Vivre deux fois plus vite, Nina Simone

RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite | Lundi 29 juillet 2019 | Contribution externe







BLACK POWER & MUSIC FOR LIBERATION – La musique aux États-Unis, comme ailleurs, a été un billet culturel pour diffuser le cris des révoltes. Et participer aux mouvements contestataires contre les systèmes d'oppression. Des immigrés pauvres de la vieille Europe aux esclaves déportés d'Afrique (pour enrichir l'oligarchie américaine), en passant par les ghettos des quartiers populaires des grandes villes d'outre-Atlantique et les groupes politiques radicaux. Plusieurs artistes se sont lancés dans la bataille. C'est le cas de Nina Simone, chanteuse engagée dans le mouvement pour les droits civiques des noirs. Dont le portrait nonconformiste est ici proposé, en exclusivité en français, par l'un des invités estivaux de la rédaction du journal RésistanceS – RON AUGUSTIN

Lorsqu’au début des années soixante, le mouvement pour les droits civiques des noirs aux États-Unis prenait un nouvel élan, elle était une de ses pionnières : Eunice Kathleen Waymon (1933-2003), mieux connue sous son nom d’artiste Nina Simone.

Dès son enfance elle jouait du piano. À peine 24 ans, elle était devenue une des favorites de la scène musicale au Greenwich Village de New York, avant la sortie en 1957 de son premier album, Little Girl Blue. Soutenue par un mélange de Bach, Jazz, Gospel, Folk et Blues, c’était surtout sa voix qui nous donnait la chair de poule. Sa principale source d’inspiration avait été Billie Holiday, qu’elle avait étudié à fond et de qui elle reprenait plusieurs chansons. Une d’entre elles, Strange Fruit, parle du Ku Klux Klan et des cadavres de noirs qui pendaient aux arbres. Rapidement, elle avait commencé à s’engager dans le mouvement pour les droits civiques, et avec des chansons tellesMississippi Goddam, Go Limp, Four Women, Backlash Blues, To Be Young Gifted And Black etConsummation elle devenait son âme musicale. Pour Stokely Carmichael, elle était « la vraie chanteuse du mouvement. »


Une vie artistique et politique

Aujourd’hui, seize ans après sa mort, Nina Simone a encore beaucoup de fans. Cependant, sa personnalité et son engagement politique ont été complètement déformés par une historiographie qui, apparemment, a toujours besoin de mettre en accord les contradictions dans la vie d’un être humain avec des mythes préfabriqués, tant que la mode est à la dépolitisation généralisée. 

Hollywood avait pris dix ans pour produire Nina, une farce biographique qui de toute évidence défigure Nina Simone dans chaque aspect de sa vie : en tant que musicienne, en tant que militante noire, et en tant que femme qui, de quelle manière que ce soit, a lutté toute sa vie contre le racisme et pour la dignité des afro-americains. Le scénario de cette production à millions de dollars se concentre largement sur une histoire d’amour avec un assistant qui aurait eu lieu vers la fin de sa vie, dans sa maison près de Marseille. A part cela, sa vie et son oeuvre ne sont abordés que superficiellement, pour retenir l’image que les média ont construit d’elle pendant des années: géniale mais solitaire, capricieuse, bipolaire, résignée. Les controverses autour de ce film, qui se concentraient plutôt sur des caractéristiques raciales de l’actrice Zoe Saldana, motivait Netflix de sortir en même temps, il y a quatre ans, un documentaire, What happened, miss Simone?, qui au moins retrace la vie artistique et politique de la musicienne.


« Assez causé »


A l’apogée du mouvement pour les droits civiques, Nina Simone était dans presque toutes les grandes manifestations de l’époque, en tant qu’oratrice et en tant que chanteuse, ensemble avec des artistes tels Duke Ellington, Lena Horne, Sammy Davis Jr, Harry Belafonte et James Baldwin. Dans ses concerts, elle ne pouvait pas s’empêcher de faire des remarques mordantes sur la situation sociale et politique des noirs aux États-Unis, souvent d’une manière agressive qui ne plaisait pas nécessairement au public.

Dans son autobiographie I put a spell on you, elle décrit comment elle “« vivait deux fois plus vite dans le mouvement qu’ailleurs. La musique et la politique déterminaient ma vie. Je n’avait plus d’ambitions personnelles. Je voulais ce que des millions d’Américains voulaient aussi. ». L’assassinat de Malcolm X en 1965 « poussait mes pensées d’une manière encore plus rapide dans la direction que j’avais de toute façon déjà prise, c’est-à-dire que la violence ferait inévitablement partie de notre lutte. ».

Trois ans plus tard, Martin Luther King fut aussi assassiné, et Nina Simone réagissait avec l’album ’Nuff Said !( « Assez causé »). Comme beaucoup de ses amis, elle préconisait la lutte armée des afro-américains pour l’autodétermination, côte à côte avec les peuples du Tiers-Monde. En 1970, elle quittait les États-Unis, parce que pendant des années elle avait refusé de payer des impôts pour protester contre la guerre au Vietnam, et elle risquait d’être arrêtée pour cette raison. Le dernier numéro qu’elle produisait avant son exil s’appelait Revolution. « And now we got a Revolution, cause I see the face of things to come. » (« Nous avons une révolution à faire, parce que je vois ce qu’il nous attend. »).

Déçue du déclin du « mouvement » aux États-Unis, elle a vécu, les années suivantes, assez retirée en Afrique et en Europe. Ce n’est qu’en 1978 qu’elle a recommencé à monter sur scène et à produire des disques. Son dernier album, A Single Woman, est sorti en 1993. A la même période, un film documentaire a été tourné sur elle, Nina Simone: La Légende, qui ne dure qu’une heure mais qui, basé sur son autobiographie et constitué d’interviews authentiques, donne un aperçu de la vie de la  « Grande Prêtresse du Soul » qui est plus réaliste que tout ce que l’historiographie dite officielle a produit jusqu’ici. 


RON AUGUSTIN


invité estival du web-journal

RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite

 


[Cet article de Ron Augustin a été précédemment publié en allemand. Pour la version française de celui-ci, publiée en exclusivité par le journal RésistanceS, il a été réactualisé en juillet 2019.]





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