Ex-leader du courant libéralo-lepéniste du MR, Destexhe rejoint l’extrême droite

RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite  | Jeudi 18  novembre 2021  | 18 : 45

Affiche électorale d’Alain Destexhe pour son fiasco politique en mai 2019 © Photo M. Abramowicz / RésistanceS



GALAXIE LIBÉRALO-LEPÉNO-ZEMMOURISTE | Il affirme appartenir toujours au camp du Bien (démocratique). Mais depuis plus de deux décennies, Alain Destexhe recycle pour le parti libéral, le logiciel du Vlaams Belang et du Rassemblement national. L’ex-parlementaire provient du « courant libéralo-lepéniste » qui a déjà fourni de nombreux transfuges au Front national à la belge. Après son plan avorté de droitisation populiste du MR et son fiasco électoral individualiste, il apporte maintenant officiellement son appui à « Chez Nous », un micro-parti wallon parrainé par l’extrême droite française et flamande, plus lepéniste que zemmouriste  | PROJECTEURS SUR UNE MOUVANCE NÉOREXISTE

 

En mot, en slogan, en programme et dans ses livres, cela faisait déjà longtemps qu’Alain Destexhe (63 ans) avait repris le lexique et la rhétorique de l’extrême droite classique. Depuis plusieurs années déjà, le parlementaire bleu fréquentait des personnalités figurant dans l’album photo de cette dernière. Toujours membre du parti libéral belge francophone, il accordait des interviews à l’organe de presse de l’association des étudiants nationalistes, le NSV, directement liée au Vlaams Belang et invitait à Bruxelles son ami personnel et compagnon politique Éric Zemmour, aujourd’hui à la tête de l’union des droites radicales en France.

 

C’est en 1995 que ce médecin généraliste, après avoir travaillé chez Médecins sans frontières, est une première fois élu dans une assemblée législative, comme sénateur. Pendant 24 ans, Alain Destexhe est un fidèle du libéralisme, du Parti réformateur libéral (PRL) de Jean Gol au Mouvement réformateur (MR) de la famille Michel. Il y entretien un style. Mais aussi, en filigrane et sans aveux, celui du lepénisme qui dans les années 1990 est en vogue. Tant au sein de l’ultra droite raciste populo que dans la droite bon chic bon genre des quartiers riches que le docteur Destexhe incarne. Cette droite décomplexée dont des aficionados lanceront en 2008 une nouvelle formation, le Parti populaire (PP). Alain Destexhe reste lui dans les rangs libéraux. Dans ceux-ci, son plan de carrière politique est bien plus assuré pour garder son maroquin. Il y conduit même une mouvance idéologique intégrée au cœur même du MR pour lutter contre sa « gauchisation », orchestrée d’après lui par le « clan Michel ».

 

COURANT LIBÉRALO-LEPÉNISTE AU CŒUR DU MR

Dans le parti de l’avenue de la Toison d’or (où se trouve le siège du MR), le courant interne mené par Destexhe, certes informel, est très dynamique. Sans le dire, ce clan - dans le verbe et dans les faits - appartient à la « galaxie libéralo-lepéniste ». Cette mouvance s’est formée il y a plus de vingt ans, au tout début de la « lepénisation des esprits ». Ce que dit ce clan idéologique à l’intérieur du MR n’est pas très déconnecté de ce qu’affirme, sans rougir, le Vlaams Belang au Parlement flamand ou les députés du Rassemblement National à l’Assemblée nationale. Leurs thèmes de prédilection sont similaires sur l’immigration, l’insécurité, l’antisyndicalisme, le fiscalisme, les services publics…

 

Chez les bleus mainstream, Alain Destexhe n’est pas un cas isolé. Il n’est pas le seul à loucher sur le style et le fonds de commerce de « la droite de la droite ». Jacqueline Galant, ministre fédérale de 2014 à 2016 qui sera dans celui-ci très proche du secrétaire d’État Theo Francken (N-VA), Daniel Ducarme, actuel ministre fédéral, ou la bien moins connue Patricia Potigny, conseillère provinciale de 2006 à 2015, puis députée régionale jusqu’en 2019, murmurent ici et là, y compris sur des plateaux télés, ce que disait tout haut dans les années 1980 Jean-Marie Le Pen. Le courant libéralo-lepéniste est fort actif grâce au rôle important joué par un dénommé Drieu Godefridi, un philo-leader pro-frontiste au début des années 1990, qui est devenu ensuite le pilier du Centre Jean Gol, la boite à penser du Mouvement réformateur (voir l’enquête du Journal de RésistanceS sur ce personnage de l’ombre via les liens ci-dessous).

 

C’est dans la décennie 1970-1980 que ce courant conservateur et réactionnaire vu le jour à l’intérieur même de l’ancêtre du MR, le PRL. Nombreux de ses élus avaient déjà alors récupéré une partie du logiciel de propagande du Front national de Jean-Marie Le Pen. Pour rappel, en 1984, c’est Roger Nols, le bourgmestre de la commune bruxelloise de Schaerbeek, passé du Front démocratique des francophones (FDF) au PRL, qui avait personnellement accueilli dans sa commune, le président-fondateur du FN français. Ce qui avait provoqué une des plus grandes manifestations antifascistes de tous les temps.


L’HEURE A SONNÉ

En décembre 2018, Alain Destexhe exprime un énième remous interne au cœur du MR. Il poursuit sa croisade pour mettre le gouvernail vers le cap se trouvant à l’extrême droite de la scène politique. Son opération est mise en échec par la vieille garde du parti libéral. Au même moment, la Nieuw-Vlaams alliantie (N-VA) quitte opportunément le gouvernement fédéral conduit par le libéral francophone Charles Michel. Le départ des nationalistes indépendantistes libéraux flamands se fait officiellement pour protester contre la signature par le gouvernement belge dudit « Pacte de Marrakech » de l’Organisation des Nations unies afin de gérer sur le plan international l’immigration. C’est une excuse pour la N-VA en vue des élections à venir au mois de mai qui suit. Cette sortie donne des idées à Alain Destexhe. Son heure historique a sonné, pense-t-il.

 

Le libéral bruxellois quitte le MR avec fracas. Il espère qu’il sera suivi de nombreux autres de ses amis internes. Finalement, beaucoup reste dans la « maison bleue », c’est le cas notamment de Godefridi. Seuls quelques-uns, pour la plupart des seconds couteaux, comme Patricia Potigny, adhèrent au projet de Destexhe de lancer une nouvelle formation politique bien de droite. Ils sont rejoints par des ex-libéraux, un député régional wallon issu du PP, un avocat lié au Vlaams Belang et à la droite nationaliste suisse, des anciens de l’extrême droite frontiste et des « messieurs-et-mesdames-tout-le-monde » qui pensaient alors tout bas ce que disaient tout haut Jean-Marie Le Pen hier, Marine Le Pen aujourd’hui. Autre référence politico-médiatique de ce petit milieu réac : le polémiste Éric Zemmour, un ami personnel d’Alain Destexhe.

 

FIASCO ÉLECTORAL

Pour les élections fédérales et régionales de mai 2019, la « bande à Alain », dans laquelle le culte de la personnalité rivalise avec celui en vigueur en Chine à l’époque maoïste, met sur pied les « Listes Destexhe ». Malgré une organisation quasi politico-militaire et l’apport de pros de la communication politique, c’est le fiasco total. La pierre qui les coule touche également par ricochet son concurrent principal, le Parti Populaire (PP). Après le grand scrutin qui vient de se terminer, les Listes Destexhe et le PP vont mourir politiquement. Mais l’espoir fait vivre. Juste avant l’été 2019, un nouveau parti voit le jour sous le nom des Libéraux démocrates (LiDém), avec des ex-« pépistes » et des anciens « destexhiste ». Mais les conflits intérieurs seront-là aussi très nombreux, entre son aile « démocrate » - conduite par un ancien journaliste et ex-agent des services de renseignement français - et celle animée par des nervis bien connus d’extrême droite.

 

Ne participant pas sur le terrain à la bataille pour accaparer le leadership des LiDém, Alain Destexhe a déjà mis les voiles pour s’exiler à l’étranger et se faire oublier au plus vite. Parce que ceux qui le détestent sont de plus en plus nombreux. Y compris dans sa propre famille idéologique. Il est accusé d’être le principal responsable de la destruction électorale de la droite décomplexée.  


DESTEXHE PASSE CHEZ NOUS

Sur la base de l’échec doublé des Listes Destexhe et du Parti populaire, et de la voie de garage dans lequel se sont mis les LiDém, plusieurs de ses « cadres » fondent en mai 2021 « Chez Nous ». Un soutien matériel - et donc financier - du Vlaams Belang, ainsi que le parrainage du grand frère français historique, le Rassemblement national, sont apportés aux fachos-wallons. Leur nouveau parti politique est clairement ancré à l’extrême droite. Un identique discours et un même style forment son programme.

 

Pas étonnant dès lors de connaitre l’identité idéologique de ceux qui ont rallié « Chez Nous ». La majorité provient de la droite nationaliste et identitaire ethnique encore en vie dans le sud du pays. Parmi eux, il y a les fondateurs du Parti national européen (PNE), formé en décembre 2019 par le « courant thiriartien » dissident du Mouvement Nation, l’association Valeurs nationales (ex-Collectif identitaire liégeois), rassemblant l’ex-section régional de Liège de Nation) ou la fantomatique Droite conservatrice, conduite par une ancienne cadre ingérable du Parti populaire, jouant bien moins de ses talents intellectuels que de ses charmes.

 

Pour sa part, Alain Destexhe n’est pas resté indifférent à la création de « Chez Nous ». Quelques jours après l’annonce de son lancement, l’ex-parlementaire du PRL et du MR écrit sur son mur Facebook : « Je vous signale la page [Facebook] d'un nouveau mouvement politique francophone avec lequel je n'ai rien à voir mais dont je connais et apprécie certains des membres fondateurs. ». Hier, c’est Jérôme Munier, ex-dirigeant des Jeunes du PP et président-fondateur de la nouvelle formation d’extrême droite, qui annonce son ralliement.

 

Le président-fondateur bruxellois du nouveau parti wallon d’extrême droite à nouveau côte à côte avec Alain Destexhe, un compagnon politique de longue date. Document : réseau sociaux.


DES ARISTOS LIBÉRAUX MONTENT AU FRONT

L’arrivée d’un libéral dans l’extrême droite n’est pas une nouveauté. Alain Destexhe suit ainsi la trace d’autres libéraux-lepénistes, tels que Roger Nols (déjà cité supra), le comte Thierry de Looz-Corswaren, un ancien échevin PRL dans la commune bruxelloise d’Ixelles, ou encore l’aristocrate montoise Marie-Françoise de Fays, alors membre du bureau politique du parti libéral. En avril 1995, Nols et de Fays prennent leur carte de membre au Front national de Daniel Féret. Quelques mois après, ils participent à une tentative de putsch pour débarquer son « président à vie », Daniel Féret, lui aussi médecin et candidat dans les années 1970 du Parti pour la Liberté et le Progrès (PLP), une des composantes du PRL. Le complot est déjoué par les féretistes. Les conjurés font scission. Puis lancent un nouveau FN, sous le nom de Front nouveau de Belgique (FNB), autour de la députée fédérale frontiste Marguerite Bastien, elle aussi venant du PRL. Ce qui n’est pas un hasard. Liés aux purs et durs du libéralisme musclé belgicain, des membres de l’ex-tendance libérale nationaliste belge du Parti social-chrétien (PSC) adhèrent également au FNB, comme le baron François van Caloen, qui fut conseiller communal à Ixelles, et Daniel Noël de Burlin, un ancien sénateur catholique connu déjà à l’époque comme disciple du fascisme à la sauce belgicaine.

 

Avec le FNB, dont le secrétaire-général est lui également un ancien du PRL et un ex-officiers de l’Armée belge, ils ont l’objectif de proposer aux électeurs une alternative nationaliste et libérale en unissant les droites belges. Leur rêve commun ne sera que de courte durée. Avant le FN belge, le FN-bis explosera en plein vol. Aujourd’hui, son ancienne présidente-fondatrice Marguerite Bastien manifeste toujours son soutien au Vlaams Belang.


BALAYEURS NÉOREXISTES

Comme il y a vingt ans avec Marguerite Bastien, « Chez Nous » avec le soutien d’Alain Destexhe espère certainement attirer d’autres libéraux toujours affiliés au MR. Cependant, Destexhe pourrait aussi constituer une véritable bombe humaine à retardement. 

 

« Chez Nous » est la branche wallonne du VB flamand et du RN de Marine le Pen. Or, le pire ennemi actuel de cette dernière est Éric Zemmour. En Belgique, ce polémiste d’extrême droite, sans doute candidat à la Présidentielle contre Le Pen, reçoit depuis peu le soutien d’« amis belges ». Ceux-ci sont rassemblés dans une association dont le meneur est Alain Destexhe en personne, comme la révélé le 29 octobre dernier Le Journal de RésistanceS.

 

Souhaitant se présenter aux prochaines élections de 2024 qu’en Wallonie pour laisser le champ libre à Bruxelles à ses « camarades » du Vlaams Belang, le parti « Chez Nous » pourrait imploser en basse altitude, par suite de tensions à venir entre ses affiliés « lepénistes » et « zemmouristes ». Bonus pour l’atomisation : le nom d’Alain Destexhe est cité dans un dossier politico-judiciaire international qui pourrait prochainement revenir au-devant de l’actualité. Une affaire qui ne serait pas bonne pour les balayeurs néorexistes. Le compte à rebours vient d’être lancé. Du beau spectacle en perspective. À suivre sur le canal du Journal de RésistanceS.

 

 

ALEXANDRE VICK

RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite  



+ D’INFOS 


SUR LE COURANT LIBÉRALO-LEPÉNISTE DU MOUVEMENT RÉFORMATEUR (MR)

 

Le passé raciste du parti libéral francophone (dans le texte)

RésistanceS n° du 23 mai 2001  (première édition : 23 septembre 2003) : www.resistances-infos.blogspot.com/2001/05/le-passe-raciste-du-parti-liberal.html

 

L’extrême droite va-t-elle rejoindre le MR ?

RésistanceS n° du 19 septembre 2020 : www.resistances-infos.blogspot.com/2020/09/lextreme-droite-va-t-elle-rejoindre-le.html

 

Qui est réellement Drieu Godefridi, le philo-leader radical des libéraux conservateurs ?

RésistanceS n° du 23 février 2021 : www.resistances-infos.blogspot.com/2021/02/qui-est-reellement-drieu-godefridi-le.html

 

 

 

SUR ALAIN DESTEXHE


Le retour d’Alain Destexhe avec les amis belges d’Éric Zemmour

RésistanceS n° du 29 octobre 2021  : www.resistances-infos.blogspot.com/2021/10/le-retour-dalain-destexhe-avec-les-amis.html

 

Les Listes Destexhe recyclent-elles des frontistes et autres lepénistes ?

RésistanceS n° du 29 mars 2019 : www.resistances-infos.blogspot.com/2019/03/les-listes-destexhe-recyclent-elles-des_29.html

 

 

SUR « CHEZ NOUS »


« Chez nous », un nouveau (mini) parti d’extrême droite en Wallonie

RésistanceS n° du  1er juin 2021 : www.resistances-infos.blogspot.com/2021/06/chez-nous-un-nouveau-mini-parti.html

 

Un meeting à Liège pour prendre le leadership de l’extrême droite wallonne

RésistanceS n° du  6 octobre 2021 : www.resistances-infos.blogspot.com/2021/10/un-meeting-liege-pour-prendre-le.html

 

 

+ D'INFOS sur le journal RésistanceS 

 

 

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