« Chez nous » au coeur du fascisme d'aujourd'hui

RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite  | Samedi 25 février 2017 – Modif. 3 mars 2017



AVANT-GARDE – La rédaction de RésistanceS.be a pu assister à Liège à l'avant-première du dernier film de Lucas Belvaux. « Chez nous » est une plongée dans les entrailles du système manipulatoire du Front national français pour arriver au pouvoir. Il s'agit d'une oeuvre cinématographique exceptionnelle sur le thème du fascisme et du racisme de notre époque.

Ce vendredi 24 février, la salle du cinéma La Sauvenière, au coeur de la cité Ardente, était pleine à craquer. Un public hétéroclite était venu assister à la projection exceptionnelle de « Chez nous ». Ce dernier film du réalisateur belge Lucas Belvaux sortira officiellement mercredi prochain dans les meilleures salles obscures du royaume.

L'histoire sombre de ce film se déroule à Hénart, une petite ville du Pas-de-Calais, dans le nord de la France, juste à quelques kilomètres de la Belgique. La caméra de Lucas Belvaux fixe les paysages urbains et ruraux d'une zone post-industrielle où la sinistrose baigne le quotidien. Ce drame politique conte les coulisses et les manœuvres opaques du plus grand parti d'extrême droite d'Europe, le Front national (FN), présidé, depuis 2011, par la députée européenne Marine Le Pen, fille héritière du président-fondateur.

Sous la forme d'un récit très bien construit, avec l'atmosphère lourde habituelle d'un bon thriller, le FN est ici pour la circonstance rebaptisé en « Bloc patriotique » et sa cheffe suprême s'agite sous le patronyme d'Agnès Dorgelle. Pas de doute possible, Belvaux nous fait un clin d'œil révélateur avec une référence directe au leader de l'extrême droite belge des années trente, Léon Degrelle. Un fasciste local, bien de chez nous, qui inspira d'ailleurs, dans les années 1980, Jean-Marie Le Pen en personne.


Un double fascisme
La petite histoire de cette histoire est le recrutement, pour le Bloc patriotique, de Pauline Duhez, que joue à merveille Emilie Dequenne, une jeune infirmière à domicile, fille d'un ouvrier communiste, sans travail depuis un certain laps de temps, malade et usé par une vie de misère. Courageuse, elle se lève tôt pour travailler et rentre tard après une dure journée de labeur. Notre contre-héroïne sera recrutée, par séduction, sur fond de désespoir, par un dénommé Philippe Berthier, interprété sans fausses notes par un remarquable André Dussolier. Médecin de son état, ce dernier est aussi un des nantis de la petite ville. Un homme bien sous tous rapports. Aimable, courtois, cultivé et serviable. Un modèle du genre.

En réalité, elle a affaire à un dirigeant néofasciste de l'ombre qui ne cache pas, chez lui, les portraits de ses mentors : des « écrivains maudits » et contre-révolutionnaires de l'entre-deux-Guerres qui collaboreront avec l'occupant allemand après 1940, Robert Brasillach et Drieu-La-Rochelle. Le docteur Berthier permet aussi d'établir, depuis plus de trente ans, un joint-venture entre la « droite nationale » électoraliste à l'allure BCBG pour attirer un électoral bigarré, et les purs et durs « NR » (nationalistes-révolutionnaires), courant regroupant les néonazis et autres identitaires. En charge jadis de la sécurité du parti, mais aussi des sales besognes à régler hors des projecteurs médiatiques (organisation de camps d'entrainement paramilitaires, attaques commandos contre des militants de la gauche révolutionnaire anticapitaliste, ratonnades contre des étrangers isolés...), ces NR restent désormais actifs en marge du Bloc patriotique, pour continuer à terroriser notamment les immigrés clandestins, à la manière des milices nazies. Les raids commandos violents d'extrême droite, réels mais peu médiatisés, contre des réfugiés se trouvant dans ladite «jungle de Calais» sont ici, dans le drame de Lucas Belvaux, évoqués par une des plus dures scènes du film. Qui trouvera d'ailleurs son épilogue dans ses dernières minutes. 

Les acteurs principaux comme les acteurs secondaires, ainsi que les figurants, du nouveau fascisme ordinaire déambulent sur l'écran pour nous décrire le lent naufrage économique et social d'une région abandonnée par une gauche de pouvoir, engluée dans une dérive – une décadence pourrait préciser le philosophe Michel Onfray – politico-affairiste. La référence à la « décommunisation » d'une partie de ces couches populaires, l'inflation de la précarité, le virus lent du racisme qui touche et déchire des familles entières et la violence haineuse des discours fascisants sont les ingrédients de la trame du film de Belvaux.

Un double danger « extrémiste » ?

Après la projection à laquelle nous avons pu assister, le réalisateur du film a été invité à nous rejoindre pour répondre aux questions et interventions de la salle. Dans l'air du temps du conformisme uniformisé par la « sociale-démocratie » et le « libéralisme social », la première fut celle-ci : « 
Pourquoi avoir réalisé un film qui ne dénonce uniquement que le danger que représente le Front national pour notre démocratie, sans celui de l'autre extrême, le danger de la gauche radicale ? ».

La réponse du réalisateur a été cinglante, claire et précise : « Parce que l'extrême gauche n'est pas un danger pour notre démocratie. Ses militants ne sont pas impliqués dans des violences gratuites, racistes... On n'a jamais vu des jeunes adolescents de 12-14 ans juste sympathisants de Jean-Luc Mélenchon [leader et candidat de la « France insoumise » à l'actuelle présidentielle] ou d'Olivier Besancenot [ancien candidat du Nouveau parti anticapitaliste, le NPA, aux présidentielles de 2002 et 2007] agressés violemment en bande quelqu'un qui avait juste osé arracher l'une de leurs affiches électorales. C'est ce qui est arrivé personnellement à une amie dans le nord de la France quand elle a arraché une affiche de Marine Le Pen. Cette réalité de violence urbaine est l'une des scènes de mon film. Elle illustre l'incitation à la haine formulée quotidiennement par l'extrême droite. »

Dès lors, « Chez nous » est un film utile pour comprendre le danger du fascisme contemporain et sa stratégie pour prendre le pouvoir en manipulant aussi d'honnêtes gens.




MANUEL ABRAMOWICZ
RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite 




« Chez nous »

Film franco-belge de Lucas Belvaux, 2017
Temps : 1 h 58
Scénaristes : Lucas Belvaux et Jérôme Leroy.

Avec : Émilie Dequenne (Pauline Duhez), André Dussollier (Philippe Berthier), Guillaume Gouix (Stéphane Stankowiak), Catherine Jacob (Agnès Dorgelle)...






































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