Musulmans ultras et cathos d’extrême droite scandent ensemble « No Evras » (reportage exclusif de RésistanceS)

RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite  | Dimanche 17 septembre 2023 | Réactualisé le 18 sept. 2023

Ce dimanche, à l’extrême droite de l’organisatrice islamiste de la manif « No Evras », Alain Escada, le président de Civitas, un mouvement national-catholique d’extrême droite… antimusulmans ! © Photo RésistanceS / Alexandre Vick


ALLIANCES OBJECTIVES | Depuis plusieurs jours, la Belgique connait une vague d’incendies terroristes. Elle s’attaque à des écoles. Objectif : empêcher l’organisation du programme scolaire « Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle » (Evras). Ce dimanche, près de 2 000 manifestants étaient à Bruxelles pour dire également « No Evras ». Plus de 90 % portaient un dress code islamique. Avec eux, quelques « gilets jaunes » et des antivax. Mais également deux dirigeants d’extrême droite et d’autres militants nationalistes | REPORTAGE EXCLUSIF DE RÉSISTANCES AU CŒUR DU RASSEMBLEMENT « NO EVRAS »

 

Ce dimanche 17 septembre, de midi à quatorze heures, sur la place de l’Albertine, entre la gare Bruxelles-Centrale et la Bibliothèque royale, près de deux milles manifestants se sont mobilisés contre l’Evras. Depuis plusieurs semaines, le programme à l’Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle, destiné aux établissements scolaires de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), suscite diverses protestations. À Charleroi et à Liège, des écoles ont notamment été les cibles, la semaine dernière, d’incendies criminels. Sur leurs murs, des inscriptions « No Evras » ont servi pour signer ces forfaits.

 

Ces attaques seront considérées comme des actes de terrorisme par le bourgmestre de Charleroi, Paul Magnette, et la ministre communautaire en charge de l’enseignement, Caroline Désir. Le 7 septembre dernier, une première manifestation s’était déjà déroulée devant le siège de la FWB.

 

Centre d’action laïque, PS et Ecolo

L’organisatrice de celle de ce dimanche est une dénommée Radya Oulebsir. Cette Française, née à Paris en janvier 1979, est connue comme activiste musulmane de longue date. En octobre 2015, elle avait déjà organisé une manifestation pour exiger la démission d’Yvan Mayeur, alors bourgmestre PS de la Ville de Bruxelles. Youtubeuse reconnue par ses pairs, Oulebsir est également l’autrice d’un pamphlet de 1200 pages, La muzz, droit de réponse. Celui-ci est présenté comme un manifeste de « lutte contre le politiquement correct et la dictature qui nous pends tous au nez », selon son autrice. Elle préside aussi le Cercle de la Boetie, fondé à Bruxelles en 2020. Cette asbl s’adresse à la jeunesse « pour développer sa conscience citoyenne à travers l’étude de la philosophie, la littérature, les sciences et l'histoire. »

 

En 2015, la même Radya Oulebsir était membre de la direction de la Maison du peuple d'Europe -  Europees volkhuis - Europaische volkhaus (MPEVH). Cette autre asbl fut fondée, deux ans auparavant, sous l’égide du Centre d’action laïque (CAL) et plusieurs personnalités du PS (Marie Arena, Marc Tarabella, Denis Stokkins, Jean Spinette, Alain Hutchinson…) et d’Ecolo (Zoé Genot), avant d’être repris en main par des militants associatifs, comme Raouf Ben Ammar, ou des activistes musulmans, dont Radya Oulebsir.

 

La youtubeuse islamiste française Radya Oulebsir prend la parole contre le « complot anti-familles » © Photo RésistanceS / Alexandre Vick


 

 

Complot contre les familles

À la manifestation de ce dimanche 17 septembre, les participants étaient dans leur grande majorité issus de diverses communautés religieuses musulmanes (maghrébine, sub-saharienne, albanaise, pakistanaise, proche-orientale…). Présents par groupes affinitaires (de genres, d’origines ethniques, d’intra-courants religieux…), ils y furent présents après une mobilisation qui s’est déroulée, durant la semaine d’avant, dans plusieurs mosquées de la capitale et de villes wallonnes. La plupart des manifestants portait des habitants de reconnaissance religieuse.

 

Dans son discours tenu devant une foule énergique, Radya Oulebsir s’est attaquée au programme Evras en pointant du doigt ses responsables, selon elle : le pouvoir politique, le lobby LGBT+… mais également entre ses mots, de façon plus codée, la franc-maçonnerie. Elle a relevé à demi-mot un complot contre les familles, via leur « destruction par la perversion sexuelle » imposée dans les écoles. Un discours qui ne pouvait que plaire aux manifestants, dont certains provenaient du courant radical de la mouvance antivax et quelques-uns du mouvement des Gilets jaunes.

 

RésistanceS, le webjournal de l’Observatoire de l’extrême droite, présent au cœur de ce rassemblement de réactionnaires conservateurs anti-Evras, y a également croisé des militants de groupes d’extrême droite.

 


 
Ex-membre du Front national belge, puis du Mouvement Nation, alors singularisés par un racisme et une islamophobie obsessionnels, aujourd’hui contre l’Evras avec des musulmans radicaux © Photo RésistanceS / Alexandre Vick


Front national et Institut Civitas

Cette présence n’a pas été un souci quelconque pour l’activiste musulmane qu’est Radya Oulebsir et les membres de son organisation à l’origine du rassemblement. Ainsi, après la prise de parole d’un militant de la tendance antivax des gilets jaunes, c’est Alain Escada en personne qui fut invité à monter sur la tribune des orateurs. Il s’agit du président de l’Institut Civitas, la branche politique de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, la communauté catholique traditionaliste anti-Vatican de feu Monseigneur Lefebvre.

 

Alain Escada est bien connu comme l’un des organisateurs principaux des marches bruxelloises antivax contre les mesures sanitaires prises, entre 2020 et 2022, pour contrer la pandémie de la covid-19. Actif au niveau politique depuis la fin des années 1980, le même individu est encore reconnu pour avoir été membre de la direction du Front nouveau de Belgique (FNB), fondé en 1996 par des dissidents radicaux du Front national belge (FN). Après avoir été exclu du FNB, suite à un conflit interne d’ordre financier, Escada rejoindra pour finir le FN, puis voguera en compagnie du dirigeant historique du Mouvement Nation, ex-leader de la mouvance néonazie des années 1980-1990.

 

Ce dimanche, à la tribune, Alain Escada, comme les autres orateurs, a utilisé le mensonge pour exprimer son opposition au programme Evras. Une fois de plus, il s’est attaqué aux « transsexuelles » qui semble de plus en plus l’obséder. Pour finir son intervention devant cette foule essentiellement musulmane, le président de Civitas a dénoncé le « projet mondialiste qui veut imposer un nouvel ordre mondial sexuel ». Un projet totalement « orchestré comme un piège pour organiser la dépopulation », dira-t-il pour conclure.

Le national-catholique d’extrême droite Alain Escada, ce dimanche à Bruxelles, après son discours à la manif musulmane « No Evras » © Photo RésistanceS / Alexandre Vick

 

 

Révélation de son homosexualité

Dans la foule de cette manifestation musulmane « No Evras », d’autres activistes d’extrême droite ont encore été identifiés par RésistanceS. C’est le cas d’un ancien du FN belge, qui passa ensuite au mouvement national-solidariste Nation de Jean-Pierre Demol. À côté de la tribune, toujours contrôlée par Radya Oulebsir et ses bras-droits, une petite délégation de « Valeurs saines » se trouvait, en compagnie d’amis musulmans dont le dress code était celui des salafistes.

 

Cette association wallonne - de création récente - est dirigée par le mouscronnois Grégory Bourguignon. Ancien cofondateur du mouvement Nation en 1999, il est ensuite passé par la plupart des « chapelles nationalistes » de l’époque : AGIR, mouvement REF, FNB… En 2019, il cofonda le Parti national européen (PNE), avec d’autres dissidents et exclus de Nation. Mis à la porte du PNE, il s’activa dans son collectif « En colère », lors des marches antivax de 2020 à 2022. Depuis, Bourguignon se charge de la présence de l’association Valeurs saines aux diverses manifestations anti-pédophiles et contre le « lobby LGBT+ ».

 

Le même  Grégory Bourguignon affirme encore, depuis peu, représenter la section belge du parti Les Patriotes. Très actif contre le pass sanitaire et le vaccin anti-covid, ce parti français d’extrême droite - apparu en septembre 2017 - a pour président-fondateur Florian Philippot. Durant plusieurs années, celui-ci a été le conseiller stratégique et le mentor idéologique de Marine Le Pen, la présidente depuis 2011 du FN français. Le même avait suscité des réactions internes d’opposition à sa personne lors d’un scoop d’un journal à scandale sur son homosexualité jusqu’alors camouflée. Une orientation sexuelle jugée comme immorale dans le milieu politique de l’extrême droite. Mais également chez les intégristes musulmans.

 

 

Grégory Bourguignon, jeune militant néonazi dans les années 1990, aujourd’hui allié objectif de musulmans radicaux © Photo RésistanceS / Alexandre Vick

 

 

Au rassemblement contre les cours d’Evras de l’Albertine de ce dimanche 17 septembre, Grégory Bourguignon y était présent avec d’autres anciens du Mouvement Nation. C’est notamment le cas de Geoffrey Botton et Lucien Coppens. Au sein de ce groupuscule d’extrême droite « national-solidariste », le premier faisait partie d’une bande de naziskins du namurois qui y adhéra au milieu des années 2000. Botton fut impliqué dans le tabassage d’un SDF se revendiquant comme antifasciste en 2015, après une action anti-réfugiés politiques de Nation dans le quartier européen de Bruxelles. Avec ses complices, il fait ensuite dissidence du mouvement. En octobre 2021, il fonde à Namur « Éveil ». Entre des tractages dans diverses petites villes wallonnes, ce minuscule parti va s’engagea corps et âme dans la mouvance antivax qui s’est alors déjà structurée, en été 2020, pour s’opposer aux campagnes sanitaires des autorités publiques au moment de la pandémie de la covid-19.

 

Bras-droit de Botton, Lucien Coppens, à l’époque où ils militaient ensemble à Nation, fut le président de Jeune Nation (JN). Candidat du mouvement, aux élections du Parlement wallon en 2019, il déclare dans sa « profession de foi » : « Je revendique un attachement aux valeurs de la famille traditionnelle car elle représente un socle de société. Malheureusement ces dernières années, le lobby LGBT et leurs amis gauchistes œuvrent à désacraliser cette dernière. Pour moi la famille c’est un père et une mère, je m’oppose donc au droit d’adoption pour les couples homosexuels ». Pour Coppens, « l’avortement est un meurtre » et « le christianisme fait partie de notre héritage culturel et que donc la religion catholique doit se faire respecter. » Le jeune candidat de Nation, il est alors âgé de 23 ans, se prononce contre la franc-maçonnerie. À son sujet, Coppens écrit : « ni les mondialistes, ni les sociétés secrètes n’ont à nous dicter comment diriger notre pays. » Virulemment opposé à l’« immigration de plus en plus massive », le jeune nationaliste participe pour cela aux actions du Mouvement Nation « contre l’islamisation de la Belgique ». Ce dimanche 17 septembre, contre les cours d’Evras, il manifestera néanmoins, côte à côté, avec près de 2. 000 musulmans. Lucien Coppens après son départ de Nation avait rejoint le collectif « En Colère » de Gregory Bourguignon et de Nadine Crovatto, alias « Luna Stenfors », une vieille activiste néonazie bien connue dans le milieu interlope païen germanique et négationniste, ex-tête de liste aux élections de 2019, comme responsable de la section de Libramont de Nation. Avec le micro-parti « Éveil » de Geoffrey Botton, le collectif « En Colère » fut très actif dans les rassemblements et les marches antivax de 2021-2022, notamment avec la branche belge de l’institut national-catholique maurrassien Civitas, dont Lucien Coppens est un fidèle disciple.


Bruxelles, dimanche 17 septembre 2023 au rassemblement « No Evras », Grégory Bourguignon avec Lucien Coppens, un activiste national-catholique lié à Civitas, et Geoffrey Botton, le président-fondateur du micro-parti « Éveil ». Tous les trois ont été des « cadres » du Mouvement Nation, groupuscule d’extrême droite d’obédience « national-solidariste » © Photo RésistanceS / Alexandre Vick


Alliances objectives facho-islamistes

La présence de l’extrême droite au cœur d’une manifestation organisée par un milieu idéologique islamiste, avec le concours d’un réseau de mosquées radicales, démontre, une fois encore, que des alliances objectives restent d’actualité. Ce qui devrait pourtant être un paradoxe pour ces « croisés de l’Occident catholique » engagés politiquement pour « lutter contre l’islamisation de la société occidentale ».

 

Pour les partisans d’un islam rigoriste, en grande partie issus des communautés arabo-musulmanes toujours  victimes de discriminations, militer, main dans la main, avec des activistes d’extrême droite, ayant pour l’occasion mis une sourdine sur leur racisme intrinsèque, ne parait également poser aucun problème. Ce dimanche 17 septembre, au centre de la capitale de la Belgique et de l’Europe, il a été observé que tous les intégristes pouvaient une énième fois s’unir ensemble contre ledit « mondialisme ».

 

 

SIMON HARYS pour le texte
avec ALEXANDRE VICK pour les photos

RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite

 



NOS AUTRES PHOTOS

Ce dimanche, à Bruxelles, ils étaient près de 2 000 personnes à crier « No Evras » © Photo RésistanceS / Alexandre Vick

 

 


Radya Oulebsir, activiste islamique et organisatrice de la mobilisation « No Evras » dans les mosquées radicales  © Photo RésistanceS / Alexandre Vick


 

 

Militants salafistes en mode « SO » (service d’ordre) © Photo RésistanceS / Alexandre Vick

 

Slogan conspirationniste, comme lors des marches antivax (2020-2022) © Photo RésistanceS / Alexandre Vick

 


La grande confusion obsessionnelle : Evras, homosexualité, pédophilie … © Photo RésistanceS / Alexandre Vick


La jeune ministre PS de l’éducation ciblée par les anti-Evras © Photo RésistanceS / Alexandre Vick



Info ou intox ? Au cœur de l’univers du mensonge © Photo RésistanceS / Alexandre Vick

 

Une foule anti-Evras diversifiée ? Ici à droite, une famille nombreuse catholique traditionaliste © Photo RésistanceS / Alexandre Vick

 


 
Mais que venait faire dans cette manif à dominance islamiste, Raouf Ben Ammar, un militant tunisien laïque et pilier du réseau des comités citoyens © Photo RésistanceS / Alexandre Vick

 

 
Grégory Bourguignon, néonazi dans sa jeunesse (au Mouvement REF, à Nation…), aujourd’hui dirigeant de l’association « Valeurs saines », avec des activistes salafistes © Photo RésistanceS / Alexandre Vick

 







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