La Pologne aux mains de la droite rétrograde

RésistanceS Observatoire belge de l'extrême droite | Bruxelles | Mercredi 15juillet 2020 | 13 : 30

Affiche électorale collée à Bruxelles de Rafal Trzaskowski, le leader de l'opposition au PiS. 



APRÈS LA PRÉSIDENTIELLE – Ce dimanche, une très courte majorité de Polonais a reconduit le président sortant à son poste. Dans un pays totalement divisé, la droite national-conservatrice peut poursuivre sa politique radicale. Profitant de la manne financière de Bruxelles, la Pologne est un des pions essentiels des pays européens qui s'opposent pourtant aux décisions de l'UE. Avec le soutien de l'Église catholique et de l'extrême droite locale –BILAN & PERSPECTIVE.

Au vu des résultats du premier tour de l'élection présidentielle polonaise, avec un électorat ayant surtout voté à l’extrême de la droite classique, et une presse nationale redoublant d’efforts pour « son » candidat, on redoutait le raz-de-marée en faveur du président sortant, candidat du parti Droit et Justice (Prawa i Sprawiedliwość, PiS) Andrzej Duda (du type 60-40), mais c’est avec un honorable48,97% des voix que le candidat de la Plateforme Civique (Platforma Obywatelska, PO) Rafal Trzaskowskiperd ces élections.
Pourtant, la campagne du second tour fut pour lui extrêmement compliquée. Les meetings et discours du président-candidat étaient intégralement retransmis par la télévision officielle qui, depuis l’arrivée du PiS au pouvoir, est à sa botte (revoir notre première article sur la situation politique en Pologne), laissant la portion congrue au candidat de l’opposition. Trzaskowski a d’ailleurs refusé de se prêter au jeu (pipé) du traditionnel débat de l’entre-deux tours, les journalistes ayant « servi les plats » à Duda lors du débat télévisé du premier tour.

Quelles leçons tirer de ce scrutin ?
Tout d’abord, la démocratie électorale polonaise est en piteux état. Ensuite, la société polonaise en sort encore plus polarisée entre les pro et les anti-PiS (ce que dénote le fort taux de participation :67,8%). Cette polarisation violente apparaît à plusieurs niveaux : entre les villes et le monde agricole, entre les intellectuels europhiles et les ouvriers et les paysans qui ont subi de plein fouet les exigences de l’Union européenne (même si l’économie polonaise se porte très bien en comparaison à bien d'autres pays de l'ex-Bloc soviétique), mais aussi, et c’est également inquiétant, entre l’est, plus pauvre, et l’ouest, plus « moderne ».Chaque pôle est convaincu d’incarner la « vraie Pologne » et considère l’autre comme « anti-polonais ».
Ce que l’on peut dire également, c’est que le PiS a du temps devant lui : les prochaines échéances électorales sont les élections parlementaires qui auront lieu en 2023. Le PiS est donc en mesure de mener sans entraves sa politique d’extrême droite, comme nous l'avons déjà démontré dans nos deux autres articles consacrés à la situation politique de ce pays.

La politique intérieure
Sur le strict plan électoral, il est permis de penser que ce scrutin était celui de la dernière chance. En effet, la propagande du pouvoir est telle que les probabilités de renvoi du PiS dans les rangs de l’opposition en 2023 ou de défaite à la prochaine élection présidentielle, en 2025, sont extrêmement minces. C’est évidemment préoccupant pour la démocratie polonaise : le PiS a les mains totalement libres, à moins de sursauts citoyens comme on l’a vu précédemment lors de la « grève des femmes » concernant un projet de réforme (retiré grâce aux protestations) de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG). D’autre part, le débat avec le parti Droit et Justice. est compliqué, vu sa manière de faire de la politique. Effectivement, les arguments qu’il avance en permanence sont exclusivement émotionnels : patriotisme et invectives allant jusqu’à l’insulte de tous ses adversaires. Force est dès lors de constater que le débat démocratique est très pauvre en Pologne.
Avec un pouvoir quasi absolu dans les mains du PiS, la liberté d’information sera de plus en plus mise en danger. Les médias nationaux sont déjà sous la coupe du pouvoir. Quant à ceux qui restent indépendants et ne sont pas dans sa ligne, ils sont économiquement moribonds en raison notamment du boycott des encarts publicitaires orchestré par le PiS.
On peut craindre également pour les droits des minorités tels que les LGBT, qui sont considérés comme porteurs d’une « idéologie » aussi néfaste que le bolchévisme et anticléricaux ou les athées qui sont considérés comme de très mauvais Polonais par les nationaux-conservateurs.
Les réformes des programmes scolaires déjà accomplies vont dans ce sens : absence de cours d’éducation sexuelle, cours de religion obligatoires, censure ... Il va de soi qu’elles risquent bien d’être renforcées et étendues à d’autres domaines de la vie publique, après le succès, certes relatif, du PiS à la présidentielle de dimanche.
Les droits des femmes sont également en danger. Bien sûr, le parti conservateur, défendant une orientation doctrinale de plus en plus national-catholique, ne cache pas sa volonté d’interdire totalement l’IVG, mais aussi les moyens de contraception. Toute sa politique concernant les femmes est de les laisser à la maison : primes de naissance, 500 zlotys octroyés pour chaque enfant à partir du deuxième (ce qui permet, dès le troisième enfant, d’avoir un second salaire ou… d’arrêter carrément de travailler), etc. La femme ne sert en somme qu’à combler le déficit démographique.
Sur le plan socio-économique, le PiS poursuivra, dans la mesure où l’UE le lui permettra, sa politique protectionniste anti-libérale (sans remettre en rien en cause le système capitaliste), et d’aide sociale qui lui a plutôt bien réussi ces derniers temps et qui a contribué partiellement à la reconduction de son candidat au sommet de l'État. 
Les réformes dans tous les domaines, surtout dans celui de la justice, visent à asseoir le pouvoir et à empêcher légalement toute contestation de ses idées nauséabondes. La Pologne a d’ailleurs été plusieurs fois condamnée par la Cour de Justice européenne.
On peut encore noter le révisionnisme historique. En effet, tout ce qui peut porter atteinte à l’honneur de la Pologne est punissable légalement et il est très risqué pour les historiens d’aborder, par exemple, le sujet des massacres de Juifs perpétrés par les Polonais pendant et après la Guerre 39-45. Pour le PiS, la Pologne ne compte que des héros qui ont lutté contre le nazisme et qui ont sauvé des Juifs. Or, nous savons maintenant que 300 000 Juifs (10% de la population juive de Pologne) ont été tués par des Polonais, profitant de l’impunité de ces crimes qui régnait entre 1939 et 1945, et que des pogroms ont encore eu lieu après la guerre (faisant environ 4 000 morts).
À ce propos, la parole raciste et antisémite va bien sûr continuer à se libérer et cela laissera des traces durables dans la vision qu’entretiennent les Polonais à l’Autre.
Sur le plan intérieur encore, les tensions entre les pro et les anti-PiS pourraient déboucher sur des affrontements de plus en plus intenses, de manifestations en contre-manifestations, laissant craindre le pire pour la paix sociale.

Politique internationale
Sur le plan international, la haine profonde que voue la Pologne à la Russie ne facilite pas les relations entre l’UE et la Russie. Là aussi des tensions sont à craindre.
Bien sûr, la Pologne va poursuivre sa politique de rapprochement avec les États-Unis de Trump, mais également avec le groupe de Visegrad (rassemblant la Hongrie, la Pologne, la Tchéquie et la Slovaquie). Hormis la Slovaquie, dirigée par Zuzana Čaputová, sociale-libérale pro-européenne, toutes sont dirigées par des présidents populistes refusant catégoriquement toute immigration d’origine musulmane et se montrant au minimum très critiques vis-à-vis de l’Union européenne. Le président tchèque Miloš Zeman, par exemple, pro-européen des plus tièdes, a défendu en 2016 le gouvernement du PiS dirigé par Beata Szydłocontre les critiques européennes. Pour l’anecdote, il a rencontré, chose étonnante pour un « social démocrate », Steve Bannon, l'ex-mentor d'extrême droite du président américain, lors de sa visite en Europe (sans résultat probant cependant).
Quant aux relations avec l’Union européenne, elles ne risquent pas de s’améliorer. Les réformes du PiS sont régulièrement critiquées voire condamnées par Bruxelles tandis que le PiS laisse sa rage s’exprimer chaque fois que les institutions européennes se mêlent de ce qu’il considère comme étant une atteinte à sa souveraineté nationale. Et en Pologne, ces mots ne sont pas anodins. Tout ce qui vient de l’UE est exécré sauf bien évidemment la manne financière. Sans elle, il semble clair et évident que le PiS se lancerait dans l’aventure hasardeuse du « Polxit ». Le pays se rapproche encore plus désormais du contre-modèle européen hongrois, conduit par Viktor Orban. Avec le soutien d'une bonne partie de l'extrême droite locale.
L’avenir immédiat des Polonais paraît donc bien sombre.


DENIS JANOWSKI
RésistanceS Observatoire belge de l'extrême droite


Nos deux précédents articles sur la situation politique actuelle en Pologne :



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