« Chez nous », un nouveau (mini) parti d’extrême droite en Wallonie

RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite  | Mardi 1er juin 2021. Actualisé : 18 juin 2021  | 07 : 06

Les deux fondateurs du parti d’extrême droite Chez Nous, Gregory Vanden Bruel et Jérôme Munier  (premier et quatrième à partir de la gauche), en 2015, en compagnie de l’avocat Mischaël Modrikamen, le président-fondateur du Parti Populaire, du publiciste français Laurent Obertone, auteur de « La France orange mécanique », et d’Alexandre Loubet, du parti Debout la France © Photo Réseau social F.



 

UN ENIÈME FN ?  – Le Front national en Belgique est une histoire ancienne, après une existence chaotique de 1985 à 2017. Pourtant, des ex-libéraux du « courant lepéniste » de feu le Parti populaire, viennent de fonder une nouvelle structure politique avec l’ambition de rassembler l’extrême droite wallonne encore en vie – RADIOSCOPIE

 

Ce lundi a été lancé « Chez Nous ! ». De quoi s’agit-il ? D’un nouveau café (il existe en effet dans pas mal de patelins de Wallonie, et d’ailleurs, des établissements de boissons portant ce nom) ? D’une épicerie bobo proposant des légumes cultivés dans des fermes bios ? D’un club de supporters xénophobes de football ? Oh que non. Ce « Chez nous » est l’appellation d’une nouvelle formation politique. 

 

Première impression : le « look » est très branché. Il est passe-partout, avec un logo qui veut garder l'église au milieu du village (wallon). Seconde impression : il n’y a pas de doute, il s'agit bel et bien d'un parti d'extrême droite pur jus. Éléments de langage identiques, rhétorique semblable, projet commun, cibles similaires, référence identitaire à la religion catholique... En résumé : localisme, nationalisme, défense des valeurs religieuses, de l’identité traditionnelle, remise en place de la logique « eux contre nous », de l’exclusion des « autres », pour le retour au « pays réel », à la Nation d’origine. 

 

D’OÙ PROVIENT LE MICRO-PARTI « CHEZ NOUS » ? 

Les fondateurs de Chez Nous viennent des rangs de l’ancien Parti populaire (PP), actif à Bruxelles et en Wallonie de 2009 à 2019, autour de son président-fondateur, l’avocat d’affaires carolo-bruxellois Mischaël Modrikamen. Les « boss » de Chez Nous sont issus du « courant lepéniste » du PP. Chez eux, Marine Le Pen est la référence politique incontournable. Embourbé dans des échecs électoraux successifs depuis 2009, le PP restera fortement divisé de l’intérieur. La formation de Modrikamen, comme hier le FN belge de Daniel Féret, ressemble de plus en plus à une « armée mexicaine ». Les conspirations intérieures l’amputent d’un rayonnement extérieur. La donne doit changer. Le chef des Jeunes du Parti populaire, Jérôme Munier, est le maillon essentiel d'une tentative de putsch pour déboulonner de son siège présidentiel Mischaël Modrikamen. Conduite secrètement autour d’Aldo Carci, le second député fédéral de la petite histoire de cette micro-formation populiste, et de son assistant parlementaire, André Antoine, elle est fomentée de l'extérieur avec Ghislain Dubois, l'avocat belge de Marine Le Pen, la présidente alors encore du Front National français. Cela tombe bien, Jérôme Munier est en contact direct avec les Jeunes du FN.

 

Le plan du « courant lepéniste » du PP est de le liquider pour le remplacer par un nouveau parti politique. Cette machinerie machiavélique ne pourra aboutir. Une des membres du courant lepéniste du PP, Valeria  Appeltants, vend la mèche au président-fondateur, comme le prouve un enregistrement audio de la conversation téléphonique qu’elle a eu avec lui à la mi-juillet 2017. « Mordi » reprend la main du parti jusqu’à sa liquidation électorale définitive aux scrutins régionales et fédérales de mai 2019, puis son autodissolution le mois suivant. 

 

PROGRAMME LEPÉNO-ZEMMOURO-DESTEXHIEN

Prenant les allures d’un nouveau venu dans le monde politique, le parti Chez Nous amalgame pourtant les recettes classiques de la droite extrême la plus classique du « yaka-foutre-tous-les-étrangers-dehors » et « de-mettre-hors-d’état-de-nuire-tous-les-gaucho-bobos-écolos-syndicalistes ».

 

Le programme de Chez Nous est des plus précis : « Nos traditions, notre identité et nos valeurs, qui nous viennent de siècles d’histoire, sont bafouées chaque jour par les élites “hors sol” qui prêchent la disparition des frontières, des particularismes locaux, des us et coutumes. ». La faute aux « mondialistes ». Le micro-parti pointe du doigt : « Cette mondialisation uniformise les modes de vie sur des standards qui ne sont pas les nôtres et nous impose de renoncer à ce que nous sommes, de consommer tout sauf ce que nous produisons, de tourner le dos à ce qui façonne notre culture commune. » Avec pour détails des évidences réactionnaires : « Nous ne pouvons-nous satisfaire de voir les jours de congé rebaptisés afin de ne pas heurter des communautés minoritaires, de nous voir imposer des traités de libre-échange qui tuent notre économie, de prendre nos ordres auprès des institutions européennes aux dépens de notre peuple. ». Pour Chez Nous, l’heure est grave. L’alarme sonne : « Dans les quartiers de nos villes et nos villages, chaque citoyen doit se sentir chez lui ! ».

 

L’orientation idéologique de cette nouvelle formation correspond de A à Z à l’Alpha et l’Omega des corpus doctrinaux des partis composants la droite radicale, xénophobe, raciste, nationaliste et opportuniste. Avec des emprunts aux slogans populistes de droite du Français Éric Zemmour et du Belge Alain Destexhe. Ce dernier, parlementaire libéral (PRL-MR) durant près d’un quart de siècle, a été le mentor des deux fondateurs de Chez Nous. Pas étonnant dès lors que Destexhe apporte personnellement désormais son appui au nouveau groupuscule d’extrême droite. Le 17 juin dernier, il publiait sur son mur Facebook le message suivant : « Bonjour, je vous signale la page [Facebook]  d'un nouveau mouvement politique francophone avec lequel je n'ai rien à voir mais dont je connais et apprécie certains des membres fondateurs. »


Chez Nous
 n’a rien de moderne, de différent avec la vieille extrême droite, folklorique et réactionnaire d’antan. C’est le retour du Front national des années 1980-1990. De cette droite radicale, populiste, coincée, hypocrite, opportuniste, poussiéreuse et ennuyeuse. Ce neuf parti est renforcé par une fraction du courant lepéniste provenant de la mouvance du parti libéral.


DEAL AVEC LE PEN ET LE VLAAMS BELANG

Les réunions des conjurés du Parti populaire se déroulait en 2017 du côté de Namur, au café « Chez Nous ». D'où le nom choisi. Il fait aussi référence au slogan des supporters xénophobes ultras de clubs football : « On n'est chez nous ! ». Il fut également celui, ceci n’est pas non plus un hasard, choisi pour nommer une « coordination patriotique » (sic) qui rassemblait en mai 2017 des groupuscules de l’extrême droite marginale : du Mouvement Nation, fondé en 1999 par des ex-adhérents du FN belge et du Front nouveau de Belgique (FNB), du Parti des pensionnés, conduit à Liège par un ex-responsable local du Front national, de la liste Agir Ensemble, du conseiller communal frontiste de Dison et des nationaux-solidaristes flamands de la Nieuw-Solidaristisch Alternatief (N-SA).

 

Le but des initiateurs de Chez Nous est d’offrir une nouvelle offre électorale aux électeurs survivants de l’époque du succès du Front national en Wallonie, entre 1994 et 2007. Les fondateurs de ce nouveau parti comptent aussi sur la séduction des nouvelles générations d’électeurs séduits par les effets électoraux du Rassemblement national en France et le retour du Vlaams Belang au-devant de la scène politique en Flandre. En toute intelligence avec ces deux partis représentatifs de la bonne santé politique de l’extrême droite, les deux patrons de Chez Nous agissent finement.

 

Effectivement, Jérôme Munier et Grégory Vanden Bruel, en concertation avec l’avocat belge lepéniste Ghislain Dubois, ont contracté un deal politique avec Marine Le Pen et la direction du VB. L’accord de négociation est de ne jamais se présenter aux élections à Bruxelles. La capitale de la Belgique doit rester une chasse gardée pour les nationalistes identitaires flamands, dont le socle électoral y est francophone depuis les élections régionales de 1999. En échange, Chez Nous bénéficiera d’un soutien politique officiel du RN et du VB pour s’adresser aux électeurs en Wallonie. Avec le label de soutien de Le Pen et du Vlaams Belang, le parti Chez Nous aura alors la possibilité de prendre la première position dans la jungle politique de l’extrême droite francophone qui pousse depuis l’atomisation du FN belge francophone.  

 


L’un des initiateurs « historiques » de la tentative de recréation d’un FN wallon est un « vieux » lepéniste installé dans la Cité ardente © Archives RIDAF-Liège


 


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DANS LA JUNGLE « NATIONO-FACHO »

L’arrivée de Chez Nous sur la scène politique desséchée de l’extrême droite en Wallonie - qui n’est plus que représenté par un seul élu communal du parti AGIR dans son fief, à Fleurus, et trois conseillers communaux issus du Parti populaire - va sans doute faire crisser des dents chez les derniers activistes nationalistes de droite. Ce nouveau parti se rajoute en effet à la liste des derniers micro-groupes encore en vie mais en guéguerre permanente, suite à l’implosion totale en 2012 du Front national belge, puis de sa disparition définitive en 2017.

 

Sur la scène wallonne « nationo-fachos », il y a encore à l’heure actuelle : le Parti national européen (PNE), le Mouvement Nation, le parti Agir (formé par le « canal historique » du FN belge), l’association Valeurs nationales (VN, ex-Collectif identitaire liégeois, rattachée au PNE), le collectif En Colère (formé de dissidents du PNE et de Nation), l’Alliance pour la Wallonie (APW, créé par d’anciens cadres du Parti populaire), le Rassemblement Wallonie Populaire (RWP, cache-sexe du Parti des pensionnés), le Parti pour la liberté (mis sur pied par des « indépendants citoyens »)...  

 

Chez Nous est déjà singularisé par son ton hautain et son lissage de look pour faire croire aux déçus très à droite du MR et du CDH, ainsi qu’aux électeurs conservateurs de DéFI, du PS et même d’ECOLO, qu’une alternative lepéniste sérieuse existe désormais pour la Wallonie. Le trio Munier-Vanden Bruel-Dubois aura-t-il cependant les capacités de rester uni sur le long cours ? La relecture des rapports d’activités des extrêmes droites francophones, depuis plus de trente ans, démontre que le pari ne pourra pas être gagnant.

 

SIMON HARYS

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