Un premier tour de scrutin en demi-surprise à l'élection présidentielle polonaise

RésistanceS Observatoire belge de l’extrême droite Bruxelles | Mardi 7 juillet 2020 | 15 : 15

Le président polonais sortant, Andrzej Duda (PiS), lors de sa campagne pour un second mandat © DR.


ÉLÉCTION PRÉSIDENTIELLE POLONAISE – Il y a un peu plus d'une semaine, les Polonais votaient pour le premier tour de l'élection de leur futur président. Le résultat n'a produit aucun réel changement d'orientation politique. Ce scrutin réserve malgré tout quelques surprises, avant le second tour, dimanche prochain – Par DENIS JANOWSKI

Prévu initialement les 10 et 24 mai (voir notre premier article sur cette élection ici), alors que nous étions en pleine pandémie, après de nombreux soubresauts, des propositions de voter par correspondance, l’appel au boycott des anciens présidents Walesa, Kwaszniewski et Komorowski, les menaces d’explosion de la coalition au pouvoir, le premier tour du scrutin a finalement eu lieu le dimanche 28 juin dernier.

Le fort taux de participation, 64,51 %, contre 48,96 en 2015, a été l’une quelques surprises de ce premier tour. Il est le signe, comme nous l’avons écrit dans notre premier article sur cette élection, d’une société polonaise fortement polarisée entre les partisans du parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS, au pouvoir) et ses opposants. Voter était donc un devoir absolu de toutes parts.
La deuxième surprise est la nécessité d’un second tour. En effet, le candidat du PiS, Andrzej Duda, a payé l’obstination et les manœuvres de son parti en vue maintenir à tout prix les élections pendant la crise de la Covid-19, les sondages le donnant alors vainqueur dès le premier tour.
La troisième surprise est l’identité de son opposant. Effectivement, la candidate initiale issue de la primaire de la Koalicja Obywatelska (Coalition Civique formée de la Plateforme Civique associée au .Moderne [sic], libérale centre droit), Małgorzata Kidawa-Błońska, avait vu sa cote de popularité chuter lorsqu’elle avait appelé au boycott de l'élection de mai. C’est donc le maire de Varsovie (la mairie de la capitale a toujours été un important strapontin politique en Pologne), Rafał Trzaskowski qui l’a remplacée au pied levé.

Les voix de l'extrême droite siphonnées

Quant aux résultats, le candidat du PiS obtient 43,50 % des suffrages tandis que Rafał Trzaskowski en obtient 30,46 %.
Cependant, si l’électorat polonais est polarisé, on ne peut pas en dire autant des partis et des programmes. Sur les dix candidats, huit se positionnaient du centre démocrate-chrétien (déjà fort à droite et nationalistes selon nos critères occidentaux) à l’extrême droite en passant par le monarchisme et sept défendaient une position forte de l’Église catholique, notamment sur les questions de la fécondation in vitro, de l’homosexualité et, bien sûr, de l’IVG.
Quatre candidats sortaient idéologiquement du lot : Janusz Palikotavec Ton Mouvement (Twój Ruch), pro LGBT, féministe et profondément anticlérical (1,42%), Paweł Tanajno (ancien de la Plateforme Civique et ancien du parti ancêtre de Twój Ruch) avec Démocratie directe, parti transnational inspiré par les contestations de 2012 contre l'accord commercial anti-contrefaçon (ACAC) prônant... la démocratie directe (0,20%), Robert Biedroń avec La Gauche, le premier candidat ouvertement homosexuel (2,22%) et enfin Waldemar Witkowski avec l’Union du travail (Unia Pracy), parti qui provient de l’aile gauche de Solidarnosc (0,14%). On peut donc dire que la gauche est politiquement inexistante en Pologne.

Quant à l’extrême droite proprement dite, elle a affronté ces élections divisée, ce qui a permis au PiS de « siphonner » ses voix. Les trois candidats se revendiquant d’extrême droite, Marek Jakubiak (Fédération pour la République, 0,17%), Stanisław Żółtek (Congrès de la Nouvelle Droite, 0,23%), Krzysztof Bosak (Confédération Liberté et Indépendance, 6,78%) font bien pâle figure. Mais qu’on ne s’y trompe pas, une bonne partie de leur programme, quoiqu’il s’en défende, est portée par le PiS.
Ainsi, on en arrive à une situation un peu particulière où, tous les partis ayant peu ou prou les mêmes programmes, les candidats jouaient essentiellement sur les émotions et non sur les argumentaires. La campagne a été fort agitée mais pas les idées. Il faut dire également que les médias, verrouillés par le pouvoir et les organes de presses nationaux à la botte du PiS (comme nous avons déjà eu l’occasion de le constater dans notre premier article sur l'élection présidentielle polonaise), ont eu beaucoup de mal à se faire l’écho des voix discordantes.












Rafal Trzaskowski pourra-t-il créer la surprise dimanche prochain face au président sortant du PiS ? © DR.

Le second tour
Le président sortant, Andrzej Duda, est donc le candidat du PiS, parti que nos journaux s’obstinent à qualifier de « droite populiste », mais qui chez nous serait sans aucun doute considéré comme un parti d’extrême droite. D’extrême droite, il l’est par le simplisme et l’agressivité de ses discours et par son talent à se poser systématiquement en victime. Il l’est également par son catholicisme extrémiste, voire fondamentaliste, par son nationalisme exacerbé, par son népotisme et par son programme social fort qui le rend malheureusement très populaire. Il n’échappe pas non plus à l’aspect totalitaire de l’extrême droite par son refus de toute opposition ou de toute contestation (la moindre critique est aussitôt taxée d’antipatriotisme ou d’« antipolonisme », ou bien d’attaque injuste menée contre les seuls vrais défenseurs des vraies valeurs polonaises (entendez les membres du PiS)) et par le joug qui pèse sur les médias nationaux.
De plus, eurosceptique, le parti profite à fond de la situation économique enviable de la Pologne (croissance de 5%, taux de chômage ridiculement bas) due en grande partie à la manne financière et aux infrastructures européennes.
Ce qui peut jouer en faveur de Duda, c’est à la fois le soutien de son parti, bien sûr, mais aussi le fait qu’il démontre de plus en plus une certaine autonomie vis-à-vis du président tout-puissant du PiS, Jaroslaw Kaczysnki. Ainsi, Kaczynski apparait moins comme undeus ex-machinatandis que Duda apparait moins comme sa marionnette. En somme, Duda a pris de la consistance.
Autres arguments en sa faveur, le bilan socio-économique (on l’a dit) ainsi que son programme social qui serait, selon lui, menacé en cas d’alternance. L’opération 500+ (500 zloty alloués pour chaque enfant à partir du deuxième, sachant que le salaire le plus fréquent en Pologne est de 1650 zlotys), les nombreuses primes (femmes enceintes, départ à la retraite, etc.) sont très populaires et on pourrait être amené à penser que le PiS achète son électorat. En tout cas, de toute évidence, cela fonctionne !
Ce qui peut jouer en sa défaveur, en revanche, c’est la volonté de changement. L’omniprésence du président dans les médias de propagande, la majorité parlementaire cumulée à la majorité présidentielle, les discours violents et excessifs ont fini par lasser une part de son électorat.
Si Duda apparaît comme le candidat du peuple (malgré son côté un peu lisse, ses études de droit et ses origines cracovienne, ville intellectuelle par excellence), Rafal Trzaskowski, lui, est un homme de caractère et de culture. Fils d’un jazzman de talent, maire de Varsovie élu au premier tour en 2018, il est connu pour sa connaissance de la politique internationale et pour sa maitrise des langues étrangères. Catholique modéré, c’est l’enfant-prodige de la Plateforme Civique, parti avatar de Solidarnosc, de tendance libérale-conservatrice pro-européenne (revoir notre premier article sur le scrutin polonais).
Cependant, son assurance et son aura peuvent jouer contre lui : elles s’accompagnent bien souvent d’une attitude méprisante et élitiste qui a du mal à passer auprès de l’électorat populaire polonais, bastion du PiS, et qui en fait une cible facile des médias nationaux de propagande.
Handicap supplémentaire, la Plateforme Civique a accumulé, sans entrer dans les détails, les scandales de corruption durant les périodes où elle dirigeait la Pologne.
Autre faiblesse, et non des moindres, l’essentiel de son programme repose sur son opposition au PiS : il s’appuie sur la lassitude d’une partie de l’électorat et promet d’être un président fort contre la majorité parlementaire.
Mais surtout, il va avoir la lourde tâche de rallier à lui les 26 % d’électeurs qui n’ont voté ni pour lui, ni pour Duda au premier tour alors que leurs idées sont certainement plus proches de celles du PiS que de celles de la Coalition Civique.
Le second tour, dimanche prochain, reste cependant ouvert et la surprise n’est jamais à exclure.


DENIS JANOWSKI
RésistanceS Observatoire belge de l’extrême droite 


À lire sur le site du Journal de RésistanceS, le premier article sur la Présidentielle polonaise :

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