Bilan annuel 2020 (épisode 1) - L'extrême droite devant les tribunaux

RésistanceS Observatoire belge de l'extrême droite  | Bruxelles | Mardi 19 janvier 2021 | 15 : 10


Palais de Justice de Marche-en-Famenne, avant le procès des dits « Identitaires Ardenne ». Image Internet.


RÉTROSPECTIVE JUDICIAIRE – La droite radicale n'est pas qu'électorale. En marge de l'image de plus en plus institutionnelle de ses partis représentatifs, la violence des discours et des actes est toujours bien présente. Comme en témoignent des condamnations judiciaires prononcées en 2020 un peu partout en Europe. Sur ce sujet, voici un recensement réalisé par RésistanceS, le journal de l'Observatoire de l'extrême droite.


Commençons notre bilan 2020 par la Belgique et deux condamnations qui rentreront dans les annales judiciaires de la droite radicale racistes. Tout débute en septembre 2018 quand la police fédérale tombe sur plusieurs publications à caractère raciste et discriminatoire contre les juifs, les noirs et les réfugiés, publiées sur Facebook sous le pseudo « Jim Van Leeuw ». L'individu en question est vite identifié. Il s'agit de Jimmy Chapelier , le « kringleider » de la région  Waas-en-Dender de Voorpost, un « groupe d'action nationaliste » (sic) cofondateur en 1978 du Vlaams Blok, le nom jusqu'en 2004 de l'actuel Vlaams Belang. Depuis, Voorpost est en charge du service de sécurité interne du parti d'extrême droite flamand. Le même « Jim Van Leeuw » a ainsi été l'un des gardes du corps de son président. Repérés ensemble, par exemple à Anvers le 2 décembre 2019, lors du meeting du VB avec Matteo Salvini. Sept mois plus tard, le  6 mai 2020, Jimmy Chapelier est condamné par le tribunal de Courtrai à une peine de deux mois de prison avec sursis. Le centre public interfédéral de lutte contre la discrimination UNIA s’étant constitué partie civile, il devra lui verser 500 euros plus un autre montant équivalent pour frais divers. Plus d'extrême droite raciste en Flandre ? Que nenni.

Il y a quelques années, sur une page Facebook, deux responsables d’un mouvement groupusculaire appelé « Identitaires Ardenne » publient également des commentaires à caractère raciste et xénophobe. Le centre UNIA porte plainte. L’affaire est renvoyée devant le tribunal correctionnel de Neufchâteau. Comme toujours avec l’extrême droite, les auteurs invoquent l’atteinte à la liberté d’expression. Le 22 octobre 2020, la justice les reconnaît coupables d’incitation à la haine et à la violence. Ils sont condamnés à une peine de six mois de prison et à une amende de 800 euros.

De plus, ils devront payer un euro symbolique à UNIA et 1 140 euros d’indemnité de procédure. Un des condamnés avait entretemps rejoint le Mouvement Nation, après être passé par un des clans du Front national belge et le Vlaams Belang.


ATTAQUES CONTRE DES CENTRES DE RÉFUGIÉS

Du Net au terrain, il n'y a souvent qu'un pas. Deux mois après cette condamnation historique contre la propagande d'extrême droite diffusée sur Internet, la presse annoncera l'arrestation des auteurs présumés de l’incendie criminel commis, le 10 novembre 2019, contre un centre d’asile qui devait alors ouvrir dans la commune flamande de Bilzen (Limbourg). Les mêmes individus s'étaient rendus célèbres, en septembre passé, avec leur véhicule qui arborait des insignes nazis lors de la manifestion du Vlaams Belang au Heysel. Emblèmes nazis et haine des réfugiés, le lien est souvent évident.

Un phénomène également observé à l'étranger, lors de la condamnation le 13 mars 2020, d'un trio d’extrémistes de droite pour avoir jeté des cocktails molotovs en vue d’incendier un centre d’asile en Basse-Autriche.


AU-DELÀ DE LA LIBERTÉ D'EXPRESSION 

En France, Éric Zemmour, publiciste conservateur également adulé par l'extrême droite, est une nouvelle fois condamné, le 22 septembre, à 10 000 euros d’amende pour injure et provocation à la haine. Son violent discours à l’encontre de la religion musulmane et de l’immigration avait à l’époque été largement dénoncé par le Conseil supérieur de l’audiovisuel qui avait reçu plus de 3 600 signalements.

Le tribunal a estimé que les propos du chroniqueur du journal Le Figaroet de la chaîne télé CNews « outrepassent les limites de la liberté d’expression puisqu’il s’agit de propos injurieux envers une communauté et sa religion. »


CONDAMNATION ET FERMETURE D'ESPACE DE PROPAGANDE

Hasard du calendrier judiciaire, deux jours après, c'est l'idéologue d'extrême droite Alain Soral qui est condamné à payer 134 400 euros à la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (Licra). L'ex-conseiller politique de Jean-Marie Le Pen et de Dieudonné a déjà été condamné à plusieurs reprises par des juridictions françaises, dont une peine d’un an pour négationnisme. Fondateur d'une organisation survivaliste d'extrême droite, Égalité & Réconciliation, ses deux chaînes Youtube ont par ailleurs été supprimées par la plateforme américaine. 

Une telle suppression, comme d’un compte Twitter ou d'un profil Facebook, peut être considérée comme une condamnation publique d’importance. Comme cela a été le cas en Belgique avec la suppression des comptes de Schild & Vrienden, ce qui a coupé l’herbe sous les pieds de son leader et fondateur, Dries Van Langenhove, élu député fédéral en mai 2019 sur une liste du Vlaams Belang.


DROITE NATIONAL-LIBÉRALE POPULISTE

Le 26 juin 2020, un avocat danois, Rasmus Paladan, leader du groupuscule d’extrême droite Stram Kurs, est condamné à trois mois de prison. La justice de son pays l’a reconnu coupable de quatorze cas d'accusations de racisme et de diffamation. Connu pour avoir incendié publiquement le Coran et d'autres provocations, Paladan défend lui aussi ses actions en invoquant la liberté d'expression. Il annoncé qu'il avait demandé la citoyenneté suédoise pour pouvoir procéder librement à l'autodafé du Coran sur le territoire suédois.

Les discours radicaux contre les étrangers ou/et la religion musulmane dépassent depuis plusieurs décennies la « fachosphère » classique. Au sein de la droite national-libérale populiste, ils sont également exploités, à des fins électorales. Comme le confirme, le 4 septembre 2020, la justice aux Pays-Bas en condamnant Geert Wilders, le dirigeant du PVV (Parti de la Liberté), pour insulte collective.


ABUS DE BIENS SOCIAUX ET ...

L'extrême droite ne se retrouve pas toujours devant les tribunaux uniquement pour la diffusion d'une propagande politique considérée comme raciste. Le Front national français, depuis rebaptiséRassemblement national (RN), le parti de Marine Le Pen, a ainsi écopé d’une amende de 18 750 euros pour « recel d’abus de biens sociaux ».

Un de ses proches et un député européen du RN ont été condamnés pour escroquerie à deux ans et demi de prison, dont dix mois ferme et 250 000 euros.

Au-delà du racisme et de la xénophobie, encore un autre exemple. La presse suisse annonce, en juin dernier, l'arrestation d'un prêtre traditionaliste qui s'était réfugié dans le Valais. Le motif ? Sa condamnation en 2017 en Belgique pour des faits de pédophilie, sur un mineur de neuf ans, commis dans notre pays entre 2010 et 2011. Le délinquant sexuel est membre de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), fondé en 1970 par feu Mgr Lefebvre. Excommunié par Rome en 1988, pour schisme liturgique, ce mouvement catholique intégriste est lié à l'extrême droite. Pour le journal suisse « L'Illustré », au sein de la FSSPX la «tolérance zéro» ne semble pas avoir été le maître mot face au problème de la pédophilie ». Elle « aura défendu bec et ongles [son] abbé, auteur d’abus sexuels répétés » sur mineur.


VIOLENCES, INCARCÉRATION...

Avec l'extrême droite, le naturel revient toujours au galop. Le 30 novembre 2020, quatre militants ou sympathisants de l'Action française, issue du mouvement nationaliste du même nom fondé en 1898 et ensuite dirigé par le théoricien catholique antisémite Charles Maurras, sont condamnés par le tribunal correctionnel du Mans à des amendes de 300 à 600 euros pour participation à un groupement en vue de la préparation de violences.

Auparavant, le militant d'extrême droite Hervé Lalin, dit « Hervé Ryssen », avait été arrêté et incarcéré, le 18 septembre, à la prison de Fleury-Mérogis, en exécution de trois condamnations à des peines de prison ferme pour propos antisémites ou négationnistes. 

Auteur de pamphlets conspirationnistes, Lalin-Ryssen est une vedette à l'extrême droite underground. Une campagne réclamant sa libération sera organisée dans ce milieu, avec notamment la participation de Belges.


EX-MINISTRE D'EXTRÊME DROITE DEVANT LA JUSTICE

Comme en Autriche, en Italie, l'extrême droite est passée d'une force d'opposition au gouvernement. Une fois au pouvoir, l'application d'une partie de son programme liberticide est tentée. C'est sans compter sur la vigilance et le courage de magistrats. L’immunité parlementaire de l’ancien ministre de l’Intérieur italien Matteo Salvini, leader de l’extrême droite italienne, est levée en février 2020, à la demande des autorités judiciaires.

Salvini encourt jusqu’à 15 ans de prison pour avoir bloqué, durant plusieurs jours, le débarquement de 116 migrants qui avaient été sauvés en pleine mer par un navire des garde-côtes italiens. Le procès ayant débuté le 3 octobre dernier, le juge devrait rendre son jugement prochainement .


ORGANISATION CRIMINELLE

Sur l'autre rive de la mer Ionienne, le 7 octobre, à Athènes, le parti néonazi grec Aube Dorée est sévèrement condamné. Cinquante de ses dirigeants, ex-députés et membres sont reconnus coupables d’appartenance à une organisation criminelle. Son dirigeant-fondateur, Nikos Michaloliakos, négationniste et admirateur du nazisme allemand, est condamné à treize années de prison. Activiste d'Aube dorée, le tueur du chanteur antifasciste Pavlos Fyssas, est lui condamné à la perpétuité.

Le procès fut long et compliqué : plus de cinq ans de procédure. Son issue est une victoire pour l'ensemble des démocrates grecs. Et un signal fort à ceux ailleurs en Europe qui ont apporté leur soutien au parti Aube dorée, reconnu désormais officiellement comme une organisation criminelle.


EUROPE DE L'EST

Depuis la chute du mur de Berlin en novembre 1989, l'extrême droite s'exprime au grand jour dans les pays de l'ex-Bloc soviétique. Elle est électorale et également violente, dans ses propos comme dans ses actes. 

C'est le cas en Slovaquie. Le 12 octobre 2020, l'un des chefs de l’extrême droite locale, Marian Kotleba, est condamné à quatre ans de prison pour avoir « fondé, soutenu et promu un mouvement visant à supprimer les droits et libertés fondamentaux ». 


DES PAROLES AUX ACTES ?

Notre recension, non-exhaustive, de ces condamnations prononcées durant l'année 2020 démontre que des paroles et des actes d'extrême droite tombent sous le coup de la loi. Ainsi, en comparaison avec d'autres forces politiques, il est prouvé que l'idéologie nationaliste de la droite radicale porte en elle une nature délinquante, voire même criminelle, comme le procès d'Aube dorée le montre.

Nous ne pouvons qu’espérer que d’autres condamnations suivront, 2020 ayant démontré que la justice est loin d’être indifférente aux abus de droit des mouvements extrémistes. Toute infraction devant être punie.

D'autant plus que le passage à l'acte terroriste de militants ou de sympathisants d'extrême droite s'est encore manifesté en 2020. Comme l'illustre la condamnation à perpétuité en Allemagne, le 21 décembre dernier, du terroriste d'extrême droite qui s'était attaqué à l'arme automatique à une synagogue de la ville de Halle. L'assassinat de trois gendarmes français par un survivaliste ultra-catholique se préparant à la guerre, quelques jours avant la fin de l'année 2020, en est encore un autre cas exemplatif.


TERRORISME D'EXTRÊME DROITE ?

Le 8 décembre dernier, le site français « Le Média » consacrait un article à « l'effroyable montée du terrorisme d'extrême droite ». Il informait : « Le 28 novembre, dans petit village de Koshobe, au Nord-Est du Nigeria, des combattants de Boko Haram débarquent à moto et massacrent hommes et femmes, principalement ouvriers agricoles, qui travaillaient dans une rizière. On compte au moins 110 morts. Ce massacre témoigne du tragique bond de l'activité terroriste djihadiste en Afrique subsaharienne.

C'est la première tendance que pointe le rapport Index Global du Terrorisme 2020 (GTI) publié le 25 novembre dernier par le think tank australien Institut pour l’économie et la paix (IEP). La deuxième tendance qu’indique ce rapport est l'inquiétante montée du terrorisme d'extrême droite en Occident, qui a plus que triplé en cinq ans.» 



ANNE CREMER & SIMON HARYS

RésistanceS | Observatoire belge de l'extrême droite



BILAN JUDICIAIRE 2020 (SUITE ET PAS FIN)
L'épisode deux de notre bilan annuel paraitra tout prochainement :

    Une action judiciaire contre RésistanceS qui se termine mal pour le plaignant (Épisode 2).


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