Procès Dieudonne à Liège, six mois de prison requis

RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite | Bruxelles | Mercredi 14 octobre 2015  | 

CHRONIQUE JUDICIAIRE - Devant le tribunal correctionnel de la cité Ardente, ce mercredi, une énième affaire judiciaire contre l'humoriste français. Suite à un spectacle donné à Herstal en 2012. Le jugement est attendu pour la fin novembre. Il risque d'être sévère pour Dieudonné, un fidèle « compagnon de route » de l'extrême droite.


Dieudonné lors de la remise d'une « Quenelle d'Or », en 2013, à l'ex-député belge Laurent Louis, avec l'auto-proclamé « national-socialiste français » Alain Soral – Photo : Facebook.




Le 14 mars 2012, à Herstal, une commune populaire de la Province de Liège (Est de la Belgique), Dieudonné, l'humoriste mais également - depuis 2006 - militant politique au profit de l'extrême droite française, se produit en spectacle.

Celui de ce soir-là s'intitule « Rendez-nous Jésus ! ». Organisé par des membres du Conseil des jeunes de Bressoux, ce one-man-show se déroule dans une des salles de la Fabrik, un haut lieu d'événements culturels sur Liège, devant plus d'un millier de personnes.


Affiche du spectacle à la Fabrik.
Disciple négationniste à Herstal
Comme à son habitude, devant ses fans, durant sa représentation liégeois, « Dieudo » va se lâcher. Toujours sur l'excuse de l'humour, à plusieurs reprises, il convoque son obsession numéro un : les Juifs. Et tape en-dessous de la ceinture. L'humoriste antisémite - il fut condamné à plusieurs reprises pour racisme - remet en cause l'existence des chambres à gaz nazies, utilisées durant la deuxième guerre mondiale pour commettre le génocide planifié par les nazis contre les Juifs d'Europe. Rien d'étonnant à cela : dans les années 2000, Dieudonné, par haine des « sionistes » (terme codé de la fachosphère pour désigner les Juifs), avait rejoint la secte négationniste, pour en devenir un fervent disciple. En décembre 2008, il scella son alliance idéologique avec elle en invitant sur scène, lors d'un de ses spectacles au Zénith de Paris, Robert Faurisson, l'un des « gourous » des négateurs-nazis.

Lors de son spectacle à la Fabrik, le Français a notamment qualifié Adolf Hitler, le führer du Troisième reich, de « gentil garçon » et de « joyeux fanfaron ». Pour Dieudonné, « Jésus aurait dû être jugé à Nuremberg, au côté du Führer. »


Juifs, chrétiens et musulmans contre Dieudonné
Avant le déroulement du spectacle « Rendez-nous Jésus ! » à Herstal, cinq organisations juive, chrétienne et musulmane s'étaient mobilisées pour s'opposer à sa venue dans la commune liégeoise. L'association des Musulmans progressistes, le Mouvement Église-Wallonie, Tusiad, le collectif Dialogue & Partage et El Kalima avaient signé ensemble une lettre ouverte intitulée « Fauteurs de haine ». Pour les signataires, il était urgent de mettre en place un « cordon sanitaire socioculturel » pour « juguler l’expression de la haine qui n’a rien à voir avec la liberté d’expression. »

Le bourgmestre Frédéric Daerden (PS) avait lui aussi tenté, sur une base juridique, d'empêcher la venue de l'artiste d'extrême droite dans sa commune. Malgré cette mobilisation associative et communale, le spectacle put néanmoins se dérouler.

Un dossier à charge solide
Dans le but de constater des infractions possibles, des policiers en civil s'étaient fondus, de manière undercover, dans le public pour enregistrer le spectacle. Les agents de police ont pu ainsi notifier que des propos tombant sous le coup des lois antiraciste et antinégationniste avaient été tenus par Dieudonné. Quelques jours après, le parquet de Liège prendra l'initiative d'ouvrir une enquête. Celle-ci retiendra pour finir une série de préventions : incitation à la haine, tenue de propos antisémites et discriminatoires, diffusion d'idées à caractère raciste, négationnisme et révisionnisme.

Pour leur part, le Foyer culturel juif de Liège, le Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB) et le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, l'organisme public en charge de l'application des lois antiraciste, antidiscrimination et antinégationniste, se constitueront parties civiles dans ce dossier judiciaire.

Prison ferme requis
Ce mercredi 14 octobre, l'affaire contre Dieudonné M’bala M’bala (49 ans) s'est retrouvé devant le Tribunal correctionnel de la cité Ardente. Argumentant le fait de ne pas avoir reçu de convocation pour se rendre à son procès, le prévenu n'y était pas présent. Raciste multirécidiviste en France, il y a été maintes fois condamné pour racisme, Dieudonné risque également gros à Liège.

En effet, le procureur du roi, Damien Leboutte, a requis contre lui une amende portée au maximum de 5 000 euros, une interdiction des droits sur le territoire belge et une peine de six mois de prison ferme. « Le spectacle qu'il donne est rempli de propos diffamants et insultants qui donnent envie de vomir », a déclaré Damien Leboutte dans son réquisitoire, selon l'agence de presse Belga, durant l'audience de ce mercredi. Le jugement est attendu pour le 25 novembre prochain.

En cas de condamnation, le prévenu devrait faire appel. Et si un nouveau procès s'ouvre, l'artiste-militant Dieudonné a déjà annoncé qu'il sera cette fois-ci bel et bien présent. Pour à nouveau se donner en spectacle à Liège. Devant Dame Justice.


La Belgique, un « régime soviético-totalitaire » !
Contacté par Jacques Laruelle, journaliste judiciaire du quotidien La Libre Belgique, Me. Sébastien Courtoy, l'un des deux avocats belges de l'obsédé du « complot juif », a déclaré à propos des peines requises par le procureur du roi :

« 
Un Etat qui demande l'emprisonnement pour un sketch, cela en dit long sur notre pseudo-démocratie et sur le régime soviético-totalitaire dans lequel nous vivons » ( La Libre Belgique, 15 octobre 2015, page 9).

Une telle déclaration, comparant la Belgique à une dictature, n'a rien d'étonnant de la part de cet avocat. Courtoy est lui-même caractérisé pour ses polémiques et la manifestation de sa sympathie pour le combat de son client français. C'est certainement pour cette raison qu'en 2012, il a reçu, en compagnie de son confrère Me. Henri Laquay (junior), ancien membre de la direction du Front national belge, une « Quenelle d'Or ». Ce prix est remis chaque année par Dieudonné à ceux qui le soutiennent. Ces liens particuliers de Courtoy avec Dieudonné ne sont pas mentionnés par Laruelle dans son article. Les connaissait-il ou les a-t-il occulté ? Les lecteurs de l'article en question auraient certainement été intéressés de les connaitre. Afin de se faire une opinion plus précise sur ce pittoresque avocat.


Sébastien Courtoy et Olivier Mukuna, en 2014, au Palais de Justice de Bruxelles. Deux lauréats belges de la Quenelle d'Or. En 2010 pour le second, deux ans plus tard pour le premier (c) Photo : RésistanceS / Bart Lemmens.


Atomisation de la « galaxie Dieudonné » ?

Outre la sortie médiatique de Courtoy, aucune autre voix belge s'est fait entendre pour venir au secours de « Dieudo » à l'issue de l'audience de son procès à Liège. Pourtant, dans notre pays, comme en France ou en Suisse, il bénéficie d'une mouvance de soutien. Les membres de celle-ci ne se sont cependant pas manifestés pour exprimer une quelconque solidarité avec leur mentor de l'humour (en chemise) noir (e). R.A.S. Rien à signaler à ce sujet sur leurs pages Facebook (en tout les cas pour celles accessibles au grand public).

L'explication vient peut-être du fait que l'espace belge de la « galaxie Dieudonné » s'est récemment atomisé. Ses chevilles ouvrières se sont royalement frités avec le provocateur d'outre-Quivérain. C'est le cas de l'ancien journaliste Olivier Mukuna, déjà cité plus haut dans cet article, et de
l'ex-député fédéral Laurent Louis, fondateur en 2013 du parti politique d'extrême droite pluri-communautariste « Debout les Belges ».

La mouvance belge pro-Dieudonné, groggy, pourra-t-elle se redynamiser ? Et être présente, le 25 novembre prochain, au Palais de Justice de Liège pour l'audience où sera remis le jugement du procès de Dieudonné pour son spectacle d'Herstal. À suivre. Sur RésistanceS...


NAÏMA BEN KAREM 
RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite  


| RésistanceS est aussi sur




© RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite | Bruxelles | Mercredi 14 octobre 2015