Débris ou procès de l’histoire coloniale belgo-congolaise ?

RésistanceS  Observatoire belge de l'extrême droite  Bruxelles | Lundi 15 juin 2020 | 18 : 30

Le Congo belge, un des thèmes des cartes postales d'antan. Le souvenir des coloniaux reste une blessure © DR.


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POSITION – Le débat est vif. Tranché. L'époque coloniale belge revient dans notre présent . Oui, notre pays a aussi commis des crimes. Au Congo. Avec un responsable clairement désigné : le roi Léopold II. Que faut-il faire de ses statues toujours bien visibles dans nos villes ? – THÉO POELAERT REPOND POUR RÉSISTANCES. 

La destruction des statues est un rituel visant à se démarquer d'un passé douloureux et manifester une libération (après une période dictatoriale par exemple). Mais aussi un ensemble d’actes, spontanés ou concertés, destinés à abattre l'idéologie que ces sculptures représentent, afin d’éviter que celle-ci se perpétue ou réapparaisse. Après la chute du bloc soviétique en 1991, les statues des dirigeants communistes ont été déboulonnées. Certaines ont été mises dans des musées (il en existe un près de Budapest). Quand les troupes de l'US Army sont entrées dans Bagdad, en 2003, des manifestants irakiens se sont acharnés sur les statues de Saddam Hussein. 


Le roi Léoplod II à la Une du quotidien français
Libération du 11 juin dernier. Pour illustrer une
polémique internationale concernant les statues
érigées en l'honneur des colonialistes européens
© DR.
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De Godefroy de Bouillon à Léopold II
Faire disparaitre des statues, c'est aussi effacer une part de mémoire, ce qui arrangerait certains, sans autre forme de procès. Déjà que l’Histoire est réduite à portion congrue dans nos écoles, ce geste ne serait-il pas contre-productif au combat décolonial plus que nécessaire ? Les représentations écrasantes d’arrogance de Léopold II, « roi du Congo » de 1885 à 1908,, se trouvent encore nombreuses dans plusieurs villes du pays. D'autres traces du colonialisme sanguinaire sont toujours aussi visibles dans nos rues (dont certaines portent des noms liés à ce passé si peu glorieux). Par exemple, la représentation mythifiée de Godefroy de Bouillon, « avoué du saint Sépulcre, premier souverain du royaume de Jérusalem », trône toujours à deux pas du Palais royal. Or, ce chef de croisade de l'Occident chrétien a été responsable de crimes de masse. 

S’il est exact que ces monuments appartiennent à l’Histoire, celle-ci ne doit pas se réduire à l’obsession aristocrate d’un Stéphane Bern, dont les émissions de télévision, orientées « lèche-majestés », sont diffusées en République française, sur un média de service public, un comble.

Nos espaces publics subissent la même tromperie en offrant comme exemples ces effigies édifiantes statufiées dans la pierre, le marbre ou le bronze, offensant par leur glorification dominatrice une partie substantielle de la population. Où sont les statues à la mémoire de Paul Panda Farnana (1888-1930), pionnier de l’émancipation congolaise, dont le meurtre n’a toujours pas été élucidé ? Où sont les statues commémorant les massacres successifs des Batetela (1895-1898) ? 

Qu’à minima, au nom de ses prédécesseurs l’État fédéral belge, si tant est qu’il y en ait encore un, présente ses excuses au peuple congolais, et en assume les conséquences. Que Léopold II, à selle sur son cheval, rentre dans les murs ou les caves du Musée de Tervuren, dont la réorientation n’est encore qu’un compromis boiteux, et dont l’inauguration de sa régénération fût marquée par l’absence du roi Philippe le 8 décembre 2018, preuve d’un réel malaise. Que ce monument équestre soit remplacé sur la pelouse qu’il occupe actuellement par un mémorial en souvenir des millions de victimes , n’en déplaise à certains cercles ou lobbies nostalgiques de l’époque coloniale, encore influants de nos jours. .

Le premier Premier ministre  
congolais, Patrice Lumumba,
avant son assassinat. Ce crime
multi-états
post-coloniaux
reste impuni. © DR.

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Procès du « passé noir » de la Belgique
À quand un grand débat bi-national belgo-congolais constitué d'historiens (renforcés par des politologues, des démographes, des géographes, des sociologues...), ayant accès à toutes les archives, avec également la participation de témoins directs et indirects, débat ouvert à la consultation et à l'apport de tous les citoyens de part et d'autre ? Pour les générations actuelles et futures, il est temps que ce travail de mémoire se réalise enfin, non seulement sur l’aveuglement de Léopold II, mais aussi sur les 80 ans de colonialisme belge, qui opprima, réprima, massacra, exploita et dépouilla des millions de Congolais. 

Une action dans l'Histoire qui devrait s'intégrer au plus vite dans les programmes scolaires d'aujourd'hui. La connaissance du « passé noir » de la Belgique est primordiale pour éviter sa répétition sous d'autres formes, post-colonialistes. Tant que ce procès n’aura pas lieu, toute réconciliation intérieure et extérieure est compromise. Le temps de la reconnaissance n’a que trop tardé, ne manquons pas une fois de plus cette opportunité historique de faire face.

THÉO POELAERT
RésistanceS | Observatoire belge de l'extrême droite



QUI EST L'AUTEUR DE CET ARTICLE ?
Photographe, dessinateur et diffuseur de presse à Bruxelles, Theo Poelaert participe en 2015 à la création du journal satirique belge Même pas Peur. Contribue à La Brucellôse, la revue des surréalistes belges, et occasionnellement à El Batia moûrt soû, le journal de l’entre Haine et Trouille. Encore tout jeune, en 1978, il a dessiné bénévolement pour l’Association pour la libération des ondes (ALO) et pour la première radio libre en Belgique « Radio Activité », également pour le Collectif anti-nucléaire (CAN), ainsi que pour Les Amis de la Terre. Début des années 80, Théo Poelaert fréquentait les couloirs de l'école artistique « Le 75 », guidé par Hugo de Kempeneer, et ceux des académies des Beaux-Arts de Bruxelles, assisté par Marianne Dock, et de Saint-Gilles, sous l'oeil professionnel d'Eddy Paape. « Compagnon de route » actif et l'un des photographes du Journal de RésistanceS depuis 2008, il franchit le cap en 2017 en rejoignant son asbl éditrice © Photo Mariella Gonzalez


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