Qui est Alexandre Douguine, le conseiller d’extrême droite de Poutine

RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite  | Dimanche 21 août 2022 | 15 h 01

Daria et Alexandre Dougine lors d’une réunion du Mouvement eurasiatique © Photo : RIDAF-Varsovie

RUSSIE | Dans la nuit de samedi à dimanche, dans les environs de Moscou, Daria Douguine est morte dans l’explosion d’une bombe placée dans sa voiture. C’est certainement son père qui était réellement visé par cet attentat. Théoricien nationaliste de la Grande Russie, Alexandre Douguine est depuis le début des années 1990 lié à l’extrême droite Ouest européenne. Un maillon essentiel du régime de Poutine | PORTRAIT

 

Daria Douguine, âgée de 30 ans, fille d’Alexandre Douguine, partageait depuis très jeune les combats politiques de son père. Au point de devenir le numéro deux et l’héritière désignée de son courant idéologique. Se réclamant de la Russie de l’époque soviétique et des tsars, avec beaucoup de mysticisme et l’apport des thèses doctrinales du nationalisme traditionaliste et ésotérique pensée dans les années 1930 par le fasciste italien Julius Evola, Alexandre Douguine arc-boute aussi son orientation idéologique sur une vision nationaliste politico-religieuse. Il est dès lors également lié au milieu les plus conservateurs nationaux-orthodoxes de l’Église russe. 

 

L’EURASIE POUR POUTINE 

Depuis le début des années 1990, il élabore sur des bases théoriques une quatrième voie politique, après le constat des échecs du communisme, du fascisme et du libéralisme. Dans ce cadre, il défend la reconstitution d’un immense empire, ni occidental ni oriental. Un espace vital euro-asiatique, l’Eurasie. 

 

Dans l’après-URSS, Douguine participe à la création d’abord du Parti national-bolchévique (PNB), de l’ex-dissident et écrivain non-conformiste Edouard Limonov, décédé en mars 2020. Mais très vite, l’orientation d’extrême droite se révèle dans l’esprit d’Alexandre Douguine. Il va faire scission du PNB et avec d’autres affiliés, Douguine, en juin 2002, fonde sa propre formation politique, le Parti Eurasie, en vue de se présenter éventuellement aux élections.

 

L’option électorale est bien vite abonnée. Douguine adopte une autre stratégie : celle de l’entrisme directement au cœur du pouvoir russe. Objectif influencer le nouveau maitre absolu du Kremlin, Vladimir Poutine, en recherche d’un corpus idéologique pour présider la « Nouvelle Russie » qu’il rêve depuis la fin de l’Empire soviétique. Alexandre Douguine transforme, en novembre 2003, son parti politique en « Mouvement international eurasiatique »Cette nouvelle structure militante - au logo dans le plus pur style fasciste rappelant celui des nationalistes hongrois, pronazis et antisémites du Parti des Croix fléchées dans les années 1930-1940 – va se développer dans la perspective de s’implanter durablement en Russie. Mais également à l’étranger, dans près de trente pays, dont ceux de la Communauté des États indépendants (CEI), rassemblant quelques ex-républiques de l’URSS, mais encore en Allemagne, en France, en Italie, en Grande-Bretagne, en Égypte, en Turquie, au Liban, en Syrie, en Iran, au Pakistan, en Inde, au Japon, au Vietnam ou encore dans des pays d’Amérique du Sud. Un réseau mondial qui sera mis au service de la propagande nationaliste du régime de Poutine.

 

DE BREST À VLADIVOSTOK AVEC L’EXTRÊME DROITE EUROPÉENNE

Si le courant de Douguine bénéficie de sympathisants dans des pays arabes et asiatiques, son ancrage politique est principalement européen. Dès le début des années 1990, celui qui deviendra l’un des conseillers les plus influents de Poutine - et de ses bras-droits civils, religieux et militaires - prend contact avec des nationalistes de droite d’Europe de l’Ouest. En 1992, il reçoit à Moscou une délégation conduite par le Belge Jean Thiriart, l’ancien fondateur dans les années 1960 de Jeune Europe et idéologue du « national-communautarisme européen », la première ébauche de l’« eurasiatisme » (Thiriart revendiquait la création d’un empire allant de Brest à Vladivostok). 

 

Ensuite, Alexandre Douguine va souvent voyager dans plusieurs pays européens pour vendre sa proposition d’empire. Et y rencontrer des représentants d’extrême droite à chaque fois. En France, son principal contact est le philosophe Alain de Benoist, le cofondateur emblématique du Groupement de recherche et d’études pour la Civilisation européenne (GRECE), dont l’objectif est de permettre par un « combat culturel » à la droite conservatrice d’arriver au pouvoir. Douguine est aussi en contact avec les purs et durs de cette dite « Nouvelle Droite ». Ses livres sont publiés ensuite en français chez Ars Magna, une minuscule maison d’édition de Nantes issue de la mouvance « nationaliste-révolutionnaire » (une synthèse des nationalismes européens, fascisme et nazisme compris), dont le directeur-fondateur est un des soutiens du Rassemblement national de Marine Le Pen.

 

En octobre 2014, quand Jean-Marie Le Pen se rend en visite secrète à Moscou pour y renforcer ses positions politiques au sein de l’extrême droite française, il y rencontre un oligarque, Konstantin Malofeev, mais également l'idéologue Alexandre Douguine, comme le révélera une enquête d’investigation journalistique diffusée en novembre 2015 sur Canal Plus.

 

CONTRE LA SOUS-CULTURE UKRAINIENNE

Après l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février dernier, l’influence d’Alexandre Douguine se fera de plus en plus remarquée auprès de Vladimir Poutine. Celle de sa fille aussi. Sur les plateaux de télés, lors d’émissions de propagande, elle justifiait totalement la nouvelle guerre patriotique et revendiquait carrément l’extermination de la sous-culture ukrainienne. 

 

Daria Douguine, jusqu’à son assassinat, dirigeait avec son père le Mouvement international eurasiatique. Il y a quelques jours, ils avaient encore animé ensemble l’université de formation d’été de ses jeunesses, moment de cohésion annuelle et de formation idéologique pour leurs disciples.

 

L’attentat de cette nuit visant Alexandre et Daria Douguine est-il pour autant l’œuvre des Ukrainiens ou de résistants russes au régime de Poutine ? Tout laisse à supposer que ses commanditaires se trouveraient plus tôt auprès de ce dernier. Dans la fraction opposée à la guerre contre l’Ukraine.

 

 

MANUEL ABRAMOWICZ

RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite




Il y a quelques jours, Daria et Alexandre Dougine à l’université de formation des jeunes du Mouvement international eurasiatique © Photo : RIDAF-Varsovie





+ D'INFOS sur le journal RésistanceS Qui sommes-nous ?


| RésistanceS est aussi sur 




© RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite | asbl RésistanceS | N° 478574442 | Bruxelles | 21 août 2022  |