 1938 la Nuit de Cristal.

Des photos datant de 2007 de Tomasz Greniuch ont été découvertes le montrant en train d’effectuer le salut hitlérien et de défiler en uniforme avec des insignes nazis. « Pourquoi devrais-je rendre des comptes sur ce geste juste parce que Hitler se l’est approprié ? En fait, les Romains de l’Antiquité le faisaient déjà », a déclaré pour sa défense Greniuch il y a quelques années. Plus récemment, il a informé qu’il était membre de l’ONR par patriotisme polonais anti-nazi et anti-communiste. « Je n’ai jamais été fasciste », a-t-il dit tout récemment dans les médias. La faiblesse de son système de défense fait un peu pitié, il faut bien le dire.

En tant que membre actif du Camp National-Radical, il a à son palmarès, par exemple, l’organisation d’une célébration de l’anniversairedu pogrom des Juifs qui a eu lieu en 1936 à Myślenice (dans le sud de la Pologne, au pied des Carpates, le long de la frontière avec la Slovaquie actuelle).

Il quitte officiellement cette organisation d’extrême droite radicale pour se consacrer à des études d’histoire. Mais, il écrit en 2013 « Droga Nacjonalisty », la « Voie du Nationaliste », publiée par une officine néonazie ultra-antisémite. Il s’agit d’une sorte de journal comportant des discours, des interviews et des « conseils de coaching » pour les jeunes militants. Greniuch y laisse s’exprimer son homophobie, son racisme, son antisémitisme, dénonçant le « gouvernement sioniste mondial », ainsi que son admiration pour Léon Degrelle, membre de la légion SS Wallonie, qui a « pacifié » de nombreux villages polonais.

L’homme s’est excusé pour son passé, qualifié d’erreur de jeunesse, et affirme avoir coupé tout lien avec l’ONR depuis 2013. Il ment. En 2017, il a notamment pris part à la célébration du 83eanniversaire de la fondation de l’organisation nationaliste, et l’année suivante il a rencontré à plusieurs reprises des membres de l’ONR. Les liens sont encore frais.

Et puis notre homme aime beaucoup la musique et ne cache pas, sur sa page Facebook, son admiration pour certains groupes en particulier. Voici la traduction de quelques passages de textes de l’un de ses groupes préférés : « Aujourd’hui, tous les médias sionistes veulent nous faire taire », « Souviens-toi d’Adolf Hitler, Souviens-toi de la Nuit de Cristal ! », « De quoi avons-nous besoin ? White Power ! ».


Tomasz Greniuch, juste avant de devenir l’un des historiensde l’Instytut Pamięci Narodowej  (IPN) © Photo Réseau social 


UNE SITUATION EMBARRASSANTE

Il faut savoir que, même pour le pouvoir en place, cette nomination est gênante, car en Pologne, Hitler est, au même titre que Staline, l’ennemi absolu, non pas tant à cause du Judéocide que des trois millions de Polonais non-Juifs qui ont été tués pendant l’Occupation nazie qui fut en Pologne d’une violence inouïe.

D’ailleurs, si certains au sein du PiS, ne voient aucun inconvénient à cette nomination, d’autres ont fermement réagi contre cette nomination, notamment le vice-premier ministre en personne, Jacek Sasin.

En-dehors du PiS, l’affaire fait scandale évidemment, et de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer cette nomination : de nombreux hommes politiques, le maire de Wrocław, des historiens de son université, de nombreux médias, le chef du groupe parlementaire israélo-polonais (groupe très nombreux qui s’occupe en particulier des relations bilatérales entre les deux pays) et, bien sûr, l’ambassadeur d’Israël en Pologne.

La société civile et même le président de la République ont critiqué cette nomination qui a également scandalisé la presse internationale. Toujours soucieux de l’image de la Pologne à l’étranger, le gouvernement a, semble-t-il, incité Greniuch à présenter sa démission… qui a été acceptée le  26 février dernier par celui-là même qui l’avait nommé à ce poste.

Cette affaire, parmi d’autres, montre que l’IPN et avec lui le gouvernement polonais, commencent à prendre une inquiétante couleur brune… Cette démission montre, en revanche, que la société civile et l’étranger peuvent encore peser sur la politique polonaise. La démocratie n’est pas tout à fait morte en Pologne.

 



DENIS JANOWSKI

RésistanceS Observatoire belge de l’extrême droite  



[Ayant vécu en Pologne, Denis Janowski maitrise sa langue et reste, par la presse polonaise et ses contacts sur place, informé de l’évolution de ce pays membre de l’Union européenne depuis 2004].

 



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