Le nouveau Vlaams Belang, une opération cosmétique de propagande

RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite  | Jeudi 20 juin 2019, 12 h 34


RENTRÉE PARLEMENTAIRE – Ce jeudi, les députés du Parlement fédéral renouvelé prêteront serment. Avec 18 élus, le Vlaams Belang y revient en force, après ses échecs électoraux successifs des années 2000. Le parti d'extrême droite - fondé il y a 41 ans – se présente désormais comme un « nouveau Vlaams Belang », bien éloigné du Blok nazi de ses débuts. Mais est-ce vraiment le cas ? – RADIOSCOPIE


Affiches électorales du Vlaams Belang pour les élections communales de 2018.


C'est en 1978 que le Vlaams Belang (VB), « Intérêt flamand » en français, est fondé à Anvers et à Bruxelles, sous son premier nom : Vlaams Blok (« Bloc flamand »). Depuis, ce parti nationaliste séparatiste – il prône la fin de l'État belge et la création sur ses ruines d'un « État national-flamand » indépendant, avec Bruxelles comme capitale – a sans cesse connu des succès électoraux de 1978 à 2003, puis un déclin vertigineux de ses suffrages, de scrutin en scrutin, de 2006à 2014. Depuis les dernières élections communales, en octobre dernier, le VB a repris du poil de la bête. Le lion flamand nationaliste a confirmé son retour en force sur la scène politique le 26 mai, lors du méga-scrutin : avec l'élection de 18 députés fédéraux, contre trois en 2014, et de 23députés régionaux, contre17 il y a cinq ans.

Nous constatons une renaissance, due aux voix venant en droite ligne des déçus de l'expérience gouvernementale au fédéral de la Nieuwe-Vlaamse Alliantie (N-VA), le parti nationaliste réformistes qui a perdu plus de 7 %en Flandre, mais également des autres partis traditionnels : Open VLD (libéraux), CD&V (chrétiens) et SP.a (socialistes). La force nouvelle, que représente à nouveau le VB dans le nord du pays, lui permet quasiment de jouerles arbitres et d’endosser le rôle du « faiseur »de majorité. Un seul bémol : le cordon sanitaire qui le frappe – certes, relativement – depuis les élections communales de 1988. Aujourd'hui, son retour sur le podium du monde politique annonce la fin possible de la stratégie anti-VB. En effet, ils sont nombreux en Flandre à prôner désormais son inutilité. De plus en plus de politiciens – et pas que de la N-VA – revendiquent une alliance avec la formation d'extrême droite. Aujourd'hui, dans la Belgique néerlandophone, la constitution d'un gouvernement N-VA – VB, avec l'apport de parlementaires chrétiens et libéraux, est plus qu'une hypothèse.


Des collaborations politiques pourront également s'opérer entre les 18 vbistes et les 25n-vaïstes du Parlement fédéral, ainsi que ceux du Vlaams Raad.


Marine Le Pen, la présidente du Front national français, appelle les francophones depuis 2014 a voter pour le Vlaams Belang.


Ni nouveau ni démocrate 

Pour renforcer cette réalité possible et inédite, le VB a lancé lui-même, après le 26 mai, une véritable opération de propagande visant à ravaler sa façade. Objectif : une auto-diabolisation afin de blanchir la robe de la prétendante nationaliste, et lui trouver un époux. Mais les rapports sont incestueux. Effectivement, les épousailles du VB devraient se faire avec la N-VA, son parti-frère, issu d'un même parent, l'ex-Volksunie, le vieux parti nationaliste flamand fondé après la Guerre 39-45 et disparu au tout début des années 2000. Dès le soir des élections, après l'observation de la « marée brune » qui frappa lemonde politique, le jeune président du VB, Tom Van Grieken (32 ans), a évoqué l'existence d'un « nouveau Vlaams Belang ». Cette opération n'est que cosmétique.

Dans les faits, lorsque l'on plonge dans les eaux glacéesdu nationalisme identitaire et xénophobe, nous découvrons les restes de la partie immergéede l'« iceberg VB », soit près de 95 % de son contenu.

Le Vlaams Belang d'aujourd'hui reste le Vlaams Blok d’hier. Seul, son personnel politique s'est modifié par l'arrivée d'une nouvelle génération de cadres, sans passé militant dans des organisations et groupes « sulfureux ». En 1978, les membres du noyau fondateur de ce parti proviennent quasiment tous à 100 % du milieu le plus radical de l'extrême droite flamande. Certains sont des responsables de Were Di, un cercle de réflexion nostalgique de l'Ordre nouveau nazi, d'autres du Vlaamse militanten orde (VMO), l'ex-service de sécurité de la Volksunie qui s'est totalement nazifié. Il y a encore beaucoup d'affiliés de 
Voorpost, un groupe d'action nationaliste, spécialiste en opérations coups de poing pour imposer ses vues, sans compter les activistes du Taal aktie komite (TAK), un comité de défense de la langue flamande dont le modus operandiest identique à celui de Voorpost. Le nationalisme du VB est celui de la Flandre fasciste et raciale.



Jean-Marie Le Pen avec Patrick Sessler, transfuge du PFN degrelliste et responsable des francophones du Vlaams Belang.



Aucune rupture avec le Blok nazi

Le père fondateur du parti, Karel Dillen (1925-2007), ne cache pas que l'An 40 du siècle dernier est sa référence. Durant cette période historique, une Flandre autonome exista sous l'égide de l'Occupation nazie de la Belgique. Les organismes nationaux et les grandes villes nordistes étaient alors dirigés par des chefs de la VNV, la Vlaams Nationaal Verbond (« Ligue Nationale-flamande »), le parti d'extrême droite flamand, puis ouvertement « national-socialiste » hitlérien, de 1940 à 1944. À sa création, le VB s'intègre dans le sillage idéologique de cette VNV. Sans rougir ni aucun complexe, mais avec fierté et force. En 1978, un nouveau parti nationaliste flamand n'a pas été fondé, c'est concrètement le VNV qui a été réanimé sous un autre nom, Vlaams Blok.

Cette formation idéologique revendique un rassemblement national, dans un seul État unifiant la Flandre, la Flandre française et les Pays-Bas hollandais. Le VB est pan-néerlandais et préconise toujours, comme les nationalistes des années 1930-1940, la création des Grands Pays-Bas.

Le Vlaams Blok rassemble les gros bras de la Flandre séparatiste, tendance pure et dure. Pour qui le nationalisme ne se conjugue qu'au singulier, avec beaucoup de discrimination, d'exclusion et d'expulsion. L'État national dont ils rêvent est constitué exclusivement de « blancs ». L'idéologue du parti, chef de Voorpost et futur parlementaire du Vlaams Blok / Belang, Roeland Raes, est un partisan inconditionnel de la défense
absolue de la « race blanche ». Une « race » qui serait menacée par un complot international fomenté par la « haute finance vagabonde et anonyme », soit une conspiration juive pour l'instauration d'un « gouvernement mondial visant au contrôle du monde ». Nous ne sommes pas dans un ouvrage de science-fiction, mais dans la vision politique, s'arc-boutant toujours sur les « Protocoles des sages de Sion », un ouvrage émis par la propagande antisémite de la Russie tsariste, partagée par beaucoup au VB. Et ce, carrément, en premier lieu, chez la plupart de ses dirigeants. Une illustration du Vlaams Blok reprendra même cette thématique dans un de ses tracts électoraux. 

Depuis, est-ce que le Vlaams Belang a coupé les ponts avec ce passé ? Poser la question est y répondre. Après une observation détaillée du VB un constat s'impose : la façade du parti n'est plus celle de ses premières années d'existence. La formation électorale, au gré de ses succès populaires dans l'électorat protestataire, revanchard et/ou nostalgique de l'An 40 (beaucoup d'électeurs du VB ont encore connu les heures noires du règne du VNV sur la Flandre), s'est adaptée à son époque. S'accaparant les nouveaux outils offerts à la communication politique, le VB a aussi modifié son langage pour se conformer aux réalités d'aujourd'hui : 

  • Si l'amnistie totale des anciens collaborateurs, ces milliers de Belges qui se sont mis au service des nazis durant la Guerre 39-45 pour être ensuite sévèrement condamnés à la Libération, n'est plus l'une des revendications phares du VB, la raison est toute simple : aujourd'hui, il n'y a quasiment plus aucun « collabo » dans les rangs du parti, pour cause de réalité démographique.
  • Si le VB n'est plus officiellement favorable dans son programme à une Flandre sans étrangers, la raison en est également très simple : en 2004, le programme en 70 points pour mettre fin à l'immigration et pour le retour des immigrés dans leur pays d'origine a été reconnu comme une infraction à la loi antiraciste. Le VB n'est pas devenu antiraciste, il s'est soumis aux lois de la démocratie. Une démocratie qu'il continue néanmoins de combattre jour après jour, au cœur même de son lieu de fonctionnement, les parlements de notre pays.

Le Fondateur du Blok reste la référence

En coulisses, la fidélité à son histoire reste intacte. En décembre 2017, pour honorer la mémoire de son président-fondateur, Karel Dillen, décédé dix ans plus tôt, les instances du VB se sont retrouvées, tous ensembles, pour lui rendre un nouvel hommage. Et marquer leur attachement continu à son héritage idéologique.

Tom Van Grieken, le troisième président du VB après Dillen, exprima lors de cette grande messe nostalgique sa souscription maintenue à la vision stratégique du nationalisme du chef historique. Comme avec lui, les gardiens de la mémoire du « canal historique » du Belang étaient présents : Filip Dewinter, Frank Vanhecke, Koen Dillen, Xavier Buisseret ou encore Roeland Raes.

Dans l'histoire de chaque parti politique des périodes dérangeantes existent. Au Parti socialiste, les noms d'Henri De Man, d'Edmond Picard et de Jules Destrée rappellent l'influence des idées d'extrême droite dans ses propres rangs. Au parti catholique, c'est l'émergence d'un courant fasciste dans les années 1930, conduit par Pierre Nothomb, par Léon Degrelle et par d'autres nationaux-catholiques, qui reste une tache noire. Dans le parti libéral, le soutien à la dictateur chilienne de Pinochet est un révélateur d'un libéralisme sans morale politique. Chez les maoïstes du Parti du Travail de Belgique, la vénération au dictateur soviétique Staline est un marqueur indélébile de son sectarisme politique. Mais de grandes messes à la gloire de leurs anti-héros ne sont pas au programme. Au Belang, oui.


Des candidats sulfureux toujours en 2019

A l'observation des listes électorales du Vlaams Belang pour le méga-scrutin du 26 mai passé, il est constaté que les candidats old school s'y trouvaient toujours bien présents.

C'est le cas, par exemple, de Luc Vermeulen, le chef d'orchestre du service d'ordre en uniforme de Voorpost et du Vlaams Belang, comme encore le 16 décembre dernier lors de la « Marche contre le Pacte de Marrakech ». Citons aussi Hilde De Lobel. Ancienne du cercle idéologique Were Di, comme Karel Dillen, elle s'est encore retrouvée à la direction de Voorpost. Une fois élue pour le VB, De Lobel a été en charge des relations extérieures avec les régionalistes et nationalistes (alsaciens, bretons, corses, tyroliens, catalans...) qui rêvent, eux-aussi, à l'émergence d'États indépendants fondés sur une base ethnique. Il y avait encore Roeland Van Walleghem, un ancien dur du VMO, dont les vieux de DéFI, époque FDF, se souviennent fort bien.

Sur les listes du VB du 26 mai, des transfuges de l'extrême droite radicale francophone y étaient aussi. En effet, nous y retrouvons Serge Algoert, un fana des volontaires belges du Front de l'Est, Jean-Marie Claus, un ex du Front de la Jeunesse, sans oublier Patrick Sessler, un des anciens secrétaires généraux du Front national belge qui se forma dans les rangs du Parti des forces nouvelles (PFN), groupuscule parrainé alors par l'ancien dirigeant nazi belge, Léon Degrelle en personne.


Extrait d'un article d'un cadre du Vlaams Belang publié sur un site d'extrême droite radicale français.


« La défense de l'Homme blanc » contre l'« intelligentsia judéo-bolchévique »

Un des « camarades » des ex-PFN au VB, Filip De Man, reste toujours, à l'heure actuelle, le rédacteur en chef du 
VB Magazine. Une autre preuve de la non rupture avec le passé du Blok. Il y a encore bien d'autres cas.

Après la victoire du Vlaams Belang, un ancien dirigeant du PFN, très actif chez les nationalistes flamands depuis le milieu des années 1990, a écrit dans un article publié sur un site nationaliste identitaire :« Le VB a donc effectué sa ''traversée du désert'' durant une douzaine d’années, et selon le réveil des peuples en Europe, on peut espérer qu’il puisse encore prospérer dans les urnes, en s’affichant clairement contre les effets du mondialisme, pour la défense de l’Homme blanc et de la civilisation européenne, tout en dénonçant les supercheries du réchauffement climatique et en s’opposant à l’impérialisme américano-israélien ». Dans un autre de ses articles pour le journal français en ligne d'extrême droite La Flamme, il avait dénoncé Mai 68 comme un complot ourdi par une « intelligentsia judéo-bolchévique ».

Le Vlaams Belang d'aujourd'hui reste bel et bien le Vlaams Blok de hier. Avec toujours un identique ancêtre, la Vlaams Nationaal vebond, parti d'extrême droite de l'An 40.


MANUEL ABRAMOWICZ

RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite



L'EXTRÊME DROITE CE N'EST PAS QUE LE VLAAMS BELANG


Comme la « Grande Enquête » du n°1 du JOURNAL de RésistanceS, le hors-série papier du web-journal RésistanceS.be de mai-juin 2019, l'a démontré, la N-VA est habitée par un courant issu en droite ligne de l'extrême droite.

Dans les années 2000, il existait, en son sein, un groupe interne chargé d'imposer à sa tête Bart De Wever. Le sigle choisi par ce groupe semi-clandestin était, en plus, « VNV », ce qui ne résulte pas d'un pur hasard mais d'un choix bien marqué sur le plan historico-politique. Le « 
VNV-leider » (sic) se dénommait alors Theo Francken, un homme de l'ombre de la N-VA de l'époque. Son mentor politique, Bart De Wever, avait dans les années 1990 fréquenté les conférences du Vlaams-National debatclub et eut l'occasion d'y rencontrer Jean-Marie Le Pen, le président-fondateur du Front national français. Qu'il allait revoir en 2007 à Anvers, lors de l'enterrement de Karel Dillen, le président-fondateur du Vlaams Blok.

À la direction du Vlaams-National debatclub siégeait, au même moment, un dénommé Jan Jambon, inconnu des médias, mais déjà l'un des hommes de l'ombre du Vlaams Blok. Depuis, Jambon est devenu le n°2 de la N-VA après avoir été le vice-Premier ministre, ministre de la Sécurité (le terme a été imposé par la N-VA) et de l'Intérieur du gouvernement de Charles Michel d'octobre 2014 à décembre 2018.

Ce courant interne est masqué dans la N-VA par la présence d'une aile modérée et pragmatique, qui a ouvert les listes du parti à des candidats de couleurs et d'origines extra-européennes (congolaises, turques, iraniennes...), contrairement à celles du Vlaams Belang qui ne restent constituées que de femmes et d'hommes blancs.

A Anvers, le parti national-flamand a même reçu l'appui d'un notable de la communauté juive en la personne de Michael Freilich, le rédacteur en chef du magazine judéo-flamand Jood actueel. Une partie des juifs d'Anvers sont de fervents activistes pro-N-VA. C'est notamment le cas d'un certain Rudi Roth, un propagandiste nationaliste sioniste ultra, aux allures d'un troll extrêmement actif « à la droite de la droite » de Facebook. Pour ces juifs, dans la plupart des cas proches idéologiquement de l'extrême droite raciste israélienne, la N-VA est le seul parti flamand qui protège la communauté juive portuaire des multiples dangers - réels ou supposés - qui la menacent. En 2000, le mensuel Regards, un journal judéo-bruxellois progressiste et laïque, avait publié une enquête sur le « vote juif » en faveur du Vlaams Blok. Effectivement, une fraction, souvent issue des rangs de l'orthodoxie du judaïsme et des partisans du « Grand Israël », apportait, par opportunisme mais également par choix idéologique, un apport en voix à l'extrême droite nationaliste flamande, dont un courant non négligeable dirige désormais la N-VA.

Certains de ses éminents membres prêteront serment comme députés ce jeudi après-midi lors de la séance inaugurale du nouveau Parlement fédéral. Côte à côte des 18 élus d'extrême droite du Vlaams Belang [M.AZ].


Filip Dewinter en 2012 en compagnie de deux anciens dirigeants (à gauche) du PFN, un groupuscule néonazi, antisémite et négationniste, et le dirigeant du Mouvement Ref (à droite), pour qui Léon Degrelle était également une référence.



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© RésistanceS | Bruxelles | Jeudi 20 juin 2019