RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite | Jeudi 18 mars 2021 | 20 : 54
De la fin des années 1950 à la fin des années 1970, François Duprat a été de quasi toutes les expériences politiques de l'extrême droite française. Il collabora ou milita – comme militant d'abord et surtout comme dirigeant et théoricien ensuite - dans la plupart des organisations nationalistes, néonazies, négationnistes, antisémites et racistes de référence : mouvement Jeune Nation (1957), Parti nationaliste (1958), Fédération des étudiants nationalistes (1960), groupe et revue Europe-Action(même époque), réseau de soutien à l'Organisation armée secrète (OAS), le mouvement terroriste de défense de l'Algérie française dans les années 1960, revue Défense de l'Occident(dès 1967), mouvement Occident (1968), Ordre nouveau (1972), journalRivarol(même décennie), Front national (1972), journal Combat européen(1973), Fédération d'action nationale européenne (1974)...
UN REDOUTABLE STRATÈGE
François Duprat se doté, dans les années 1970, de ses propres structures militantes : les Groupes nationalistes-révolutionnaires de base (GNR), ainsi que de diverses publications : Les Cahiers européenou la Revue d'histoire du fascisme. Fort de ce curriculum vitae, il devient l’un des piliers du mouvement Ordre nouveau (ON), à la base de la création en 1972 du Front national français. Duprat fait partie des véritables fondateurs du FN qui choisiront l'ex-parlementaire poujadiste Jean-Marie Le Pen pour le présider. Les «lettres de noblesse» de Duprat le propulsent à sa direction. Véritable «numéro deux», après Le Pen, Duprat a été l'artisan de la structuration et du développement du FN en véritable parti politique extrêmement bien structuré. L’ancienne formation léniniste-trotskiste (experte en la matière) de Duprat aurait-elle ainsi porté ses fruits ? Sans doute que oui.
«Dans les années 1970, le FN apprend à se doter d'une organisation sans faille. Il doit sa discipline interne à l'intelligence politique d'un de ses principaux dirigeants, François Duprat. Personnage haut en couleur, Duprat anime au sein du Front la principale tendance néofasciste. Redoutable stratège, il rêve de créer, à terme, un véritable parti fasciste», écrit le journaliste d’investigation Christophe Bourseiller dans son livre Les ennemis du système – Enquête sur les mouvements extrémistes en France(éditions Robert Laffont, Paris, 1989).
DES BELGES ADEPTES DE DUPRAT
L'influence des idées et du charisme du désormais leader-dirigeant du Front national va également essaimer à l'étranger. François Duprat se rend en Espagne. Il y rencontre des «réfugiés politiques» de l'OAS impliqués dans le «terrorisme noir», mais aussi le nazi belge Léon Degrelle. En Belgique, plusieurs organisations d'extrême droite eurent des liens étroits avec François Duprat. Une édition belge de ses Cahiers européensapparait en 1977. C'est alors un réseau national-catholique intégriste néonazi qui se charge de la réalisation des Cahiers européens-Belgique. Ce réseau était en lien direct avec le Nouvel Europe magazine(Nem), le journal de la droite radicale belge francophone de l'époque, et du Bulletin indépendant d'information catholique(Bidic), à la base de la branche belge de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), la fraction catholique intégriste opposé à l’évolution moderniste du Vatican.
La signature de l'un des rédacteurs des Cahiers européens-Belgique réapparaîtra bien plus tard, au milieu des années 1990, dans le journal Polémique-hebdo, dont le fondateur, Alain Escada. Ancien secrétaire du lieutenant-général Émile Janssens, adepte des messes en latin de la FSSPX, celui-ci est alors un proche d’Hervé Van Laethem, le chef-fondateur du groupe néonazi l’Assaut et disciple belge exemplatif de François Duprat. Avant Van Laethem, c’est le Parti des forces nouvelles (PFN), issu du plus important mouvement d’extrême droite belge francophone, le Front de la jeunesse (FJ), qui se chargeait de la défense de la mémoire de Duprat en Belgique. Des cadres du Front national belge se référaient aussi à ce dirigeant français. Sans oublier Robert Steuckers, l’« Alain de Benoist belge ». Des néonazis à la Nouvelle Droite ex-gréciste (Groupement de recherche et d’études pour la Civilisation européenne), en passant par les cercles confidentiels nationaux-catholiques maurrassiens bruxellois, le négateur-nazi François Duprat est une référence dans le plat pays.
QUI A LIQUIDÉ DUPRAT ?
Sur une route de campagne, au volant de sa voiture, le 18 mars 1978, François Duprat trouve la mort dans un attentat à la bombe. Pour l'extrême droite, les coupables sont alors désignés : les militants d'une inexistante organisation juive révolutionnaire. Ou alors carrément le Mossad, le service secret d’action israélien. On évoque encore la piste d’une officine de barbouzes travaillant pour l’appareil d’État français qui aurait été missionnée pour liquider un agent secret travaillant pour un pays arabe nationaliste, la Syrie ou l’Irak de l’époque. La réalité pourrait être pour finir un règlement de compte interne, orchestrée par une tendance adversaire de celle de Duprat au sein du Front national. Il est évoqué celle des «solidaristes». Qui prendront le pouvoir au FN après le 18 mars 1978. Sa disparition violente reste aujourd’hui l'une des plus grandes énigmes de l'histoire criminelle française.
C'est sous le rituel traditionaliste que les obsèques de François Duprat ont lieu à l'Église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, le fief parisien de la FSSPX. Rien d'étonnant à cela : ce courant catholique est clairement ancré à l'extrême droite pure et dure. Dans sa presse ou ses messes, cette fraternité religieuse et politique se réfère aussi à l'héritage politique fasciste de la France. Comme Duprat. Quant à l'éloge funèbre publié en avril 1978 dans Le National, le journal de l'époque du Front national, il est clairement fait référence à son combat négationniste contre les «tabous hérités du second conflit mondial». Il est vrai que Duprat fut aussi un des principaux propagandistes de la négation des crimes de guerre et du génocide des Juifs commis par les nazis et leurs complices européens durant la Guerre 39-45.
DUPRAT TOUJOURS ACTUEL EN 2021
Aujourd'hui encore, en France comme en Belgique, le souvenir de ce dirigeant néonazi et négationniste reste évoqué. De manière inconditionnelle. Ainsi à l’occasion du quarante-troisième anniversaire de son assassinat, une poignée d’irréductibles lui ont à nouveau rendu hommage ce jeudi 18 mars 2021 : l’ex-dirigeant d’Unité radicale Christian Bouchet, le média en ligne nationaliste-écologiste le Retour aux forêts, les « communautés militantes » Audace à Lyon et Luminis à Paris et sa région, le journal Jeune Nation, édité par Yves Benedetti (le chef du groupuscule Les Nationalistes, ex-Parti nationaliste français, pseudopode de l’Œuvre française) ou encore la publication Synthèse Nationale, éditée par un ancien compagnon de Duprat de l’époque d’Ordre nouveau.
MANUEL ABRAMOWICZ
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