RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite | Mercredi
13 septembre 2023 |
CHILI 1973-2023 : UN AUTRE 11-SEPTEMBRE | Une campagne de manipulation de l’opinion publique visant à empêcher l’élection, en 1964, du socialiste Salvador Allende a été organisée. À la manœuvre : la CIA nord-américaine dans le cadre de sa lutte internationale pour contrer le « spectre du communisme ». Pour financer cette campagne, des généreux donateurs : des notables anticommunistes, la droite chrétiennes allemande, italienne, le Vatican et l’ancien souverain des Belges, le roi Baudouin. Dont l’épouse, la reine Fabiola, s’était déjà mise au service du dictateur espagnol Franco. Retour dans le passé noir chilien du palais royal belge (M.AZ) | Une série du journal de RésistanceS [5/5]
CET ÉPISODE EST SUIVI DES BONUS :
- Dans le passé noir du roi catholique Baudouin
- Dans le passé noir de la reine catholique Fabiola
En avril 2000, le quotidien flamand De Morgen jetait un pavé dans la
mare en relayant les propos d’un ancien ambassadeur des États-Unis au Chili,
Edward Korry. Ce dernier affirmait en effet, dans un reportage canadien
intitulé « The last stand of Salvador Allende » qu’en 1964, la CIA, les
services de renseignement civils nord-américain agissant à l’étranger, aurait
conçu un plan visant à discréditer Salvador Allende. Dans le cadre de cette
campagne de manipulation de l’opinion publique, le candidat progressiste devait
être décrit comme étant un « dangereux communiste ». Les services
secrets US apportaient ainsi leur soutien à la campagne présidentielle
d’Eduardo Frei, le rival chrétien-démocrate de Salvador Allende. Mais cette
opération d’intoxication ne pouvait pas se faire sans un apport financier. Les
souteneurs de l’ombre de Frei iront chercher de l’argent – près de 2,7 millions de dollars - auprès
d’institutions et de notables anticommunistes.
Parmi les généreux donateurs qui auraient contribué à constituer cette somme
rondelette : le Vatican, les mouvances démocrates-chrétiennes allemande et
italienne, la famille royale italienne et… la maison royale de Belgique !
La démocratie : au second plan
Après le soutien avéré du roi Baudouin (1930-1993) au dictateur zaïrois Mobutu Sese Seko (1930-1997) à son homologue rwandais Juvénal Habyarimana (1937-1994), après son amitié pour de tristes sires comme le Marocain Hassan II (1929-1999) ou le Japonais Hiro-Hito (1901-1989), voici donc un énième dossier qui met à mal le mythe sacro-saint du roi « neutre et au-dessus de la mêlée ». Mais dès lors que le chilien Frei se réclamait de la mouvance chrétienne, comment s’étonner que Baudouin, n’écoutant que sa foi, ait courut à son secours ?
On sait, ou on devrait savoir, que la famille royale belge, – et ce fut particulièrement avéré sous le règne de Baudouin – a toutes les indulgences pour ceux qui partagent ses convictions philosophiques, et que le respect de la démocratie et de l’État de droit sont souvent passées au second plan dès lors qu’était brandi le « spectre du communisme ».
NADIA GEERTS
RésistanceS | Observatoire
belge de l’extrême droite
Qui est l’autrice de cet article ?
L’article ci-dessus que vous venez de lire a été publié une première fois en août 2003 sur le site RésistanceS. À l’occasion de notre dossier « Chili 1973-2023 Un autre 11-Septembre », il a été republie en septembre 2023.
Diplômée de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), l’autrice de celui-ci, Nadia Geerts, est alors enseignante de morale dans un lycée de la ville de Bruxelles. De 2002 à 2010, elle est membre de la rédaction de RésistanceS. Nadia Geerts est aussi la responsable d’une section communale du parti Ecolo, la présidente-fondatrice du Cercle républicain - Republikeinse Kring - Republikanischer Kreis (CRK) depuis sa création en 1999 et l’une des initiatrices en 2007 du Réseau d’actions pour la promotion d’un État laïque (RAPPEL). Autrice de livre, elle publie son premier en 2003, aux éditions Labor / éditions Espace de Libertés (Centre d'action laïque) : Baudouin sans auréole (lire ci-dessous)
En 2010, après son échec de réorienter le journal de RésistanceS dans le combat contre l’islam radical, Geert démissionna de sa rédaction et de son association éditrice. Depuis, elle poursuivi une dérive politique, comme chroniqueuse à l’hebdomadaire souverainiste Marianne et autrice, certes de façon éphémère, dans les colonnes de Causeur, un mensuel conservateur français qui s’est associé à la droite pure et dure, notamment à l’hebdomadaire Valeurs Actuelles, atteint de panique morale à propos de l’islam, des quartiers populaires, des enfants et petits-enfants des immigrations arabo-musulmanes. En juin 2021, Geerts est passé comme collaboratrice au Centre Jean Gol, le service d’études du Mouvement réformateur (MR), dirigé par son courant conservateur national-libéral. La rédaction de RésistanceS est totalement indépendante de ce parcours final [Notice bio : M.AZ. Photo : Nadia Geerts en 2004 à la Fête du Premier Mai de la FGTB © RésistanceS].
BONUS 1
Dans le passé noir du roi catholique Baudouin
Assassinat de Lumumba, loi sur l’avortement, personnalités peu respectueuses de la démocratie… Nadia Geerts, l’autrice de l’article ci-dessus a publié son premier livre en 2003 : Baudouin sans auréole. Voici la présentation de celui-ci faite par l’un de ses coéditeurs, le Centre d’action laïque, le CAL (M.AZ).
Il y a dix ans le roi Baudouin disparaissait. L’émotion dans le pays fut grande, à la mesure de la durée de son règne. Bien vite toute une légende enveloppa la figure du grand disparu : celle d’un gardien de l’unité de la nation, d’une haute conscience morale, portée par un idéal de sainteté. Les rois sont mortels, les légendes également.
L’ouvrage de Nadia Geerts, qui se veut aussi un plaidoyer pour la République, met en lumière diverses entorses faites par Baudouin à la Constitution et à la laïcité de l’État : responsabilité morale dans l’assassinat de Lumumba, refus de signer la loi dépénalisant l’avortement, scandale d’Opgrimbie, complaisances à l’égard de personnalités peu respectueuses de la démocratie. Démarche engagée, mais rigoureusement documentée. Démarche salubre surtout. Car à l’heure où, de mariages en naissances, l’institution monarchique fait l’objet d’un intense marketing médiatique, il était nécessaire de faire entendre, dans le concert bien orchestré des célébrations, une voix discordante : celle de la raison critique.
Nadia Geerts
Baudouin sans auréole
Éditions
Labor et éditions Espace de Libertés
Bruxelles, 2003, 96 pages
BONUS 2
Dans le passé noir de la reine catholique Fabiola
Anne Morelli, membre de l’association des Ami-e-s de RésistanceS (AdR) et autrice d’articles pour RésistanceS, après avoir dépouillé des archives inédites, publié en 2015 un brûlot : Fabiola, un pion sur l’échiquier de Franco. L’historienne de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) révèle dans celui-ci les solides liens entre le Palais royale de Belgique et la dictature national-catholique d’extrême droite espagnole. À propos de ce livre, nous republions ici l’article du journaliste Pierre Havaux paru dans l’hebdomadaire belge Le Vif / L’Express du 20 février 2015 (M.AZ).
Baudouin-Fabiola et Franco : l’idylle démasqué
Le couple royal et le dictateur entretenaient des liens qui dépassaient le « stade des simples convenances » pour flirter avec une intrigante » familiarité ». L’historienne Anne Morelli a exhumé les preuves dans les archives espagnoles. Révélations.
Novembre 1975, un dictateur se meurt. Franco s’éteint, au terme d’une longue
agonie. Le décès de celui qui a gouverné l’Espagne d’une main de fer durant
trente-cinq ans ne fait pas que des heureux. Jusqu’à Bruxelles, dans l’intimité
du château de Laeken, l’heure est au recueillement, à la pensée émue pour le
général disparu. Comment tirer un trait sur tant d’années de relations plus que
cordiales sans verser une larme ? Comme si le caudillo ne laissait que de bons
souvenirs à Baudouin et Fabiola.
Il y a de ces chagrins embarrassants. Le gouvernement de l’époque, dirigé par
le CVP Léo Tindemans, a fort à faire pour dissuader le roi des Belges d’aller
s’incliner devant la dépouille mortelle de Franco. Il doit aussi se montrer
très persuasif pour atténuer le ton des condoléances que le souverain souhaite
adresser personnellement à la veuve du général disparu.
Anne Morelli ne craint pas de mettre les pieds dans le plat. L’historienne
engagée de l’ULB [Université Libre de
Bruxelles], la républicaine
convaincue [elle n’est néanmoins pas membre du Cercle républicain / CRK de
Nadia Geerts, jugeant le combat pour la République secondaire, lui préférant le
combat politique et social],
ambitionnait de déchirer le voile pudiquement posé sur les liens que le couple
royal n’a cessé d’entretenir avec le dictateur espagnol. Mission accomplie. En
2012, elle livrait au Vif/L’Express (numéro du 13 juillet) les premiers
fruits de ses investigations. Son enquête à présent clôturée, la spécialiste de
l’histoire des religions, admise à l’éméritat en 2013, persiste et signe. Le
titre de son brûlot en fait foi : Fabiola, un pion sur l’échiquier de Franco.
Sans point d’interrogation pour maintenir l’ombre d’un doute…
La cinquième reine des Belges, décédée en décembre dernier, ne sort pas grandie
de ce dossier à charge. La « reine blanche », tant louée pour sa grande piété,
révèle un autre visage. Un autre parcours. Fabiola, c’était aussi « la jeune
fille modèle du régime franquiste » issue d’une famille aristocratique
espagnole « violemment hostile à la République », qui a su rallier son époux
Baudouin aux sympathies qu’elle affichait sans ambiguïté pour le dirigeant
espagnol. Fabiola, en ambassadrice de charme, qui œuvre, naïvement peut-être
mais discrètement, au retour en grâce d’une Espagne franquiste mise au ban de
la communauté internationale.
Du pain bénit pour le caudillo : Franco n’aurait eu qu’à se féliciter des
retombées diplomatiques de la belle histoire d’amour entre l’aristocrate
espagnole et le roi des Belges. « De 1960 à 1975, Fabiola jouera, via son
influence sur Baudouin, le jeu de Franco. Les époux éprouvaient une grande «
affection » pour lui », affirme Anne Morelli.
L’historienne aligne des pièces à conviction. Elles ne sont pas tombées du
ciel, encore moins fournies par le Palais royal de Bruxelles qui lui a poliment
fermé la porte au nez. C’est en terre natale de Fabiola qu’Anne Morelli les a
exhumées : dans les archives espagnoles du Palais royal, des Affaires
étrangères et de la noblesse, ainsi que dans les papiers généralement peu
accessibles du général Franco. « La moisson fut bonne. »
Des billets au ton affectueux, des messages de remerciement, toutes ces petites
marques d’attention mutuelles ont amplement suffi à Anne Morelli pour se faire
une religion : Baudouin, Fabiola et Franco, n’en étaient plus au « stade des
simples convenances » mais flirtaient avec une vraie « familiarité. » « Le
couple royal mange avec le vieux dictateur, séjourne dans une maison de
campagne qu’il lui prête, lui rend visite sur son yacht… Le roi des Belges va
même jusqu’à signer « Votre affectionné Baudouin » lors d’échanges épistolaires
avec le caudillo ! » Édifiant.
PIERRE HAVAUX
Journaliste au Vif
Anne Morelli
Fabiola, un pion sur l’échiquier de Franco
Éditions Renaissance du Livre
Bruxelles, 2015, 82 pages
Sommaire de notre série
Il y a 50 ans la démocratie a été assassinée au Chili
(Épisode 1 : le 9
septembre 2023)
Pinochet ou la banalisation chilienne du mal
(Épisode 2 : le 10 septembre 2023)
Du Chili à l’Europe, l’opération Condor au cœur du terrorisme
d’État
(Épisode 3 : le 11
septembre 2023)
Les
lobbies belges pro-pinochetistes
(Épisode 4 : le 12
septembre 2023)
Le roi des Belges contre le président du peuple chilien
(Épisode 5 : le 13
septembre 2023)
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