Les 75 ans de l'hebdomadaire radical flamand ‘t Pallieterke

Dictionnaire de l'extrême droite flamande

RésistanceS Observatoire belge de l'extrême droite | Lundi 1er juin 2020


Couverture du numéro anniversaire de 't Pallieterke, sorti de presse le 21 mai dernier © DR.


VENT DU NORD – En Flandre, depuis 1945, un hebdomadaire nationaliste fait la pluie et le beau temps au sein du courant pure et dure du nationalisme flamand. Désormais pour survivre à la crise de la presse papier, il participe activement à un site Internet, Sceptr.Lié au Vlaams Belang, parfois proche des radicaux de la N-VA, 't Pallieterkeest méconnu du côté francophone. C'est pour cela que le Journal RésistanceS a traduit pour vous cet article écrit par son partenaire néerlandophone, Antifascista Siempre - HISTOIRE D'UN JOURNAL NATIONALISTE FLAMAND


Le dimanche 17 mai 2020 n'était pas seulement le jour où la commémoration annuelle des anciens combattants flamands du Front de l’Est à Stekene, en Flandre-Orientale, aurait dû avoir lieu. C'était aussi le jour où, au't Pallieterke, on aurait voulu fêter ses septante-cinq ans d'existence en grandes pompes. En effet, c’est le 17 mai 1945 que le premier exemplaire de cet hebdomadaire radical flamand sortit de presse. En raison du coronavirus, les festivités ont dû être reportées. Une occasion pour le journal flamand Antifascista Siempre de revenir sur l'histoire, la ligne politique, les collaborateurs, l'adaptation à notre époque ... de 't Pallieterke.

Contre la « machination anti-flamande »
Son fondateur et premier rédacteur en chef est Bruno De Winter. Il travaille alors au Het Handelsbladoù il est chroniqueur politique et auteur d'une rubrique populaire qu'il signe du pseudonyme « ‘t Pallieterke », le dérivé de Pallieter, le surnom du héros épicurien du roman régionaliste éponyme de Felix Timmermans. Anglophile, Bruno De Winter désapprouve la collaboration pro-allemande durant l'Occupation du pays, mais il s'oppose à la répression des collaborateurs à la Libération, qu'il considère comme une « gigantesque machination anti-flamande ». Durant les deux premières années de parution de't Pallieterke, près de la moitié des articles politiques traitent de ce sujet. Par la suite, ce sujet continuera a occuper encore une place importante.

Le journal ‘t Pallieterkeest d'abord vendu à 58.000 exemplaires, pour se stabiliser ensuite autour de 30.000 exemplaires à la fin des années 1940. L'humour caustique et critique en est la marque de fabrique. Selon l'Encyclopedie van de Vlaamse Beweging(Encyclopédie du mouvement flamand), le journal est resté à la limite de l'anti-parlementarisme : les élections et le fonctionnement du parlement étaient et sont considérés avec compassion et blâme. Deux dessinateurs sont sélectionnés, dont Jef Nys, qui a signé des croquis pour 't Pallieterkependant dix ans avant de se faire connaître avec la série populaire de bandes dessinées « Jommeke » (en français : « Gil et Jo »). 

En 1955, Bruno De Winter décède à l'âge de 45 ans. Il est remplacé par Jan Nuyts, le secrétaire de rédaction depuis le 1er octobre 1946. Nuyts restera rédacteur en chef pendant 45 ans. Sous Nuyts, le nombre de pages et de collaborateurs augmentera significativement. Les nouveaux collaborateurs importants sont Jan Merckx, les frères Arthur et Hector De Bruyne. Jan Merckx est journaliste pour les journaux De Nieuwe Gidset Het Handelsblad, puis éditeur de magazines hebdomadaires, tels que TV ExpressetZie-Magazine. À partir de 1953, il écrit les articles principaux de 't Pallieterkede manière anonyme. En 1981, il cesse cette activité afin de rassembler éditeurs et capitaux pour lancer une chaîne de télévision commerciale, VTM. Dès 1989, elle agrémentera le paysage de nombreux Flamands. Arthur De Bruyne est le père du chanteur de cabaret Kris De Bruyne. Son frère, Hector De Bruyne, avait été condamné en appel pour collaboration avec les nazis à sept ans de prison, mais n’y séjournera effectivement que peu de temps. Hector De Bruyne se lancera en politique au sein du parti nationaliste Volksunie (VU), l'ancêtre du Vlaams Belang et de la N-VA. Il deviendra son ministre du commerce extérieur de 1977 à 1979.

Vlaams Blok, Vlaamse militanten orde, Vlaams Belang et N-VA 
D'autres figures connues écriront encore anonymement ou sous pseudonyme pour't Pallieterke. Parmi eux, citons : Karel Dillen, qui fondera, en 1978, le Vlaams Blok, avec d'autres dissidents d'extrême droite de la Volksunie, Jan Brans, condamné à mort par contumace pour collaboration et qu’on trouvera également plus tard à la création du Vlaams Blok, Louis De Lentdecker, chroniqueur judiciaire du journal De Standaard, les journalistes de la Gazet van Antwerpen Jan Veestraten, Ward Hulselmans et Leo De Ceuster. Ce dernier devient le troisième rédacteur en chef de 't Pallieterkeà la fin de l'année 2000. 

Couverture du premier numéro de 't Pallieterke. Elle
est datée du 17 mai 1945 © DR.
_________________________________
Dès la création de la Volksunie en 1954, ce parti est accueilli à bras ouverts dans les colonnes de 't Pallieterke, à l'exception des membres de son aile progressistes. Le Christelijke volkspartij (CVP), le nom de l'époque de l'actuel Christen- Democratisch en Vlaams (CD&V), est vilipendé, à l'exception des membres de sa tendance conservatrice et flamingante. Dans les années 1980, ‘t Pallieterke est gênée par la division de son lectorat entre la VU et le Vlaams Blok. Après le « dimanche noir » du 24 novembre 1991, tout frein dans le soutien au Vlaams Blok disparaît.

De nouveaux collaborateurs en font partie : Jef Elbers, ancien du Vlaams militante orde (VMO) et chanteur identitaire notoire, Gerolf Annemans, numéro trois du Vlaams Blok et Peter De Roover, aujourd'hui chef de groupe de la N-VA au Parlement fédéral. La règle veut que les collaborateurs du journal cessent d'écrire pour lui dès qu'ils détiennent un mandat politique. Mais entre-temps, ils auront poussé 't Pallieterkedans une certaine direction, et leurs successeurs resteront dans leur lignée.

Dès fin 2010, le rédacteur en chef de 't Pallieterkeest Karl Van Camp. Il a étudié l'architecture à Bruxelles, où il a été actif dans les années 1980 en tant que membre du Nationalistische Studentenvereniging (NSV), l'association des étudiants nationalistes d'où proviennent plusieurs dirigeants du Vlaams Belang. Durant ses études, Karl Van Camp était le chroniqueur de la « vie estudiantine » pour 't Pallieterke.

Avec le succès de la N-VA, la sympathie pour ce parti augmente également. Cependant, le parti modèle pour cet hebdomadaire reste le Vlaams Belang. Lorsque, à l’approche des élections du 26 mai 2019, un député de la N-VA est invité à occuper une colonne toutes les deux semaines en alternance avec celle d’un député du Vlaams Belang, c'est Sander Loones qui est autorisé à l’écrire. Il est le petit-fils d'Honoré Loones, qui fut l'un des bourgmestres collaborationnistes du Vlaams national verbond (VNV), le parti nazi flamand durant la Seconde Guerre mondiale. Membre de la famille du propriétaire de Die Prince, chaque semaine dans 't Pallieterke, de la publicité était faite pour ce célèbre hôtel d'Ostende.

Avec un journaliste de Nieuwsblad 
Nous ignorons quel est le tirage actuel de 't Pallieterke. Le dernier chiffre publié est celui de 17.000 exemplaires, mais il s'agit d'un chiffre qui date d'il y a cinq ans. L'érosion du lectorat, fidèle mais vieillissant, va probablement se poursuivre, et l'actuelle crise sanitaire causée par le Covid-19 n'améliorera pas les choses. Dans un numéro tout récent, Karl Van Camp a écrit : « Nos ventes au numéro accusent le coup. Après tout, qui va encore aller faire la file chez le marchand de journaux ou dans un grand magasin ? ». Nous avons pourtant connaissance d’un certain nombre de personnes qui font la file chez le marchand de journaux et dans les supermarchés, mais sans doute pas pour se procurer 't Pallieterke.

En 2020, sur les seize pages habituelles de 't Pallieterke, seule la dernière page reste satirique. Le journal dispose encore des collaborateurs qui, apparemment professionnellement parlant, séjournent souvent au Parlement fédéral, au Parlement flamand ou dans des administrations communales, et qui à l'insu de leur employeur communiquent leur version des faits à 't Pallieterke. Pendant des années, le journaliste du Nieuwsblad Staf De Lie, sous le pseudonyme « Pagadder », rapportait les tribulations au sein de l'Hôtel de ville d'Anvers. Les lecteurs de 't Pallieterken'ont jamais su pourquoi la rubrique de « Pagadder » avait soudainement cessé de paraître. La disparition de signature est-elle monnaie courante dans ce journal nationaliste ? Lorsque « Borluut » écrivit trop de contributions contre un des clans du Vlaams Belang à Gand, c’est « Mathildis » qui devint le correspondant gantois de 't Pallieterke.

Le site « Sceptr », le nouveau collaborateur nationaliste flamand
Pour s'adapter à notre époque, le rajeunissement de ‘t Pallieterkeest une entreprise sans espoir. C'est pourquoi le site web « Sceptr » fut lancé le 8 décembre 2016. ‘t Pallieterke et Sceptr partagent le même local de rédaction à Anvers. Karl Van Camp et deux collaborateurs de 't Pallieterkeforment son conseil de gestion. Au démarrage de Sceptr, au moins sept collaborateurs participent également à 't Pallieterke. Quatorze collaborateurs sont ou ont été actifs ces dernières années au sein du Katholiek Vlaams Hoogstudenten Verbond (KVHV), l'association catholique flamande des étudiants de l’enseignement supérieur, dont plusieurs dirigeants du VB et de la N-VA proviennent. Parmi eux figurent le rédacteur en chef Jonas Naeyaert, l'actuel porte-parole du Vlaams Belang, Dries Van Langenhove et Tom Vandendriessche, tous deux devenus entre-temps députés du parti nationaliste d'extrême droite.

Sceptr reprend principalement les comptes-rendus qui apparaissent dans les journaux en ligne. En raison de la sélection des sujets et des accents donnés, il s'agit d'un site web flamand d’orientation «alt-right ». Le compteur du nombre de fois qu'un article est partagé en ligne semble aller beaucoup plus vite qu'il ne l'est en réalité, à en juger par la chronologie sur Facebook de centaines de membres de la N-VA et du Vlaams Belang, et d'autres nationalistes flamands et radicaux de droite. Après le départ fin 2019 de Jonas Naeyaert pour le Vlaams Belang, c’est Carl Deconinck qui est devenu le rédacteur en chef ad interim de Sceptr. Il a été l'instructeur de boxe à l'université d'été de 2017 de Schild & Vrienden (S&V), le groupe identitaire fondé et dirigé par Dries Van Langenhove [S&V fut l'objet d'une enquête journalistique d'investigation de la VRT qui dévoila notamment ses sympathies nazies].

Karl Van Camp, le rédacteur en chef 't Pallieterke
s'occupe aussi du média numérique Sceptr
© DR. Réseau social.

___________________________________

Un journal toujours au service
du Mouvement national-flamand
À l'occasion des 75 ans de 't Pallieterke, le jeudi 26 mars 2020, une session académique aurait dû être organisée dans une salle du Parlement flamand à Bruxelles sur le thème « Les médias en Flandre. La Flandre dans les médias ». Le rédacteur en chef Karl Van Camp aurait dû parler des « 75 ans de liberté et de franchise de 't Pallieterke ». Frans Crols, un des anciens rédacteurs en chef de l'hebdomadaire patronal Trendset actuellement collaborateur de 't Pallieterke, aurait dû animer un débat rassemblant des journalistes. Pour sa part, la baronne Mia Doornaert aurait dû présenter un vibrant éloge à 't Pallieterke.

Pour annoncer l'événement, un carton d'invitation a été largement diffusé. Il fut encarté dans le Vlaams Belang Magazine, l'organe de presse du parti nationaliste d'extrême droite, mais également dans Leo, le bulletin d'information des membres de la N-VA. Tout cela pour rien, car la séance académique n'aura pu avoir lieu pour cause de coronavirus. Malgré la remise de ses festivités d’anniversaire, les liens de 't Pallieterke avec le courant radical du « Mouvement national-flamand » auront encore été prouvés.


ANTIFASCISTA SIEMPRE
[Cet article est paru sur son site le 21 mai dernier. Traduction en
français faite par Chris Verboom du Journal de RésistanceS.
Les sous-titres ont été rajoutés dans la version française de cet
article par RésistanceS]


QU'EST CE QU'EST L'ANTIFASCISTA SIEMPRE ?
Sur son site Internet, il proclame « Le fascisme est comme les mauvaises herbes : il continue d'essayer de refaire surface ». Le but de ce média flamand est de participer par l'information à la lutte contre l'extrême droite en Flandre, mais pas que. Antifascista Siemprea succédé à Verzet, le journal de l'Anti-fascistisch front (AFF), fondé en 1973 à Anvers. Depuis la création du Journal de RésistanceS, en 1997, l'AFF en devint son partenaire en Flandre. Avant cela, l'AFF l'avait été pour les ancêtres de RésistanceS, le mensuel Article.31et la revue CelsiuS. 



Vous pouvez consulter les articles et enquêtes d'investigation du journal néerlandophone Antifascista Siempre via son site Internet et sur le groupe Facebook de  l'AFF.


Le Journal de RésistanceS est aussi tous les jours sur




© RésistanceS | Bruxelles | Lundi 1er juin 2020 |