Les fondamentaux d'une droite séparatiste (2/9)

[RésistanceS – Mercredi 7 août 2019. Première publication in « LE JOURNAL de résistance(s) », n°1, mai-juin 2019, page 12].


SÉRIE N-VA (épisode 2/9) - Quelle est la véritable idéologie de la Nieuw-Vlaamse Alliantie ? Comment se traduit son nationalisme flamand ? Est-ce un parti néo-conservateur ? Libéral ? D'ultra droite ? Quelles sont ses différences avec le Vlaams Belang ? Plongée dans son corpus doctrinal avec Serge Govaert, un spécialiste de la question flamande - PAR SERGE GOVAERT Membre du CRISP et auteur de publications sur le nationalisme flamand.


À sa création, la N-VA fait adopter le 13 octobre 2001 par sonpartijraadune « Déclaration de principes » (Beginselverklaring) qui constitue sa charte de base. Cette – courte – déclaration affirme poursuivre le travail engagé depuis 45 ans par la Volksunie et vouloir donner forme en Flandre à un « nationalisme humanitaire » (sic) « pour le 21esiècle ».

Il ne s’agit plus de « regarder en arrière » en glorifiant « les gens de chez nous » (eigen volk, référence évidemment au programme et aux idées du Vlaams Belang dont la N-VA entend clairement se différencier), mais de répondre aux défis du jour : globalisation, individualisation, déficit démocratique, unification européenne, immigration et intégration, vieillissement de la société, etc.


Pacifiste et républicain

La principale réponse donnée à ces défis tient en un mot : l’indépendance de la Flandre. 
Un second document est adopté dans le foulée par le partijraad : un « Manifeste » qui se décline en 21 points. On se bornera ici à en citer les principaux. Le texte note en premier lieu que « la construction belge n’apporte aucune plus-value démocratique » parce qu’il est « impossible de trouver un thème politique sur lequel les deux parties du pays s’accordent ». Si la N-VA est favorable à « l’intégration européenne », elle souligne l’importance de respecter la spécificité des États-membres (dont, cela va de soi, la Flandre indépendante).

Le parti reprend le flambeau du pacifisme, une des valeurs historiques du mouvement flamand, mais s’empresse d’ajouter que la prévention des conflits n’est pas synonyme de « neutralité sourde ». Il est républicain. Par ailleurs, il s’oppose à toute forme d’ « affaiblissement de la démocratie représentative », rejetant par exemple l’idée d’organiser des référendums.


Sécurité et jeunes entrepreneurs

Le Manifeste dit s’opposer à toute discrimination. Il veut une « Flandre inclusive » (ce qui, indique-t-il en passant, exclut « toute approche différenciée des minorités linguistiques »), l’inclusion s’appliquant aussi aux immigrés. Sur ce point, le texte précise qu’ « être Flamand n’est pas pour nous une question d’origine ethnique, mais de participation active à la société flamande, d’acceptation de la ‘culture politique’ flamande », c’est-à-dire « les règles écrites et non écrites qui régissent notre vivre-ensemble ». Pas de droit de séjour automatique aux illégaux, mais respect des conventions internationales en matière de droit d’asile. On se souviendra néanmoins qu’en 2015, Bart De Wever plaidait pour une « adaptation » de la Convention de Genève sur le statut des réfugiés. 

Plutôt vague pour ce qui concerne la mobilité et l’environnement (il faut une « approche globale »), le Manifeste de la N-VA met encore l’accent sur la sécurité (« un droit fondamental »). Cependant, il ne défend pas l’idée d’une approche « dure » de la question, préférant selon ses propres termes une « politique efficace de prévention ».

Affiche électorale de la N-VA
avec son jeune président en 2009
© Photo Tractothèque.
Hostile au revenu universel, le Manifeste considère que chacun doit pouvoir, par le travail, assurer sa subsistance ; ceux qui ne peuvent trouver d’emploi rémunéré doivent « pouvoir contribuer au bien-être général » tout en gardant leur indemnité de chômage. Formule qui ouvre évidemment la voie à toutes les interprétations - comme celle-ci, curieusement nichée dans le point du texte concernant l’économie (sans surprise, le Manifeste défend l’initiative privée) et qui semble s’appliquer aux « jeunes entrepreneurs » et aux « artistes » : « il faut mettre un terme au soutien durable à des initiatives dépourvues d’assiette sociale (niet-maatschappelijk gedragen) ».


Conservatisme identitaire
Si la « Déclaration de principe », est donc surtout destinée à revendiquer et à remettre à jour un héritage tout en se démarquant d’un concurrent historique, le Manifeste égrène des priorités politiques suffisamment consensuelles que pour ratisser large. Les options mises en avant se situent globalement à la droite de l’échiquier politique, mais s'écartent considérablement sur de nombreux points des thèses défendues, par exemple, par le Vlaams Belang. 

La N-VA, parti « néo-conservateur » ? Bart De Wever, son président, est un admirateur déclaré du philosophe anglais Edmund Burke, le père du conservatisme moderne, auteur en 1790 d'un pamphlet dirigé contre la Révolution française. Le 2 octobre 2018, invité à tenir le discours d’ouverture de la faculté des sciences politiques de l’université de Gand, il y rompait une lance en faveur des notions d’« identité » et de « culture publique ». L’identité est selon lui « un besoin naturel de l’homme » car « nous ne sommes pas des animaux solitaires ». Mais il s'agit d'une « donnée dynamique » qu’on ne peut fonder sur des « données ethniques ou biologiques » : elle doit reposer sur des valeurs partagées. Et ces valeurs, outre la langue (qui, notons-le, vient en premier lieu dans son énumération) sont celles des Lumières : liberté et égalité. En mai 2018, le président de la N-VA avait argumenté de même ‒ dans un article publié par le quotidien flamand « De Tijd »– que le conservatisme doit son succès au fait qu’il a « absorbé les idéaux de la Révolution française ».

Citant Burke (The individual is foolish, the multitude is foolish, but the species is wise), il soulignait que cette sagesse est « contenue dans des institutions, des traditions et des relations sociales prépolitiques spontanées ». Du temps de Burke, expliquait Bart De Wever, la religion jouait un rôle dans ce domaine, l'aristocratie aussi. Aujourd'hui, le lien entre les membres d'une même communauté passe par le partage d'un passé et d'un avenir : « nous ne sommes pas solidaires avec n'importe quel 'autre', mais avec un 'autre' reconnaissable ». C'est d'ailleurs pourquoi l'Union européenne ne sera jamais une nation européenne, et l'idée – par exemple – d'une taxation européenne est « absurde ». Pas de « centralisme européen jacobin » ni d'« universalisme ».




SERGE GOVAERT
Invité de RésistanceS  Observatoire belge de l'extrême droite




L'auteur de cet article
Serge Govaert est membre du conseil d'administration du Centre de recherche et d'information socio-politiques (CRISP), auteur notamment du livre « Les griffes du lion. Le nationalisme flamand à la veille de 2002 » paru en 2001 chez Labor, et de plusieurs « Courriers hebdomadaires »du CRISP consacrés au nationalisme flamand (pour leurs références exactes, voir en fin de ce dossier). Cet article et les deux autres de Serge Govaert publiés dans ce n°1 du JOURNAL - de résistance(s) sont des inédits.


Cet article a été publié une première fois dans notre périodique papier  « LE JOURNAL de RésistanceS », n°1, mai-juin 2019, page 12.






PROCHAINÉPISODE DE NOTRE SÉRIE SUR LA N-VA 
Que sont devenus les ex-Volksunie ? (3/9)


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© Article du journal en ligne RésistanceS.be|asbl RésistanceS|N° 478574442|Bruxelles|– Mercredi 7 août 2019. Première publicationin « LE JOURNAL de résistance(s) », n°1, mai-juin 2019, page 12, périodique papier de notre web-journal