GRANDES INTERVIEWS de RésistanceS : Le Vlaams Belang, stop ou encore ? (Eric Corijn)

[Journal de RésistanceS | Bruxelles | Mercredi 6 avril 2011 | 18 : 54] Contribution externe

Résistance flamande à l'extrême droite : affiches contre le Vlaams Belang © Blokwatch


LES GRANDES INTERVIEWS DE RÉSISTANCES - Où en est l'extrême droite flamande ? Pendant plus de quinze ans, le Vlaams Belang (VB) fut l'un des plus importants partis néofascistes en Europe. Aujourd'hui, le VB est en déclin progressif : stagnation et reflux électoraux depuis 2006, guerres internes à répétition, départs successifs de plusieurs de ses élus...

Face à l'émergence politique et l'omnipuissance électorale de la N-VA (premier parti politique avec 32 % dans le collège néerlandophone aux législatives de juin 2010) de Bart De Wever, le Vlaams Belang (12 %) a-t-il encore une chance de récupérer le leadership du nationalisme radical flamand ? Pour faire le point sur sa situation actuelle et son état de santé politique, RésistanceS.be a rencontré le sociologue et professeur à l'Université libre flamande de Bruxelles (VUB) ÉRIC CORIJN


RÉSISTANCES - Face au poids électoral de la N-VA, suite à ses échecs électoraux (confirmés aux dernières législatives de juin), et devant faire face à de dures tensions internes, le Vlaams Belang semble être un parti d'extrême droite fortement affaibli. Quel est son actuel «état de santé» ?

ÉRIC CORIJN -Pour décrire la situation de et pour l'extrême droite flamande, il faut évoquer plusieurs éléments. Tout d'abord, nous avons observé, depuis 2004, que le Vlaams Belang est resté la copie conforme du Vlaams Blok, le nom de ce parti de 1978 à 2004. Il n’a pas opéré de réformes internes et garde la même idéologie fondatrice. Nous observons par ailleurs la poursuite des tensions entre ses dirigeants. Tensions qui divisent sérieusement ce parti nationaliste de droite extrême. De plus, la crise interne se prolonge et ceux qui tentent d'y mettre fin ne semblent pas trouver d'antidotes.

Les tensions intestines se sont aggravées depuis l'émergence électorale de la N-VA et le reflux significatif de l'électorat VB. C'est dorénavant le parti de Bart De Wever qui occupe l’espace réservé dans le paysage politique à l'expression nationaliste flamand de droite. La N-VA a non seulement réussi à éclipser les positions nationalistes du Vlaams Belang, mais également celles portées par Jean-Marie Dedecker, le dirigeant-fondateur du parti LDD qui représente la droite libérale populiste, ainsi que celles d’une frange non négligeable du parti démocrate chrétien CD&V acquise aux thèses autonomistes.

Amputé de son hégémonie sur le discours nationaliste flamand, il reste au Vlaams Belang son vieux fonds de commerce raciste, que Filip Dewinter couve comme un vrai «führer». Pour maintenir le contrôle sur un parti en perte d’influence, le clan des purs et durs du VB, conduit par le tandem constitué de Filip Dewinter et de Gerolf Annemans, a tout fait pour neutraliser leurs adversaires internes.

Ainsi, des mandataires apparemment plus «pragmatiques», et tout aussi bien médiatisés, comme Frank Vanhecke - qui fut président du parti de 1996 à 2008 - et feue Marie-Rose Morel, ont été littéralement éliminés par les radicaux. Vanhecke et quelques autres représentent un courant interne, aujourd'hui totalement vaincu, qui plaidait pour un aggiornamento du VB afin de mettre fin au cordon sanitaire qui l'isole politiquement depuis plus de 20 ans sur l'échiquier politique. L'objectif des pragmatiques : garantir à leur parti la possibilité de sceller des accords avec d'autres formations dans le cadre de coalitions, afin de participer au pouvoir, d'abord communal, puis régional. En cela, les «pragmatiques» suivent la stratégie mise en pratique en France par Marine Le Pen et auparavant en Italie, par Gianfranco Fini,  dernier dirigeant du parti néofasciste italien, le MSI, refondu en 1995 dans une nouvelle formation de droite populiste, l'Alliance nationale.



Que représente le courant radical de Dewinter-Annemans ?

ÉRIC CORIJN -Filip Dewinter et Gerolf Annemans s'alignent sur l'héritage idéologique historique du parti, comme l'a fait lors de la campagne présidentielle du Front national français en janvier dernier Bruno Gollnisch, alors vice-président frontiste et meneur de l'aile radicale du FN. A la différence qu'en France, cette ligne est minoritaire. En Flandre, elle est celle de l'actuelle direction du Vlaams Belang !


Le cordon sanitaire a-t-il été efficace pour empêcher le Vlaams Belang de devenir un acteur politique incontournable ?

ÉRIC CORIJN -La crise importante que traverse actuellement ce parti de droite extrême et nationaliste trouve comme principale cause le maintien du cordon sanitaire ces deux dernières décennies. Pour rappel, ce dernier est alors un accord entre tous les partis démocratiques pour ne pas faire d’alliances politiques avec le Vlaams Blok (Vlaams Belang depuis 2004) et le maintenir systématiquement dans l'opposition. Cette stratégie contre l'extrême droite empêche notamment l'émergence d'une «Forza flandria».

Théorisée par certains milieux de la droite nationale flamande, cette Forza flandria représente les contours d'une sorte de front unique rassemblant, selon ses partisans, les diverses droites flamandes. Ce scénario est également soutenu tant par des responsables du Vlaams Belang que par ceux d'autres partis, notamment d'anciens parlementaires de l'Open VLD, comme Jean-Marie Dedecker ou Hugo Coveliers, les dirigeants de deux dissidences distinctes du parti libéral flamand. Celle de Coveliers, le parti Vlott, est d'ailleurs alliée au VB depuis 2004. 



Pour revenir à la N-VA de Bart De Wever : quelle est la stratégie du Vlaams Belang à son égard ?

ÉRIC CORIJN - L’avenir du Vlaams Belang en particulier et les frontières de la droite flamande dans son ensemble dépendront fortement de la radicalité et du «succès» institutionnel de Bart De Wever sur le plan fédéral. S’il  obtient une victoire à la faveur des revendications flamandes, il est évident alors qu'il gardera le leadership d’un redéploiement politique où le curseur du centre de gravité se retrouverait ouvertement à droite. Et entre ses mains.

 

Quelle est dès lors la marge de manœuvre pour le parti d’extrême droite de Filip Dewinter ? 

ÉRIC CORIJN - Elle dépendra du nombre des laissés-pour-compte de la mise en œuvre d’une politique de droite dirigée par la N-VA. C’est justement le pari de Dewinter. Choisissant la tactique du retrait dans un premier temps, puis de l'embuscade pour finir, le dirigeant du VB postule un retour de son parti sur l'avant-scène politique quand apparaîtront les premiers déçus des mesures de gouvernement prises par la formation de Bart De Wever.

Ici, la stratégie est celle du Front national français. Un parti considéré comme cliniquement mort, il y a quelques temps encore, et qui est redevenu maintenant la pire menace pour la droite française, depuis l'effondrement de la cote de popularité du président Nicolas Sarkozy et l'apparition d'un véritable «effet Marine Le Pen». Comme la N-VA en 2010, le chef de la République française avait pu bénéficier, lors de la présidentielle de 2007, d'une émigration d'électeurs protestataires, réfugiés dans le «vote FN», séduits par ses discours musclés en faveur de l'identité nationale et l'immigration, entre autres.


C'est-à-dire que le VB reste fidèle à sa spécificité au niveau politique ?

ÉRIC CORIJN - A l'instar du FN français et de la majorité des autres formations d'extrême droite en Europe, le Vlaams Belang est unique dans son genre. Le copier est toujours un risque, rarement une solution pour le déforcer. Le VB sous la conduite de Filip Dewinter est l'incarnation même du véritable parti populiste où la démagogie atteint des sommets. Son style reste brutal et en filigrane raciste, sous le couvert aujourd’hui du rejet de ladite «islamisation» de notre société. Mais les discours anti-musulmans du Vlaams Belang, comme du reste de l'extrême droite, gardent intrinsèquement une «identité» raciste. 

Par son profil contestataire et populaire, le VB continuera, même affaibli, a représenter le seul parti qui s'oppose toujours à l'establishment, y compris quand le paysage politique est dominé par la droite. Un positionnement qui concurrence fortement, en Flandre, toute alternative populaire de gauche vu que le Vlaams Belang séduit encore l'électorat ouvrier et une partie de celui des classes moyennes désabusées par l'ensemble du monde politique classique.


Propos recueillis pour 
le journal RésistanceS

par MANUEL ABRAMOWICZ





PLUS D'INFOS SUR ÉRIC CORIJN 

Philosophe de la culture et sociologue, Éric Corijn est également professeur à l'Université libre flamande de Bruxelles (VUB) et directeur du groupe de recherches urbaines Cosmopolis City, Culture & Society. Notre interviewé est par ailleurs un militant (un acteur) - de longue date - pour le changement social.

Après le «dimanche noir», lors des législatives du 24 novembre 1991, des élections qui enregistrèrent un succès historique pour l'extrême droite (Vlaams Blok et Front national), Éric Corijn a été l'un des principaux initiateurs du mouvement antifasciste Charta 91, d'abord actif en Flandre, puis également du côté francophone.

Éric Corijn est la contre-thèse de l'image, souvent hélas, véhiculée en Wallonie et dans le Bruxelles francophone comme quoi en Flandre, il n'y aurait plus aucune personnalités refusant la «vlaamsfascisation» du Nord du pays. 

(M.AZ) © Photo Manuel Abramowicz



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