Patrick Haemers, un truand d'extrême droite ?

RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite  | Samedi 12 janvier 2019



RETOUR AUX « ANNÉES DE PLOMB » BELGES –Le gangster numéro un des années 1980 aurait été lié à une filière d'évasion d'argent sale vers la Suisse au profit d'hommes d'affaires. Et également à un réseau d'évasion d'extrême droite, selon son ex-avocat. Patrick Haemers était-il un des maillons de la « stratégie de la tension » en Belgique – ÉVOCATION

Dans les colonnes du quotidien La Dernière Heurede ce samedi 12 janvier, Etienne Delhuvenne, l'ancien avocat du célèbre gangster belge Patrick Haemers (1952-1993), livre des révélations sur son client qui fut comparé à Jacques Mesrine, l'« ennemi numéro un » de la police française dans les années septante. Etienne Delhuvenne a été Interviewé par la « DH » à l'occasion des trente ans de l'enlèvement de Paul Vanden Boeynants (1919-2001), le célèbre « VDB », homme d'affaires et politicien catholique belge qui fut premier ministre de 1966 à 1968, ministre de la Défense de 1972 à 1979 et président du Parti social-chrétien (PSC) de 1979 à 1981.

C'est le 14 janvier 1989 que VDB fut enlevé à Bruxelles et séquestré, durant près d'un mois, dans une villa du Touquet, dans le nord de la France, non loin de la frontière franco-belge, par la bande de Patrick Haemers.

Selon l'ancien avocat de ce dernier, cet enlèvement fut commandité à Patrick Haemers par un autre « homme d'affaires belge avec lequel VDB avait un désaccord ». Pour cette mission spéciale, un acompte de cinq millions de francs belges aurait été versé au truand. « Pour l'enlèvement de Paul Vanden Boeynants, il m'a toujours dit qu'il était commandité et payé », précise Etienne Delhuvenne.





Convoyeur de fric sale vers la Suisse. Pour hommes d'affaires belges


Etienne Delhuvenne révèle également dans cet entretien exclusif accordé àLa Dernière Heureque pour Haemers « le grand banditisme était une activité secondaire. Patrick, qui provenait d'un milieu aisé, était avant tout un passeur de fonds ».

C'est-à-dire « un porteur de valises d'argent fraudé qui allait notamment déposer en Suisse – Lausanne, Genève, etc. - sur les indications de clients qui, selon le montant transporté, le payaient au forfait ou à la commission. Ses clients venaient du milieux d'affaires. »


Filière d'évasion vers l'Amérique latine mise en place par l'extrême droite


Après le versement d'une rançon de 63 millions de francs belges, Paul Vanden Boeynants fut libéré le 12 février 1989 par la bande Haemers. Qui pris la fuite vers l'étranger. Au Brésil en particularité pour son chef et sa compagne. Patrick Haemers y sera ensuite arrêté et rapidement expulsé vers la Belgique. Emprisonné à la prison de Saint-Gilles, son père aurait organisé et financé son évasion, selon son ancien avocat. Le jour venu, Patrick Haemers ne put en profiter, contrairement à un de ses lieutenants qui sera ensuite repris.

Le plan d'évasion de la prison de Saint-Gilles prévoyait une exfiltration à l'étranger. Avec une première étape en Espagne. Toujours d'après Etienne Delhuvenne, Patrick Haemersaurait bénéficié de la filière d'évasion vers l'Amérique latine mise en place par l'extrême droite belge, via le Front de de la jeunesse (FJ). Filière par laquelle furent exfiltré deux militants du FJ, Jean-Marie Paul (22 ans) et son amie, Béatrice Bosquet, après l'assassinat d'un travailleurs nord-africain à Bruxelles, dans un café près du local du Front, sur le Boulevard Emile Bockstael à Laeken, en décembre 1980. Dix-sept plus tard, en 1997, Paul sera condamné par contumace à 30 ans de prison pour crime raciste. L'activiste néofasciste aurait sans doute aussi fait partie du groupe Delta, la structure qui donnera naissance ensuite au WNP, une organisation clandestine aux apparences néonazies impliquée, selon plusieurs sources, dans les dossiers des « années de plombs belges », de la fin des années septante au milieu des années quatre-vingt. Des dossiers se rapportant à un plan de déstabilisation du pays au profit des intérêts nord-américains, fomenté par une fraction d'un des services de renseignement des Etats-Unis. Les « tueries du Brabant » auraient été commises, entre 1982 et 1985, dans le cadre de ce plan. Le nom de Patrick Haemers, ici et là, dans les différentes enquêtes sur les auteurs de ces tueries apparait aussi.

Un autre nom cité dans ce même dossier est celui d'un certain Jean Bultot. Comme Jean-Marie Paul et Béatrice Bosquet, cet étrange individu profitera lui aussi, un peu plus tard, de ce même réseau d'évasion vers l'Amérique latine. Ex-directeur adjoint de la prison de Saint-Gilles, Jean Bultot était également membre de Forces Nouvelles, le parti politique fondé par le Front de la jeunesse. Bultot par la suite s'exilera en Afrique du sud. Installé au Paraguay, Paul et Bosquet y vivraient pour leurs parts toujours, sous les fausses identités de Jacques Mercier et Chantal Mignon. Et, via Facebook maintenant, maintiendront le contact avec d'autres anciens du Front restés en Belgique.


Un étrange mic-mac : fric, banditisme et extrême droite


Après l'échec de son évasion, déprimé et en manque de cocaïne, Patrick Haemers, le caïd bruxellois le plus célèbre de l'histoire criminelle de notre pays, se suicidera officiellement, dans sa cellule de la prison bruxelloise, le 14 mai 1993, à l'âge de 41 ans. Sans avoir réussi à prendre la fuite et avant le procès de l'enlèvement de VDB.

Outre son utilisation comme transporteur d'argent noir d'hommes d'affaires belges vers des banques suisses, les liens possibles de Patrick Haemers avec le milieu d'extrême droite avaient déjà été dévoilés en filigrane. Comme ceux de Paul Vanden Boeynants, après la fondation du Centre politique des indépendants et cadres chrétiens (Cepic), l'aile d'ultra-droite du PSC. Des dirigeants du Cepic faisaient régulièrement appel au Front de la jeunesse pour recruter des colleurs d'affiches lors d'élections et pour assurer la sécurité de leurs meetings électoraux. Une protection du chef du WNP, Paul Latinus, avait également été révélée en 1981 par le journaliste d'investigation Philippe Brewaeys dans les colonnes du journal d'extrême gauche POUR (il sera la cible ensuite d'un attentat commis par un commando d'extrême droite, dont les commanditaires ne seront jamais identifiés). Démasqué par POUR, Paul Latinus prit la fuite vers le Chili, grâce à une filière d'évasion (la même que celle de Paul, Bosquet et Bultot ?) et l’aide de la Dina, la police politique du dictateur Pinochet. De retour en Belgique, il reprit en main le WNP, dont la plupart des membres provenait du Front de la jeunesse. Latinus fut également retrouvé suicidé, en janvier 1986, dans la cave de son domicile dans le Brabant flamand.




Lié au même milieu d'hommes d'affaires et d'hommes politiques, Patrick Haemers, chef du gang des truands qui enleva VDB, aurait, en cas d'évasion, bénéficié de contacts auprès du Front de la jeunesse. Etrange coïncidence n'est-ce pas ?

Alors, l'ex-ennemi numéro un du royaume de Belgique était-il aussi un des maillons de l'orchestre noir impliqués dans les « années de plombs » belges ? Le doute persiste. Avec raison.



SIMON HARYS
RésistanceS | Observatoire belge de l’extrême droite 




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