RésistanceS | Observatoire belge de l'extrême droite | Bruxelles | Mardi 21avril 2020 | 14 : 25
© Dessin de Manuel R de Gand.
ANALYSE - Un constat, sur les réseaux sociaux, en particulier sur Facebook, les posts de partis et de groupes d’extrême droite sont légion. Ils se démultiplient et deviennent même viraux. La faute à l’algorithme de Facebook. Plus il y a de réactions et de commentaires (volume), plus une publication devient populaire. C’est ainsi que l'« extrême droite numérique » réussit à attirer l’attention sur le Net. Depuis son ouverture au grand public, au milieu des années 1990, la droite nationaliste et identitaire s'est engouffrée dans cette brèche médiatique. Dans cet article, le journal RésistanceS propose un mode d'emploi pour la combattre – par ANNE CREMER
Une analyse de la présence de l'extrême droite sur le Net en général, sur les réseaux sociaux en particulier, démontre qu'une véritable stratégie numérique a été mise en place depuis bien longtemps. Marginalisée politiquement et souvent touchée par le cordon sanitaire médiatique, l'extrême droite a profité de l'ouverture de ce média citoyen qu'est Internet pour diffuser sa propagande et recruter de nouveaux activistes et électeurs.
Nous verrons d'abord les techniques utilisées par l'extrême droite sur les réseaux sociaux pour marquer sa présence, ensuite comment pouvons-nous repérer et démasquer les trolls militants et enfin nous listerons les manières pour déconstruire le discours numérique nationaliste et identitaire.
1. Techniques utilisées par l’extrême droite
La désinformation
Des sites d'extrême droite se présentent souvent comme étant des médias de « réinformation ». En réalité, la vision de la société qu'ils proposent est d'ordre de la désinformation, puisqu'elle se base sur les techniques classiques de la propagande.
Quels éléments caractérisent cette désinformation ?
Quels éléments caractérisent cette désinformation ?
- La déformation de la connaissance.
- L’intention de tromper (qui distingue le mensonge de l’erreur involontaire) .
- Les motifs de ce mensonge.
- L’objet de ce mensonge.
- Ses destinataires.
- Ses procédés.
La désinformation est également une technique qui vise à substituer l’idéologie à l’information.
La réinformation
Celle-ci s'axe autour :
- De mot-valises. Dans des textes de propagande d'extrême droite, les médias traditionnels sont souvent désignés par un mot valise : « merdias ». Il faut donc les combattre comme étant les principaux vecteurs du « politiquement correct ». Pour cela, des sites d'extrême droite proposent de surveiller des journalistes, désignés parfois par un autre mot-valise : « journalopes ».
- Un « gramscisme numérique » qui vise a édulcorer et banaliser les thèses de l’extrême droite afin de les rendre acceptables auprès de l’opinion publique. Cette optique se fait sur la base d'une récupération des théories sur le combat culturel émises par le dirigeant communiste italien Antonio Gramsci.
- Faire connaître ces partis, groupes ou sites auprès de l'opinion, ainsi que de lui donner une façade de légitimité, d’échanger une image négative contre une « bonne image » de marque, respectable.
Entretenir la confusion
Cet entretien passe par un statut parfois ambigu : mi-politique, mi-page personnelle, ni espace privé, ni espace public.
Cela fait depuis de très nombreuses années que la lutte contre le racisme se fait sur les réseaux sociaux, comme le montre cet article du quotidien belge « Le Soir » de 2013. Mais sans réels résultats jusqu'à présent.
2. Comment repérer et démasquer les trolls d'extrême droite ?
Sur Facebook, des militants d'extrême droite interviennent dans des groupes en dehors de leurs camps pour y diffuser leur propagande et tenter souvent de recruter de nouvelles recrues. Pour ne pas directement se faire repérer, ils utilisent diverses tactiques.
En voici les principales.
- Pseudonymat et la multiplication de plusieurs profils. Dans le but de pouvoir systématiquement interagir sur les réseaux sociaux, les trolls d’extrême droite créent plusieurs profils (sous leur véritable nom et des pseudonymes). Une fois un profil bloqué, ils utilisent l’autre de rechange jusqu’au déblocage du premier. Pour y parvenir, ils doivent parfois utiliser des ordinateurs différents afin de n'être pas identifiés par une adresse IP identique.
- Enregistrement de leur nom de profil en alphabet cyrillique (bulgare, macédonien, russe, ukrainien, biélorusse, ruthène ou serbe) pour ne pas être identifié sous leur vraie identité.
- Utilisation d'un langage codifié pour ne pas alerter la modération ou échapper à des poursuites devant les tribunaux. Exemple : « Arbre » qui est ici l'équivalent de « Arabe » .
- Adopter un ton ironique.
- Faire usage du « shitposting». Selon Wikipedia (anglais), le shitposting consiste à « publier de grandes quantités de contenu "de manière agressive, ironique et d'une piètre qualité" sur un forum en ligne ou un réseau social, dans certains cas destinés à faire dérailler les discussions ou à rendre le site inutilisable pour ses visiteurs réguliers. »
- Faire usage de la triple parenthèse [ ((( ))) ] autour d’un pseudonyme. Il s'agit d'un code utilisé pour désigner une personnalité de confession juive ou supposée de confession juive, souvent en association à des théories complotistes.
- Imposer des images de grenouilles. But : mettre en échec les discours ramenant l’extrême droite aux épisodes nazis et fascistes de l'Histoire européenne.
Commentaires échangés tout récemment entre le porte-parole du Mouvement Nation (dont le procès pour racisme en attente de jugement s'est déroulé en mars dernier) et l'un des responsables locaux de la Droite conservatrice, à propos de leurs multiples profils utilisés afin de déjouer ladite « censure » sur Facebook.
3. Comment déconstruire?
Nous avons recensé quatre manières d'y parvenir :
Un - Répertorier leurs sites web, comptes Facebook et blogs.
Deux - Analyser comment l’information initiale est dénaturée par des fake news pour pouvoir ensuite rétablir les faits réels et contester la contre-information.
Trois - Créer un grand volume de réactions (algorithmes), donc réagir. Le silence est la porte ouverte à la diffusion continue de la haine et des mensonges de l'extrême droite sur le Net. Il faut dès lors réagir dans les commentaires, ce qui suppose techniquement de devoir s’abonner à des pages gérées par l'extrême droite ou/et de rejoindre un de ses groupes sur les réseaux sociaux.
Quatre - Adopter un style rédactionnel :
- En restant courtois.
- En utilisant l’humour pour décontenancer celui qui utilise l’ironie. Exemple : « Merci pour votre avis, j’en parlerai à mes cheveux » plutôt que : « Vous devriez avoir honte ! Comment pouvez-vous écrire de telles choses ? ».
- En restant factuel.
Enfin, sur l'ensemble des réseaux sociaux, il est encore possible de signaler les propos non conformes aux législations antidiscriminations et aux règlements de ces mêmes réseaux. Plus il y aura des signalements en direction des propriétaires de ces derniers, plus il y aura des chances qu'enfin ils réagissent vigoureusement contre leurs trolls d'extrême droite. Sans jamais oublier l'option judiciaire en vous adressant à un organisme de lutte contre la discrimination (Unia, Mrax, Ligue des droits humains...). Plusieurs internautes d'extrême droite ont ainsi déjà été lourdement condamnés par les tribunaux.
Sur Internet aussi, le combat contre l'extrême droite est un combat de longue haleine. Il est cependant essentiel de le mener. Avec courage et détermination.
ANNE CREMER
RésistanceS | Observatoire belge de l'extrême droite
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Militante pour les droits humains depuis de très nombreuses années à Bruxelles, Anne Cremer est très engagée notamment dans le soutien aux migrants du Parc Maximilien. Elle a aussi été l'une des participantes actives du premier Forum en résistance, organisé par notre asbl, qui s'est déroulé le samedi 30 novembre 2019 au théâtre de Poche dans le Bois de la Cambre de Bruxelles. Depuis, elle a rejoint l'équipe des bénévoles de l'asbl RésistanceS, mais également la rédaction de son journal. Elle est encore en charge du groupe privé Facebook de RésistanceS.
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