RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite | 18 février 2021 | 08 : 59
LES DISCOURS BELLIQUEUX DE L’EXTRÊME DROITE - Avec l’assaut des trumpistes radicaux contre Le Capitole le 6 janvier 2021, le monde (re)découvre la violence insurrectionnelle d’extrême droite. Ses « soldats politiques » sont entrainés pour des actions paramilitaires. Leur mission est de défendre la Nation ancestrale contre ses ennemis : l’État fédéral, les non-nationaux (les étrangers, les réfugiés… mais aussi les « nationaux de papier »), les gauchistes, les antifas, les « droits-de-l’hommisme »… Tous manipulés par un pouvoir secret qui vise l’« extermination des Blancs » pour l’instauration d’une « domination mondiale ». Pour contrecarré ce plan conspirationniste, la droite nationaliste survivaliste se prépare au déclenchement de la « guerre raciale ». Celle-ci s’intègre dans une stratégie élaborée il y plus de trois décennies. Pas qu’aux États-Unis, en Europe aussi. En France en particulier. Avec un développement en Belgique. L’un de ses théoriciens est le Français Pierre Vial. En 1998, le journal imprimé de RésistanceS lui faisait le portrait. Revoici notre article, revu et réactualisé.
Né le 25 décembre 1942, dans une famille catholique traditionaliste et royaliste où l’anticommunisme est un catéchisme, il est aujourd’hui âgé de 78 ans. À la fin des années 1990, Pierre Vial est encore professeur d’histoire à l’Université de Lyon III. L’universitaire est bien plus connu en dehors du milieu académique où sa carrière a été plane. Il s’agit d’un « vieux militant » d’extrême droite qui a débuté son cursus politique au tout début des années 1960, dans les rangs des anti-indépendantistes de l’Algérie française. Il adhère à un petit groupe militant qui s’agite sous un nom pompeux, le Mouvement nationaliste du progrès, le MNP. Comme Vial, son dirigeant est un jeune historien. Il se nomme Dominique Venner, le futur idéologue du courant combattant nationaliste de droite jusqu’à son suicide par balle à l’intérieur de la cathédral Notre-Dame de Paris en mai 2013. Comme beaucoup de ses camarades, à l’occasion du combat colonialiste, Pierre Vial connait la prison. Ce qui ne l’arrête pas. Avec une bonne partie de l’équipe d’Europe-Action, groupe et revue menés par Venner, en 1969, Vial est parmi les fondateurs du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE). La matrice de ladite « Nouvelle Droite ». Sous les traits d’un think tank, le GRECE ambitionne de proposer un kit intellectuel et stratégique, en revisitant et en réécrivant l’Histoire des nationalismes européens. Son public cible : l’extrême droite tous azimuts. Dont l’état est toujours groupusculaire. Objectif : lui permettre de se remettre sur pied afin d’accéder un jour au pouvoir. Pour cela, il faut parvenir à unifier tous les courants de la droite française. Le GRECE s’adresse dès lors également « à la droite de la droite » des formations politiques traditionnelles et s’exprime pour cela dans les pages du quotidien Le Figaro.
SCOUTS EUROPÉENS ET LÉON DEGRELLE
Durant près de quinze ans, Pierre Vial participe à quasi toutes les structures grécistes : de sa maison d’éditions (les éditions Copernic), à la formation des affiliés, en passant par la direction d’Éléments pour la Civilisation européenne, son organe de presse, et d’Europe-Jeunesse (EJ), son mouvement scout réservée aux enfants des dirigeants du GRECE et d’autres groupes d’extrême droite (ainsi que des Belges, au sein du « Ban Gallia Belgica » d’EJ). À cette époque, le catalogue du GRECE de vente par correspondance de livres doctrinaux de référence propose l’un ou l’autre de Léon Degrelle. Chef de l’extrême droite national-catholique belge dans les années 1930, avec ses éditions puis son parti, Rex, ce maurrassien wallon est devenu durant l’Occupation allemande combattant de la SS nazie sur le Front de l’est pour participer à la « Croisade européenne contre le Bolchévisme ». Après la chute sanguinaire de Berlin en 1945, l’hitlérien belge trouve refuge en Espagne, pour y vivre tranquillement et devenir un conseiller idéologique durant de régulières entrevues, avec des délégations française, italienne, mexicaine ou encore évidemment belge - francophone comme flamande - de la nouvelle génération fasciste, jusqu’à son décès en 1994. Degrelle était aussi pour Vial et les siens une icône vivante. Et le restera de façon post mortem.
Après des différends internes sur la « question raciale » et les stratégies politiques à adopter, Pierre Vial quitte le GRECE et rejoint en 1988 le Front national de Jean-Marie Le Pen. Il va très vite monter au sommet de son organigramme interne. Il est l’un des membres de son conseil scientifique, élu conseiller municipal de Villeurbanne, siège pour le compte du FN au Conseil régional de Rhône-Alpes, devient le vice-président de sa commission culturelle, est membre du comité de patronage de la revue frontiste Identité…
Pierre Vial et Jean-Marie Le Pen lors d’une conférence du Front national français au début des années 1990 © Photo DR. |
IDENTITÉ ENRACINÉE ET GUERRE RACIALE
Dix ans après sa montée au Front, il participe à un coup d’État conduit par le délégué général du parti, Bruno Mégret. Leur tentative de dégager Jean-Marie Le Pen est un total échec. Les conspirateurs sont mis hors d’état de nuire et manu militarisont éjectés des rangs. Ils battent en retraite pour fonder un FN-bis, puis le Mouvement national républicain (MNR). Plus tard, en 2008, avec d’autres dissidents frontistes nostalgique du mouvement Ordre nouveau, à l’initiative de la création du FN en 1972, Vial participe à une énième alternative au FN lepéniste, sous l’appellation de la Nouvelle droite populaire (NDP). Aujourd’hui, seul est restée réellement en vie de ces tentatives de FN-bis, la revue Synthèse Nationaleà laquelle collabore Pierre Vial.
En novembre 1994, pour imprégner les troupes du FN de ses conceptions concernant la « guerre ethnique » à venir, Vial avait déjà fondé son propre mouvement, Terre & Peuple (T&P). Son fief est chez lui, dans les environs de Lyon. Mais très vite, T&P va ouvrir des sections, dénommé « bannières », ailleurs en France. Plus tard, en Espagne, au Portugal et en Belgique aussi.
À la lecture de ses documents internes et publics, nous constatons que Terre & Peuple se définit avant tout comme étant une « communauté culturelle » dont la « mission » est de combattre « pour la patrie ». Un combat qui passe impérativement par le renforcement d’une « identité enracinée ». Au vue de l’évolution de nos sociétés, Pierre Vial proclame que la « guerre raciale » est au programme des années à venir. Il écrit qu’une « résistance a été engagée contre la société multicolore ». Cet engagement est une véritable déclaration de guerre. Elle aura lieu, c’est certain. Et précise : « Dans une guerre qu’il faut appeler par son nom : une guerre de libération nationale ». C’est pourquoi les « soldats politiques » de T&P se préparent constamment au conflit armé annoncé contre les « nouveaux occupants ».
Son « mouvement de résistance européenne » incorpore les thèses völkisch, c’est-à-dire un nationalisme-ethnique, dont le racisme biologique par la « loi du sang » est l’ADN. Dans un article du quotidien Le Monde relatant une conférence de Pierre Vial, en 1997, il y était mentionné : « Terminant son intervention à la gloire des Celtes et des païens, M. Vial exaltait l’association du rouge, du noir et du blanc. Ces couleurs étaient celles du drapeau nazi » (Christiane Chombeau : « Le rouge-noir-blanc nazi en honneur chez les Bleu-Blanc-Rouge », Le Mondedu 30 septembre 1997). Fin des années 1990, Terre & Peuple est implantée en région lyonnaise, en Touraine, en Alsace et en région parisienne. Il est directement soutenu par plusieurs dirigeants du Front national et du GRECE. Pierre Vial a aussi une influence idéologique certaine chez les jeunes frontistes du Renouveau étudiant (RE), la branche des étudiants universitaires du FN. Ses écrits théoriques sont partagés dans les colonnes de Réfléchir & Agir, une publication confidentielle « néonazie chic » fondée par un quarteron de lecteurs assidus des travaux doctrinaux du GRECE. Les livres de Vial se lisent par les chefs scouts d’Europe-Jeunesse, par les étudiants universitaire frontistes ou encore par les disciples de micro-groupes sectaires néopaïens germano-scandinaves.
Les discours musclés « vialistes » séduisent donc les éléments les plus radicaux de l’extrême droite. Ils ne font pas dans la dentelle. À ce niveau, Pierre Vial est direct. La langue de bois lui est inconnue. Pour lui « la mission de l’intellectuel organique [par exemple Dominique Venner, le mentor de Pierre Vial, cf. supra] [est d’] armer mentalement les militants pour leur permettre, ensuite, d’être physiquement efficaces. L’intellectuel organiquedéfinit les enjeux, éclaire et instruit, trace la voie. Puis il applique les principes qu’il a enseignés en prenant la tête de sa section pour conduire la vague d’assaut », comme il l’écrit en 1997 dans Offensive pour une nouvelle université, le trimestriel du Renouveau étudiant. Un constat de plus : ses propos sont effectivement clairs et ses références historiques précises. En 1993, lors du congrès du mouvement universitaire lepéniste, il scande, comme vont le révéler Les Dossiers du Canard enchaîné: « Nous sommes de ceux qui aiguisons nos longs couteaux sur les trottoirs ». Les historiens reconnaîtront dans cette phrase, le titre d’un des plus fameux chants des Sections d’Assaut, les répressives SA du parti nazi d’Adolf Hitler.
CHEZ LES BELGES
À l’étranger, Pierre Vial a de nombreux contacts. Son mouvement est présent ainsi en Espagne (Tierra y Pueblo) et en Portugal (Terra e Povo). En 2013, Terre & Peuple devient la section nationale pour la France de l’Action européenne (AE). Basée en Suisse, l’AE a succédé trois ans auparavant au Nouvel ordre européen (NOE), un réseau transnational nazi apparu en 1951. Léon Degrelle en fut l’un des membres. Dans les années 1990-2000, le contact belge du NOE est un docteur en médecine, installé dans le Brabant flamand, Claude Nancy, alias « Docteur Soas ». Actif dès les années 1960, Nancy est alors un des activistes de Jeune Europe (JE), puis fait dissidence pour fonder les groupes Révolution européenne (RE). Il est membre également de L’Ordre, un réseau clandestin dirigé par Émile Lecerf (ex-JE, ex-RE), alors directeur du journal Nouvel Europe magazine.Ce sont les correspondants belges de Dominique Venner, le mentor de Vial.
Tout en restant lié aux Bourguignons, une amicale rassemblant les derniers survivants wallons et bruxellois de la Waffen-SS, Claude Nancy fin des années 1980 rejoint, avec Émile Lecerf, le Front national du docteur Daniel Féret. Puis, en 1995, sans Lecerf qui est mort quatre ans avant, rallie sa député fédérale dissidente, Marguerite Bastien, une ancienne magistrate du parti libéral. Ce qui n’empêche pas le « Docteur Soas » de rester l’un des orateurs de conférences organisées par des néonazis suisses, français, espagnols ou latinos dans le cadre de ses engagements pour le Nouvel ordre européen. Un NOE ayant repris le flambeau de la « guerre raciale » contre les « mondialistes », enclenchée dès 1933 par l’Allemagne nazie.
Via Émile Lecerf et Claude Nancy d’abord, Pierre Vial est devenu très vite une référence incontournable en Belgique. Il s’y déplace souvent pour participer à des colloques, des conférences-débat ou des bivouacs en terres wallonnes de ses scouts d’Europe-Jeunesse. En septembre 1980, il est l’invité des « grandes conférences » du GRECE-Belgique mené par Georges Hupin, pour parler de « la libération païenne ». Au milieu des années 1980, l’idéologue français fréquente Robert Steuckers, un autre Belge lié à la « nébuleuse Lecerf-Nancy ». Le jeune Steuckers fut l’un des bras droits d’Alain de Benoist, la cheville intellectuelle gréciste. Comme Vial, Steuckers fera partie des dissidents du GRECE. Le Belge va prendre la tête d’un réseau bis de la « Nouvelle Droite ». Encore plus confidentiel. Le succès n’est pas au rendez-vous. Malgré l’appui du Français.
En 1996, Pierre Vial anime une rubrique dans Europe nouvelles, un « magazine européen d’information » édité dans la périphérie bruxelloise par L’Anneau, une toute petite association lancée par des anciens étudiants de l’Université Libre de Bruxelles, affiliés au GRECE-Belgique. L’Anneau est liée au milieu néonazi parisien et membre du réseau de Steuckers. Le 16 mai 1998, Pierre Vial participe au premier colloque de Thulé-Sodalitas, son nouveau nom. Qui se revendique alors désormais comme un « groupe de combat ». Le même mois, un article de présentation favorable à Terre & Peuple est publié dans Vlaams Blok magazine, l’organe de presse mensuel du parti d’extrême droite flamand du même nom. L’auteur de l’article est Roeland Raes, une vieil connaissance des années 1970 de Pierre Vial. Raes représente alors en Flandre les intérêts du GRECE. En 1998, il est toujours le vice-président du Vlaams Blok et bien connu pour y défendre les négationnistes du génocide des Juifs européens commis par les nazis allemands et leurs complices européens.
FAIRE FACE AVANT DE RÉGLER LES COMPTES
Pour mieux illustrer encore les instincts guerriers de Terre & Peuple, une sélectionné d’écrits de son « gourou » s’impose. Les propos de Pierre Vial sont de véritables appels à la violence, au combat et à la guerre :
« Nous savons, nous, que faute de vouloir faire l’histoire, on devient sa victime. Se soumettre ou se battre ? Nous nous battrons », dans Éléments pour la Civilisation européenne, la principale publication du GRECE, n° 32, novembre-décembre 1979.
« Nous allons tout droit vers une guerre ethnique et cette guerre sera totale […]. Il faut donc préparer mentalement, psychologiquement, moralement et physiquement le plus grand nombre possible de nos compatriotes à cette perspective, afin qu’ils vivent cette échéance le moins mal possible, c’est-à-dire en se donnant le maximum de chances de survivre. Cet impératif donne tout son sens à nos activités : en organisant des randonnées, des visites de sites et d’expositions, des conférences, des stages de formation, nous voulons mettre en alerte les hommes et les femmes de notre peuple sur le sens des affrontements qui se préparent et forger leur détermination à faire face », dans La Lettre de Terre & Peuple, n°4, 1995.
« Pour faire la guerre culturelle, il faut une armée. Nous avons l’ambition de créer cette armée. Une armée qui doit être une communauté de travail, de combat et de foi […]. Nous allons tout droit vers une guerre raciale », dans un entretien accordé au journal belge Europe nouvelles, n° 15, septembre-octobre 1996, et republier ensuite, en néerlandais, dans le Vlaams Blok magazine.
« La lutte identitaire des peuples, engagée pour leur survie, contre le déracinement cosmopolite, a toutes les caractéristiques d’une guerre. Guerre Totale. Et donc d’abord et avant tout guerre culturelle, puisque la culture est l’expression, dans tous les domaines, de l’âme d’un peuple. », dans sa rubrique « Guerre culturelle » publiée dans Europe nouvelles, septembre-octobre 1996.
« Un jour apparaîtra dans le droit français un chef d’accusation, le plus grave de tous : crime contre la nation et le peuple français. Ce jour-là, on fera les comptes », dans sa rubrique « Notre mémoire » publiée le 5 mars 1997 dans National-Hebdo, le journal du Front national de Jean-Marie Le Pen.
Pierre Vial a aussi collaboré durant de nombreuses années, avec une rubrique qu’il rédigeait, à Rivarol. Néopétainiste, cet hebdomadaire est la tribune médiatique de l’extrême droite la plus radicale : antisémite, négationniste, homophone, traditionaliste, catholique anti-Vatican, conspirationniste … À de nombreuses reprises, le directeur de Rivarola été condamné pour racisme par la justice française.
PROFESSEUR ET MOINE-SOLDAT DE LA GUERRE RACIALE
Comme en France, en Espagne, au Portugal, en Allemagne ou en Suisse, Pierre Vial exerce toujours en Belgique une influence profonde. Il reste adulé dans la plupart des groupuscules néonazis, néopaïens et chez les anciens du GRECE-Belgique toujours actifs de Liège à Anvers, en passant par Charleroi, la région bruxelloise, les provinces du Brabant wallon et du Brabant flamand.
Pierre Vial a aussi chez nous ses points de chute auprès de la « bannière wallonne » de Terre & Peuple et du « Ban Gallia Belgica », la branche belge de ses scouts d’Europe-Jeunesse. Des scouts fréquentés à l’occasion par Séraphin François Van den Eynde, dit Francis Van den Eynde, l’ex-chef gantois du Vlaams Belang et dirigeant du « groupe d’action nationaliste » Voorpost, ou encore Gérald Fontaine, le responsable des publications du Mouvement Nation. Membre-fondateur de la revue Renaissance européenne, le journal de T&P-Wallonie, Fontaine a participé à la création en août 2015 de Racines, un groupe interne de Nation, puis dissident (sans lui), dont le but était d’« assumer la formation activiste et idéologique » des jeunes militants d’extrême droite. En 2021, Racines existe encore, certes de façon totalement confidentielle (180 personnes sont membres de son groupe fermé sur Facebook). Mais, comme les autres disciples, il suit toujours à la lettre les enseignements belliqueux de Pierre Vial, professeur émérite, théoricien organique et moine-soldat de la guerre raciale.
ALEXANDRE VICK
RésistanceS|Observatoire belge de l’extrême droite
[Cet article sur Pierre Vial est paru une première fois dans le n°5, hiver 1998, du journal imprimé de RésistanceS. Il a été revue et réactualisé pour cette édition en ligne, le 16 février 2021].
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