Zeev Sternhell, un intellectuel engagé, implacable et avant tout courageux

RésistanceS  Observatoire belge de l'extrême droite  Bruxelles | Lundi 29 juin 2020 | 18 : 01



HOMMAGE – Le 21 juin dernier, l'historien israélien Zeev Sternhell est décédé. Rescapé des persécutions nazies contre les juifs, il était devenu l'un des spécialistes de l'extrême droite. En particulier française. Selon lui, une des origines du fascisme et du nazisme. Affirmation qui provoqua de nombreuses et longues polémiques. Zeev Sternhell lutta également dans son pays contre la droite nationaliste et le racisme. Et Pour la paix avec le peuple palestinien – Par JEAN-PHILIPPE SCHREIBER.

Nous avions rendez-vous chez lui, un jour de mai 2015, dans sa jolie maison de la rue Shai Agnon, à Jérusalem - quel bonheur rare d’habiter une rue qui porte le nom d’un prix Nobel de littérature. Je lui rendais visite, mandaté par le recteur de mon Université, afin d’organiser à Bruxelles une série de conférences sur le sionisme et Israël, ainsi que sur ses travaux les plus récents consacrés à la pensée anti-Lumières - quelque temps plus tard il a dû décliner notre invitation, hélas, et n’a finalement jamais donné les exposés projetés. Nous avons parlé, dans cette maison où en 2008, il avait été atteint à la jambe par l’éclat d’une bombe posée par un extrémiste de droite pour l’assassiner, de ses livres des années quatre-vingt surtout, ceux qui m’avaient fascinés chez le grand historien qu’il était et ouvert les yeux sur une certaine idéologie française - celle qui puisait dans sa récusation de l’héritage des Lumières, celle qui en conjuguant le nationalisme et la révision anti-matérialiste du marxisme fit le lit d’une troisième voie, ni de droite ni de gauche, laquelle se perdit dans le fascisme.

Zeev Sternhell, membre de l’Académie des Sciences et Lettres d’Israël, qui est décédé ce 21 juin à l’âge de 85 ans, n’était pas seulement l’historien de référence - controversé aussi - sur les origines idéologiques du nationalisme français et du fascisme européen, qui parmi d’autres a montré que la droite pouvait aussi être révolutionnaire. Citoyen israélien engagé à gauche, officier d’active au sein la prestigieuse brigade Golani durant la guerre de Suez, puis officier de réserve qui fit les guerres de 1967, 1973 et 1982 pour son pays, il fut un militant infatigable de la cause de la paix et contribua à la création du mouvement Shalom Archav (La Paix Maintenant). Il savait ce qu’était la souffrance qu’engendrent les guerres, lui dont le père, la mère et la sœur avaient été tués pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour Zeev Sternhell, le fascisme - qui était tout sauf un accident de l’histoire - n’était pas mort après 1945 et la France, laquelle en représentait à ses yeux l’inspiratrice intellectuelle, n’avait pas réellement approfondi l’examen de son passé trouble pour enfin tenter de l’exorciser. La droite extrême, contre laquelle, disait-il, aucune société n’est immunisée, il la combattait aussi en Israël, où il était un intellectuel reconnu qui n’avait de cesse de dénoncer le nationalisme, l’occupation et la colonisation, le refus obstiné d’une paix juste et durable... et surtout le racisme grandissant et de plus en plus décomplexé d’une partie de la société israélienne.

Ce qui lui fit dire, dans une tribune décapante parue dans le journalLe Mondeen 2018, un texte qui fit date : « Je tente parfois d’imaginer comment essaiera d’expliquer notre époque l’historien qui vivra dans cinquante ou cent ans. À quel moment a-t-on commencé, se demandera-t-il sans doute, à comprendre en Israël que ce pays, devenu État constitué lors de la guerre d’Indépendance de 1948, fondé sur les ruines du judaïsme européen et au prix du sang de 1 % de sa population, dont des milliers de combattants survivants de la Shoah, était devenu pour les non-juifs, sous sa domination, un monstre ? Quand, exactement, les Israéliens, au moins en partie, ont-ils compris que leur cruauté envers les non-juifs sous leur emprise en territoires occupés, leur détermination à briser les espoirs de liberté et d’indépendance des Palestiniens ou leur refus d’accorder l’asile aux réfugiés africains commençaient à saper la légitimité morale de leur existence nationale ? ». C’était cela, Zeev Sternhell. Un intellectuel engagé, un intellectuel implacable et avant tout courageux.


JEAN-PHILIPPE SCHREIBER

Pour 
RésistanceS  Observatoire belge de l'extrême droite 




QUI EST L'AUTEUR DE CET HOMMAGE À ZEEV STERNHELL ?
Gantois d'origine, Jean-Philippe Schreiber est professeur à l'Université Libre de Bruxelles (ULB), notamment d’histoire des religions et des institutions. De 2003 à 2007, il a dirigé le Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité (CIERL). Il est directeur de la Chaire Théodore Verhaegen et de recherches du Fonds national de la Recherche scientifique (FNRS). Jean-Philippe Schreiber enseigne ou a enseigné à l'Université de Lausanne, à la National University de Butare (Rwanda), à l'université de La Manouba en Tunisie et à Paris XI. Il est l'auteur de dix livres publiés par les éditions de l'ULB, dont « La Mémoire retissée. Cent ans d’immigration en Belgique » (avec Anne Morelli, 1993), « L’Immigration juive en Belgique du moyen âge à la Première Guerre mondiale » (1996),  « Dictionnaire biographique des Juifs de Belgique. Figures du judaïsme belge » (2002), « Démocratie, histoire, religion » (2010) et « La Belgique, État laïque, ou presque… Du principe à la réalité » (2014).

Jean-Philippe Schreiber a encore assuré la direction scientifique de plusieurs ouvrages, dont : « Hertz Jospa. Juif, résistant, communiste » (1997), « Les Curateurs du ghetto. L’Association des Juifs en Belgique sous l’occupation nazie » (avec Rudi Van Doorslaer, 2004 ; traduit en néerlandais), « Les Religions au Rwanda. Mutations, convergences, compétitions » (avec Déo Byanafashe et Paul Rutayisire, 2009), « Le blasphème : du péché au crime » (avec Alain Dierkens, 2012), « Anne Morelli, la passion d’agir. Engagement, liberté, fidélité » (avec José Gotovitch, 2014) et « Les formes contemporaines de l’antimaçonnisme » (2019).

Le texte d'hommage à l'historien antifasciste israélien Zeev Sternhell de Jean-Philippe Schreiber, ci-dessus, a été une première fois publié sur son mur Facebook. Il est ici reproduit avec l'aimable autorisation de son auteur. Le titre, le chapô et les deux illustrations ont été rajoutés par la rédaction du Journal de RésistanceS.


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