Fascisme / antifascisme, des repères historiques pour éviter la confusion

RésistanceS Observatoire belge de l'extrême droite  Mardi 10 décembre 2019


Partisans antifascistes italiens en 1944, après la libération de la ville de Florence.


COURANT REBELLE – Dans cet article, publié une première fois dans LE JOURNAL de RésistanceSen mai dernier, Anne Morelli aborde un sujet polémique. La professeure honoraire, historienne de l'Université Libre de Bruxelles (ULB) et ancienne vice-présidente du MRAX y développe une critique antifasciste d'un certain antifascisme ...

Il y a juste un siècle, en 1919, Benito Mussolini créait les « fasci » et allait s'emparer du pouvoir par la force. Les résultats électoraux ne lui avaient pas été favorables mais dans chaque village italien, dans chaque ville, des escadrons fascistes venaient destituer, humilier - et souvent tuer - les élus et s'installaient à la tête des mairies. A la suite de cette vraie guerre civile, qui connut aussi des épisodes de résistance héroïque, l'opposition au fascisme était définitivement muselée. La protestation de Matteotti (1) dans ce qui subsistait de Parlement signa aussi son arrêt de mort.

COMBATTRE LA BOURGEOISIE... FASCISTE ET ANTIFASCISTE ! Pendant plus de vingt ans, le fascisme allait impunément se maintenir au pouvoir et lancer ses entreprises coloniales, en censurant drastiquement la presse, en muselant et emprisonnant - notamment dans les îles - toute opposition. Comme on le sait, le fascisme italien et Mussolini firent des émules, certains actifs dans les démocraties (en Angleterre, aux États-Unis, en Belgique…), d'autres prenant le pouvoir selon les mêmes méthodes, comme Dollfuss en Autriche (2).

Il est évident que le mot « antifasciste » a alors un sens précis. Il est utilisé par la police de Mussolini pour désigner tous les suspects d'opposition au régime auxquels un qualificatif politique plus précis (anarchiste, socialiste, communiste…) ne peut être accolé. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, c'est encore le terme d'« antifascistes » qui permet de réunir sous une même bannière les résistants italiens qui luttent les armes à la main contre les suppôts de Mussolini soutenus par les nazis, mais qui proviennent parfois de familles politiques fort diverses. Cependant, dès son origine, l'« antifascisme » est un concept politique flou qui entraîne des confusions.

En effet, il y a peu d'éléments communs entre le Comte Carlo Sforza (3) – ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ambassadeur à Paris – et les ouvriers communistes italiens qui sont, comme lui, exilés à Bruxelles. Ils sont « antifascistes » mais, au-delà de leur objectif commun à court terme, la chute du fascisme, tout les sépare. Le fondateur du parti communiste italien, Amedeo Bordiga, disait que « la bourgeoisie [et son capitalisme, ajouterais-je] qu'elle soit fasciste ou antifasciste, est toujours à combattre ».

RENDRE LE POUVOIR - Bien sûr, Bertolt Brecht avait raison de mettre en garde contre les résurgences du fascisme (« Le ventre est encore fécond d'où a surgi la bête immonde ») et il peut être alors légitime de ressusciter l'alliance antifasciste.

Mais, le plus souvent, l'histoire repasse les plats sous des formes différentes et le mot « fascisme » - comme celui d'« antifascisme » - est galvaudé. Trump, Orban, Salvini ou la N-VA n'ont pas ma sympathie. Mais garderaient-ils le pouvoir s'ils perdaient les élections ? Le problème actuel c'est qu'ils les gagnent en jouant sur les thèmes de la sécurité, de l'immigration et du déclassement de la classe moyenne, thèmes qui ne sont pas propres au « fascisme ».
Jaroslaw Kaczynski, qui fut de 2006 à 2007 président du Conseil des ministres polonais, m'écoeure car il est le prototype de l'homme d'affaires devenu acteur politique en sauvegarde de ses intérêts. Mais l'abolition des frontières entre milieu des affaires et élus politiques n'est malheureusement pas un trait spécifique du fascisme. Le gouvernement polonais a la mainmise sur la police, le parquet, les autorités fiscales, le bureau anti-corruption et les médias publics où plus de deux cents journalistes ont été licenciés. Mais, malgré cela, la Pologne reste une « démocratie » faisant partie de l'Union européenne et en recevant ses subsides. En 2010, Kaczynski a perdu les élections et rendu le pouvoir.

La censure, les violations du droit international sont aussi le fait de pays « démocratiques ». N'est-ce pas dans une « démocratie » du Moyen-Orient qu'une partie de la population est humiliée, parquée, isolée, interdite de sortir de l'étroit territoire auquel elle a été assignée ?


INDIGÉNISTE ANTIFA - On se souvient de la fable où le berger criait fréquemment et sans raison « Au loup ». Il fut finalement dévoré la seule fois où le canidé s'approcha vraiment de lui. Plus personne ne faisait depuis longtemps attention aux cris intempestifs du berger. Ainsi, peut-on croire les mises en garde de Madeleine Albright ? En 1996, l'ancienne secrétaire d’État américaine de 1997 à 2001, sous la présidence du démocrate Bill Clinton, avait estimé que la prise de Kaboul par les Talibans était un « pas positif ». Elle a été un faucon de la guerre contre la Yougoslavie et a considéré que les sanctions contre l’Irak, qui avaient entrainé la mort de centaines de milliers d’enfants irakiens « valait le coup ». Aujourd’hui, elle « tire l’alarme », en publiant un livre intitulé « Fascism : a warning » (2018, Harper Collins-New-York). Elle y dénonce en vrac comme « fascistes » : Poutine, Hugo Chavez, Xi Jinping et…Trump. Cette dénonciation globale et incongrue vise surtout son ennemi républicain qui ouvrirait actuellement la voie au « fascisme » aux États-Unis.

Lors de la Foire du Livre de Bruxelles de cette année, un indigéniste se réclamant « antifa » appelait à l'expulsion du stand de la maison d'éditions Ring, accueillant l'ouvrage de Zineb El Rhazaoui, ancienne collaboratrice du journal satirique Charlie Hebdo.Un jeune activiste venait ensuite, le soir de l'inauguration, vandaliser le stand et déchirer les livres, pourtant intitulés « Détruire le fascisme islamique ». La confusion devient alors totale lorsque la terreur intellectuelle prend un masque « antifasciste ».

Nos repères traditionnels chancellent. L'ouverture économique mondiale – qui est aussi à la base de la construction européenne – pèse inexorablement à la baisse des standards de vie des travailleurs d'Europe et des USA. Cette – légitime – insatisfaction ouvre un boulevard aux partis xénophobes qui se présentent comme « différents » et flattent les bas réflexes xénophobes d'une grande partie des électeurs. Les partis traditionnels aiment à se présenter alors comme le rempart à ce « fascisme », dont ils ne se distinguent pourtant que sur des points de détails.


ANNE MORELLI


Invitée de la rédaction
RésistanceS Observatoire belge de l'extrême droite 







    Notes :
    (1) Giacomo Matteotti (1885-1924) est un député socialiste italien qui fut assassiné par un groupe fasciste au début de la dictature mussolinienne.
    (2) Engelbert Dollfuss (1892-1934), après avoir dissout le parlement, instaure en 1933 en Autriche un État autoritaire, corporatif et catholique.
    (3) Carlo Sforza (1872-1952) est un aristocrate qui se lança en politique dans les rangs libéraux et républicains. Il fait partie des grandes figures morales de l'opposition à l'État fasciste conduit par Benito Mussolini. Menacé en 1927 par des escadrons fascistes et ensuite victime d'une agression physique, le comte Carlo Sforza se réfugie à l'étranger.


QUI EST ANNE MORELLI ?

L'article que vous venez de lire a été écrit pour le n°1 du périodique papier LE JOURNAL de résistances (publié par l'asbl RésistanceS en mai 2019). Historienne de l'Université Libre de Bruxelles (ULB), Anne Morelli est spécialiste des immigrations, de la propagande et des mouvements contestataires. Anne Morelli est l'auteure notamment de « Principes élémentaires de propagande de guerre : Utilisables en cas de guerre froide, chaude ou tiède...(Labor, 2001, puis Aden, 2010) et « Fabiola. Un pion sur l'échiquier de Franco » (Renaissance du livre, 2015). Elle a aussi dirigé des livres collectifs, comme « Histoire des étrangers et de l'immigration en Belgique: de la Préhistoire à nos jours(Éditions Vie ouvrière / Couleurs livre, 1992) et « Les grands mythes de l'histoire de Belgique, de Flandre et de Wallonie » (Éditions Vie ouvrière / Couleurs livre, 1995, réédition en 2014).

Dans les années 1990, Anne Morelli fut aussi vice-présidente du Mouvement contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie (MRAX). Depuis la création du journal RésistanceS, en 1997, elle participe à ses activités : débats, conférences-débats, café politique, festival Films & Fascisme au Botanique...


ANNE MORELLI aux FORUMS en RÉSISTANCE (FeR)

Anne Morelli est au programme de notre Forum 4 en résistance qui aura lieu le samedi 7 mars 2020. L'historienne de l'ULB participera au débat deux de celui-ci : « Un racisme chez les étrangers ? ». Avec notamment : Patrick Charlier, le directeur d'UNIA, Sylvie Lausberg, la présidente du Conseil des femmes francophones, auteure notamment de « Toutes des salopes ! Injures sexuelles, ce qu'elles disent de nous » (éditions du Silo), et Fadila Maaroufiéducatrice spécialisée et diplômée en anthropologie de l'Université Catholique de Louvain-la-Neuve. Ce forum aura lieu au Migratie Museum Migration c/o asbl Le Foyer dans la commune bruxelloise de Molenbeek-Saint-Jean. 





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